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Comment la vectorisation a bouleversé nos formulations
L’adressage et l’optimisation de la biodisponibilité des principes actifs au niveau d’un tissu cible reste un enjeu très actuel dans le développement pharmaceutique. Les innovations galéniques participent désormais pleinement aux progrès thérapeutiques.
Ces vingt dernières années, la galénique a connu une véritable révolution. Il faut dire que les traitements biologiques (protéines, peptides, thérapie génique et plus récemment acides nucléiques thérapeutiques) sont en plein essor et drainent dans leur sillage des considérations spécifiques sur le plan de leur développement, qui ont accéléré le rythme des innovations. « La question de la formulation est envisagée de façon beaucoup plus précoce qu’elle ne l’était auparavant. Le simple fait de “screener” la structure physicochimique des candidats médicaments avant toute évaluation afin d’écarter ceux qui ne remplissent pas les règles de Lipinski, prédictives de l’absorption intestinale, est une façon d’intégrer ces questions dès le début du développement », explique Gilles Ponchel, professeur à l’université Paris-Saclay et à l’Institut Galien Paris-Sud. Si les industriels ont leur expertise dans le domaine, l’essor des biotechnologies, soutenu par celui des start-up, a imposé une nouvelle dynamique dans la recherche et les collaborations avec les entreprises.
Malgré cela, les innovations galéniques restent peu mises en avant par les firmes pharmaceutiques, regrette le chercheur, alors qu’elles font partie intégrante de la nouveauté thérapeutique. Patrick Couvreur, professeur émérite de l’Institut Galien Paris-Sud et pionnier des nanomédicaments, en donne un exemple frappant : « L’utilisation des ARNm à visée thérapeutique est étudiée depuis plus de 20 ans, cependant elle s’est longtemps heurtée à des problèmes de stabilité, de biodisponibilité et de pénétration intracellulaire de l’ARN ». Des modifications structurales, puis des encapsulations dans des liposomes ont été développées depuis longtemps, mais « n’ont pas permis d’aboutir, notamment en raison des charges positives de ces liposomes qui interagissaient avec les protéines de l’organisme lors de leur administration ». Finalement, ce verrou a été levé grâce au développement de nanoparticules lipidiques ionisables, « dont le pKa (constante de dissociation acide) permet d’éviter l’interaction avec les protéines de l’organisme, mais qui délivrent l’ARNm dans les cellules après ionisation des lipides au niveau intracellulaire ». C’est donc bien la mise au point pharmacotechnique de l’ARNm, au sein de ces nanoparticules, qui a finalement permis aux vaccins anti-Covid-19 d’aboutir…
De la voie orale à la frappe ciblée
La voie orale, si elle est la plus simple à utiliser, n’a rien d’évident : chaque étape (absorption, distribution, métabolisme, excrétion) est limitante. Et l’administration de biomolécules comme les protéines, les peptides ou les anticorps monoclonaux pose ainsi de multiples difficultés. Ces macromolécules hydrophiles ont en effet un poids moléculaire supérieur à 1 kDa, sont sensibles au pH et aux dégradations enzymatiques et ont une faible aptitude à passer la membrane intestinale, qui plus est selon une cinétique permettant d’atteindre une concentration efficace. Mais la recherche pharmacotechnique peut réussir à contourner ces difficultés : en 2020, par exemple, une forme orale du sémaglutide a été enregistrée par l’Agence européenne des médicaments. Ce peptide hypoglycémiant de près de 4 kDa peut franchir l’épithélium intestinal grâce à plusieurs modifications chimiques, mais aussi grâce à l’adjonction d’un promoteur d’absorption (enhancer), le salcaprozate, qui forme un complexe protecteur autour de la molécule de sémaglutide et masque ainsi ses caractéristiques défavorables à l’absorption. De multiples enhancers sont aujourd’hui en développement. Ils favorisent l’ouverture des jonctions serrées, l’inhibition des pompes d’efflux, promeuvent la diminution de la viscosité du mucus… D’autres approches sont aussi explorées comme le recours à des ligands capables de former des liaisons spécifiques avec les cellules épithéliales ou à des transporteurs (carriers). C’est à partir de là que « des transporteurs mucoadhésifs utilisant le chitosan sont développés à la manière d’un micropatch intestinal permettant d’augmenter le temps d’interaction et donc d’améliorer le taux d’absorption du principe actif (PA) par l’épithélium », décrit Gilles Ponchel.
Mais l’une des principales innovations réside dans l’encapsulation du PA : liposomes, micelles, dendrimères et nanoparticules, à base de polymères biologiques ou synthétiques non toxiques, apportent de nouvelles solutions. Par voie orale, ils présentent l’avantage d’apporter, simultanément et au cas par cas, des fonctionnalités originales, comme faciliter la mise en solution de molécules d’intérêt, masquer des charges électriques, neutraliser temporairement et localement certaines enzymes, augmenter localement les concentrations de façon à accélérer l’absorption… Par voie injectable, ces transporteurs permettent de diriger le PA jusqu’au tissu cible en limitant sa toxicité sur les autres tissus ou de mieux contrôler sa libération (et donc l’atteinte d’une concentration efficace). Ils ont aussi, selon les cas, une cinétique de biodégradation connue ou une porosité maîtrisée qui permettent, là encore, d’optimiser la biodisponibilité. Vyxeos, commercialisé en 2019 dans des cancers du sang, est une formulation liposomale contenant deux PA : la daunorubicine et la cytarabine. Onpattro, indiqué dans l’amyloïdose à transthyrétine, comporte des nanoparticules de lipides ionisables qui délivrent un petit ARN interférent (patisiran) dans les hépatocytes. On peut aussi citer Hensify, des nanoparticules cristallines d’oxyde d’hafnium particulièrement innovantes, puisqu’elles pénètrent les cellules tumorales après injection in situ et permettent de libérer une énergie cytotoxique après activation par la radiothérapie. De nombreux médicaments nanoparticulaires sont aujourd’hui évalués cliniquement pour d’autres biomolécules fragiles comme des anticancéreux, des facteurs de coagulation ou de croissance, l’érythropoïétine ou des ARNm anti-infectieux… En ce sens, les particules pseudovirales (ou virus-like particles) constituent une sorte de nec plus ultra pour l’atteinte de cellules cibles, puisque fondées sur la synthèse d’une capside vide de virus apte à cibler précisément un tissu ou un organe.
Dans les autres voies d’administration (nasale, inhalée, percutanée, ophtalmique, etc.), le potentiel de ces différentes approches est aussi étudié. Comme le résume Patrick Couvreur, « les connaissances et l’arsenal technique aujourd’hui existants sont tels qu’il est possible de savoir schématiquement quel type de vecteur utiliser selon la structure du PA et son tissu cible, même si évidemment chaque cas reste un cas d’espèce. » Les progrès nous rapprochent de plus en plus de la « magic bullet », la thérapeutique magique qui atteint parfaitement sa cible sans dommages collatéraux : dans le viseur désormais, une formulation « intelligente » capable de libérer le PA à l’endroit désiré et selon des paramètres biologiques définis. Un horizon pour l’heure ambitieux, mais loin d’être irréalisable.
LA BARRIÈRE HÉMATOENCÉPHALIQUE, DERNIER REMPART ?
La barrière hématoencéphalique (BHE) isole le cerveau de la circulation sanguine, mais empêche aussi les médicaments de l’atteindre. Afin de pallier cette difficulté, une approche physique concentre tous les espoirs : l’utilisation d’ultrasons focalisés en présence de microbulles au niveau intravasculaire provoquerait une ouverture transitoire et locale de la BHE, favorisant le passage de principes actifs. Un véritable espoir pour le développement de traitements destinés aux maladies psychiatriques ou neurologiques, ou à la prise en charge de la douleur.
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