Les syndromes post-infectieux gardent une longueur d’avance

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Les syndromes post-infectieux gardent une longueur d’avance

Publié le 9 juin 2025
Par Caroline Guignot
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De la maladie de Lyme au Covid-19, les syndromes post-infectieux sont des entités encore difficiles à appréhender. Leur physiopathologie reste incertaine et leur prise en charge mal définie.

En 2018, la Haute Autorité de santé (HAS) acceptait « l’existence de symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) » dans ses premières recommandations à propos de la maladie de Lyme, tout en reconnaissant que des « doutes persistent » quant à l’existence de formes chroniques de cette affection. En février dernier, elle actualisait son texte et officialisait cette entité clinique, désormais dénommée « syndrome post-borréliose de Lyme traitée, ou PTLDS (post-treatment Lyme disease syndrome) ».

Entre les deux versions du texte, la pandémie de Covid-19 a sévi. Elle a évidemment eu une influence déterminante sur l’évolution de cette prise en considération. Car elle a mis sur le devant de la scène la souffrance des patients atteints de symptômes prolongés de Covid-19 (improprement appelés « Covid long »). Comme le PTLDS, ces manifestations entrent dans le champ d’une entité clinique complexe : celle du syndrome post-infectieux (SPI), cet « ensemble de symptômes apparaissant secondairement et de façon chronologiquement imputable à une infection aiguë identifiée, induisant une altération des capacités fonctionnelles de l’individu en dépit de l’absence de lésions ou d’altérations physiopathologiques constatées à l’examen physique et sur les examens complémentaires ».

« Pas de preuve robuste »

Les SPI ne sont pas des entités cliniques récentes, elles sont décrites depuis plusieurs décennies au décours d’infections très diverses. Certains se manifestent par des troubles fonctionnels intestinaux, comme le syndrome post-giardia, des encéphalomyélites post-virales (rougeole, rubéole, grippe, etc.) ou des polyarthralgies post-chikungunya, des tachycardies ou une hypotension orthostatique dans le Covid-19. La situation se complique quand les SPI présentent, comme le PTLDS, des tableaux cliniques aspécifiques, dominés par la fatigue et les douleurs chroniques. Plusieurs facteurs limitant l’analyse entrent en jeu : diversité des symptômes, méconnaissance des mécanismes physiopathologiques, complexité du traitement thérapeutique. Le Pr Frédéric Lucht, infectiologue au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne (Loire), résume : « Il n’existe pas de preuves robustes, tout est au conditionnel. » Cette incertitude scientifique nourrit des controverses, notamment sur la place respective des facteurs organiques et psychosociaux dans la genèse de ces manifestations. Alors, que sait-on réellement du fondement biologique de ces syndromes ?

Selon le pathogène initial et selon les patients, le SPI, lorsqu’il survient, reposerait sur plusieurs mécanismes entremêlés. « S’il est encore mal défini, leur socle physiopathologique est probablement multifactoriel, indique le Pr Olivier Schwartz, chef de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur. On peut raisonnablement penser à une dérégulation immunitaire à long terme, associée, dans certains cas, à une auto-immunité ou à une dysautonomie* ». Ainsi, une inflammation de bas grade pourrait découler d’une dérégulation de la réponse immunitaire prolongeant l’inflammation aiguë de l’épisode infectieux. « Des endothélites, c’est-à-dire des inflammations à bas bruit des veines de différents organes ou du système vasculaire périphérique, seraient par exemple dues à un taux de cytokines faiblement élevé mais persistant », poursuit-il.

Des traces de matériel infectieux

L’auto-immunité, elle, pourrait survenir à cause d’un certain degré de mimétisme moléculaire entre les antigènes des agents infectieux et certaines protéines humaines. Ces antigènes seraient notamment présents sur des fragments non viables et non infectieux du pathogène : « Des dépôts de matériel génétique ont pu être décrits dans différents organes. Et même un certain temps après la phase aiguë, on peut retrouver des traces de matériel infectieux, parfois véhiculés par des macrophages », complète-t-il. Ces reliquats pourraient expliquer l’existence d’une activation immunitaire prolongée, au niveau local ou systémique.

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Enfin, il ne faut pas oublier le rôle du microbiote. L’expert de l’Institut Pasteur explique : « On sait que les infections virales aiguës ont un impact sur le microbiote. La littérature rapporte des corrélations entre l’existence de dysbiose et de syndromes post-infectieux. Les données sont descriptives et aucune causalité n’est, pour l’heure, démontrée. On connaît toutefois l’interconnexion entre les systèmes nerveux, intestinal et cérébral : en perturbant cette homéostasie, la dysbiose aurait des conséquences physiopathologiques. »

Une fraction de malades

Reste deux difficultés. La première tient à la robustesse des preuves : des études randomisées contrôlées en aveugle ont, par exemple, confirmé l’existence du SPI liée au Covid-19 en prouvant que la vaccination anti-Sars-CoV-2 réduit le risque de symptômes prolongés. Cependant, aucun biomarqueur n’a pu être associé aux symptômes de façon reproductible d’une étude à l’autre. La seconde tient au fait que le SPI ne touche qu’une fraction des sujets ayant fait un épisode infectieux aigu : « Il faut avoir en tête qu’il y a des facteurs prédisposants, déclencheurs et aussi d’entretien des SPI, commente le Pr Pascal Cathébras, interniste au CHU de Saint-Étienne (Loire). Et tous reposent à la fois sur des éléments biologiques mais aussi psychologiques, comportementaux ou interpersonnels ».

Quoi qu’il en soit, les patients qui se plaignent d’un SPI doivent être pris en charge. Toute la difficulté du clinicien est alors de caractériser la plainte du patient et son origine : ce qui, du fait même de sa survenue tardive par rapport à l’épisode infectieux, rend l’attribution étiologique particulièrement délicate. Il lui faut identifier un ensemble symptômes dans un délai compatible avec une phase aiguë documentée de l’infection, en l’absence d’autre cause clairement identifiée, et les distinguer à la fois des séquelles liées à l’infection aiguë (comme la fibrose pulmonaire des formes sévères de Covid-19, ou les uvéites chroniques post-Ebola) et des diagnostics différentiels ou concomitants.

« Certains facteurs de risque favorisant semblent assez constants d’un syndrome post-infectieux à l’autre, explique Olivier Schwartz. Notamment, une charge virale élevée ou le fait d’être une femme. »

Besoin d’explications

Il s’agit ensuite de pouvoir répondre à l’attente, exprimée par les patients, d’explication, parfois, et de prise en charge, toujours. D’une manière générale, pour les SPI dont les manifestations sont très aspécifiques, l’approche préconisée est à la fois médicale et biopsychosociale. Et c’est là que le bât blesse souvent. « On peut rapprocher certains SPI des maladies fonctionnelles, dans lesquelles il est possible d’être malade sans qu’un facteur causal ne soit déjà présent, commente Pascal Cathébras. Mais si “fonctionnelle” signifie qu’aucune lésion ou anomalie biologique ne peut être spécifiquement associée au symptôme incriminé, cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune explication. Or, il existe encore une approche très dualiste de la médecine, qui peut être partagée par le grand public, avec une tendance à cloisonner le psychologique et le somatique, alors qu’il faut reconnaître un continuum évident entre le corps et l’esprit. L’impact des facteurs psychologiques sur l’évolution des maladies est clairement démontré dans beaucoup de contextes. Ce qui est important, c’est de considérer qu’au sein des facteurs favorisants il peut y en avoir d’autres, d’ordre psychologique. Cette notion est combattue par certains malades, qui se sentent accusés d’être responsables de leurs symptômes… d’être psychologiquement malades. Ils craignent que nous négligions leur détresse et leur souffrance physique alors que la prise en charge biopsychosociale consiste simplement en une approche holistique de la maladie et du sujet. »

Frédéric Lucht précise : « Dans ce contexte, le déconditionnement à l’effort des patients atteints de symptômes prolongés à la suite du Covid-19 est décrit et objectivé, et la rééducation associée à des approches psychosociales fonctionne bien. » Environ trois quarts des patients sont améliorés grâce à cette prise en charge. « Il y a fort à parier que, par analogie, nous puissions appliquer ce type de prise en charge aux SPI de type post-Lyme, même si l’on ne dispose pas, pour l’heure, d’études robustes sur le sujet », complète-t-il. Sur le plan pharmacologique, les prescriptions sont envisagées au cas par cas : les arthralgies post-chikungunya répondent souvent aux traitements de la polyarthrite rhumatoïde, des psychostimulants peuvent réduire le brouillard mental post-Covid-19… Lorsque les patients sont volontaires, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) constituent par ailleurs des compléments précieux afin d’aider les sujets à décentrer leur regard sur leurs symptômes.

Les SPI illustrent bien la nécessité de sortir des classifications médicales binaires, et de penser en finesse dans toute la globalité d’une situation et toutes les dimensions de la personne. Un sacré défi dans le contexte actuel où la nuance n’est pas de mise.

* Atteinte du système nerveux autonome.

À retenir

  • Les syndromes post-infectieux surviennent après une infection, sans cause identifiable claire.
  • Leur origine est encore mal comprise, mêlant facteurs immunitaires, neurologiques et psychologiques.
  • Les manifestations sont hétérogènes et le diagnostic complexe, en l’absence de marqueurs objectifs.
  • La prise en charge doit être globale, médicale et psychologique.