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Des programmes sortis de derrière la phago

Publié le 8 avril 2023
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Depuis plusieurs années, la phagothérapie connaît un regain d’intérêt face à la menace grandissante de l’antibiorésistance, et 2023 pourrait bien être une année charnière. La recherche s’intensifie et les essais cliniques se multiplient.

 

Si la phagothérapie progresse en France, c’est probablement grâce à l’expertise acquise aux Hospices civils de Lyon (Rhône) et à l’investissement du Pr Tristan Ferry, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, et de son équipe. Elle a permis de sauver des patients en impasse thérapeutique d’une amputation ou d’une septicémie. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé son accès compassionnel en mars 2016. Mais les contraintes réglementaires de mise sur le marché et de production de médicaments d’origine biologique imposées par l’Agence européenne des médicaments et l’ANSM sont des défis à relever pour les fabricants. Elles permettent un accès aux soins plus sûr, car certains patients n’hésitent pas à se rendre en Géorgie où la phagothérapie n’a cessé d’être utilisée, moyennant des frais allant jusqu’à 6 000 € et sans aucune garantie de résultats. 

Dans les infections ostéoarticulaires 

 

La phagothérapie a été mise au point en 1919 par Félix d’Hérelle (1873-1949), un bactériologiste de l’Institut Pasteur, et elle fut pratiquée en France jusqu’aux années 1980. Elle utilise des virus dits bactériophages. Ce sont des prédateurs de bactéries naturellement présents dans le sol et dans l’eau. A chaque bactérie correspondent dix virus bactériophages capables de l’éliminer. C’est en découvrant les travaux de Paul Sédallian (1894-1960), de l’Institut Pasteur de Lyon, que Tristan Ferry décide de se pencher à nouveau sur le potentiel de la phagothérapie. Depuis 2017, il traite des infections ostéoarticulaires postopératoires : « L’évaluation de la pertinence d’un tel traitement est étudiée pour chaque patient par le centre de référence des infections ostéoarticulaires. Cette équipe pluridisciplinaire, composée d’infectiologues, d’orthopédistes et de microbiologistes, se réunit afin de mettre au point la stratégie thérapeutique la plus adaptée. A ce jour, nous avons traité 50 patients et cela a été une réussite pour la majorité d’entre eux. » Après la réalisation d’un phagogramme qui vise à sélectionner le phage actif sur la souche bactérienne à traiter, le protocole de soin consiste en un lavage de l’articulation en cours de chirurgie selon la procédure Dair (debridment, antibiotics and implant retention) en plus d’une antibiothérapie. Cela permet de conserver la prothèse en place. Dans certains cas, des injections intra-articulaires sous imagerie peuvent être nécessaires dans les semaines qui suivent la chirurgie.

 

A l’heure actuelle, les patients sont traités avec des solutions de phages provenant du monde entier (Armata aux Etats-Unis, Hôpital militaire Reine-Astrid en Belgique, Pherecydes en France), ce qui rend parfois la durée d’acheminement longue dans des cas qui nécessitent une prise en charge la plus rapide possible. Les Hospices civils de Lyon sont aussi en mesure d’assurer une partie de la production des phages thérapeutiques au sein du projet Phag-One, coordonné par le PFrédéric Laurent, microbiologiste. Soutenu en 2020 par l’Agence nationale de la recherche et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans le cadre du plan de lutte contre l’antibiorésistance, Phag-One permet de « relocaliser la production de phages thérapeutiques et de constituer une banque de phages, afin de répondre aux besoins le plus rapidement possible, explique-t-il. Après le prélèvement des phages dans la station d’épuration voisine, nous devons sélectionner les phages lytiques dont nous avons besoin, les purifier des débris de bactéries et les stériliser, car ils pourraient provoquer un choc toxique chez le patient. » Les phages thérapeutiques, aussi nommés phages lytiques ou phages virulents, se distinguent des phages lysogéniques qui ne sont pas employés en thérapeutique. « Détournant la machinerie des bactéries, ils sécrètent et injectent une enzyme qui les fait exploser en libérant une multitude de phages qui attaquent à leur tour les autres bactéries. »  Les suspensions de bactériophages constituent la matière première de la préparation magistrale qui sera réalisée au sein de la pharmacie à usage intérieur (PUI) en zone à atmosphère contrôlée.

Vers une diversification des indications

 

Si l’indication la plus répandue à l’heure actuelle reste l’infection ostéoarticulaire postopératoire sur prothèse de hanche et de genou, il existe d’autres applications thérapeutiques pour lesquelles la phagothérapie pourrait être utilisée dans les années à venir. Comme les résultats satisfaisants des traitements réalisés en autorisation d’accès compassionnel (anciennement ATU nominative) ne peuvent constituer, à eux seuls, une base de données suffisante pour la commercialisation et la démocratisation de ces thérapies, les autorités sanitaires françaises et européennes encouragent vivement les différents acteurs du secteur à mener plus d’essais cliniques sur la phagothérapie. Car le Pr Laurent Debarbieux, microbiologiste à l’Institut Pasteur, le confirme : « Même si les publications en recherche fondamentale sont nombreuses, les publications d’essais cliniques manquent ». Selon Tristan Ferry, « il est envisageable de traiter des endocardites, des infections pulmonaires et des infections complexes des voies urinaires ». C’est dans une optique de diversification des indications que Pherecydes Pharma prévoit le lancement de quatre essais cliniques jusqu’au début de l’année 2024. Les cibles pathogènes visées en plus de Staphylococcus aureus sont Pseudomonas aeruginosa et Escherichia coli. L’essai Phagopied, en phase 2 depuis le début de l’année 2023, permettra d’évaluer l’efficacité du traitement dans la prise en charge de l’ulcère du pied du diabétique. Cette indication représente un réel enjeu, compte tenu de l’augmentation de l’obésité qui constitue un facteur de risque important de diabète. Par ailleurs, il est aussi possible de traiter des infections des voies respiratoires causées par Pseudomonas aeruginosa, touchant notamment des patients ayant été ventilés ou qui ne répondent plus aux différentes antibiothérapies disponibles. « De nouvelles applications thérapeutiques, par exemple pour les infections complexes récidivantes des voies urinaires et les endocardites liées à la pose d’implants cardiaques, sont à l’étude » , précise Thibaut du Fayet, directeur général de Pherecydes Pharma. Si dans toutes les indications mentionnées précédemment les phages sont administrés localement, « par lavage intravésical pour les infections urinaires, en compresses imbibées pour l’ulcère du pied du diabétique ou en nébulisation pour les infections respiratoires, l’endocardite est la seule indication dans laquelle la voie intraveineuse est préconisée ». Dans le futur, les indications pourraient être plus nombreuses, toutefois les bactériophages ne constituent pas une alternative aux antibiotiques mais un soutien. Selon Tristan Ferry, « l’utilisation, comme celle qui a cours en Europe de l’Est, qui consiste à traiter les pathologies courantes telles que les angines et les diarrhées n’est pas envisageable, car un phénomène de phagorésistance pourrait apparaître à longue échéance, avec le risque de ne plus disposer d’aucun phage efficace ». Certaines applications en cosmétique et pour le traitement de pathologies intestinales liées à un déséquilibre du microbiote constitueraient « des pistes intéressantes à étudier si nous arrivons à percer tous les mystères du microbiote », complète Thibaut du Fayet. Et Tristan Ferry de conclure : « Une mise à disposition plus large de bactériophages de qualité pharmaceutique et la création d’un centre dévolu à la phagothérapie semblent être incontournables pour évaluer et généraliser ce type de traitement. »

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La phagothérapie du XXIe siècle représente bien un réel espoir et un outil de lutte prometteur contre l’antibiorésistance. Pour l’heure, aucun fabricant n’a encore déposé de dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché, ce qui pourrait être la prochaine grande étape afin de faciliter l’accès à cette thérapie et de favoriser son développement.