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Bénéfice et risque des évaluations médicoscientifiques
L’évolution du règlement européen prévoit que le classement des produits de santé selon leur efficacité soit progressivement centralisé à partir de 2025. De quoi apaiser, peut-être, les critiques qui sont émises envers les avis de la commission de la transparence au sein de la Haute Autorité de santé.
A compter du 12 janvier 2025, les nouveaux médicaments anticancéreux qui demanderont une autorisation de mise sur le marché (AMM) à l’Agence européenne des médicaments (EMA) verront leur évaluation médicoscientifique menée via une procédure unique et commune à tous les Etats membres. Alors que l’AMM se fonde sur le rapport bénéfice-risque, cette évaluation technologique des produits de santé (health technology assessment en anglais, ou HTA) vise à établir la place du nouveau produit dans la stratégie de prise en charge de la pathologie donnée, au regard de l’ensemble des données et études fournies par le laboratoire.
En France, ce travail est habituellement mené par la Haute Autorité de santé (HAS), où la commision de la transparence (CT) a un rôle déterminant dans l’évaluation critique (ou appraisal) du médicament à travers la définition du service médical rendu (SMR) et de l’amélioration du service médical rendu (ASMR), décisifs pour sa prise en charge par la solidarité nationale et pour la fixation de son prix. Quel sera l’apport de cette nouvelle réglementation ? « Un gain de temps pour la HAS, car un seul pays conduira le travail d’assessment », commente le Dr Etienne Lengliné, hématologue (hôpital Saint-Louis, Paris) et membre de la CT. Mais aussi probablement un apaisement des critiques émises envers la CT : depuis plusieurs années, ses détracteurs lui reprochent de limiter l’accès des médicaments innovants au marché français.
De vives polémiques
Au printemps 2023, la succession d’ASMR jugés insuffisants de différents anticancéreux a ravivé la polémique : des médecins ont publié une tribune dans le journal Le Monde et ont interpellé le président de la République Emmanuel Macron. Ces actions ont poussé la HAS à réagir et à rappeler son engagement et sa mission, « nécessairement sujette à critique », de son propre aveu. En effet, sur la place publique, le débat oppose schématiquement l’espoir suscité par des innovations thérapeutiques chez les patients et les médecins et la légitime rigueur de leur évaluation scientifique.
« Ces polémiques sont liées à des questions de compréhension des attendus des uns et des autres, poursuit le médecin. Notre mission, fixée par la loi, n’est pas d’évaluer la balance bénéfice-risque, mais la valeur ajoutée thérapeutique. De façon imagée, nous ne jugeons pas de la capacité des avions à voler, mais nous aidons les compagnies à estimer qui, de Boeing ou d’Airbus, répond le mieux à leurs attentes. » La seule liberté dont dispose la HAS réside dans la méthodologie scientifique qu’elle utilise pour y répondre avec le plus haut niveau de preuve possible. Des principes qu’elle décrit dans un document – sa doctrine – amené à être complété au cours du temps. Le Dr Eric Baseilhac, directeur accès, économie et export du Leem (Les Entreprises du médicament), le reconnaît : « C’est l’intérêt des industriels de savoir que les règles de la CT sont dictées par les preuves médicales. Mais, modère-t-il, pour concilier l’attente et la preuve, il est essentiel de réaliser des adaptations méthodologiques et de faire progresser la doctrine face aux nouveaux paradigmes qui découlent des innovations. »
Le sacrosaint comparateur actif
Un des points de doctrine les plus discutés concerne les modalités des études de phase 3. « Une comparaison directe au comparateur cliniquement pertinent, réalisée dans le cadre d’un essai randomisé en double aveugle, est attendue, dès lors qu’elle est possible. [Elle] correspond à une étape importante du raisonnement de la CT pour l’appréciation de l’ASMR. » Cette attitude conduit à certaines impasses : lorsqu’il n’existe aucun traitement de référence, il ne serait pas éthique de conduire une étude de phase 3 contre placebo, alors que le traitement testé semble jusqu’alors efficace. Autre exemple, en cancérologie, où les progrès en biologie moléculaire ont conduit au démembrement de groupes tumoraux : de fait, les effectifs éligibles aux études cliniques sont moins nombreux et ces derniers deviennent statistiquement moins robustes.
La CT améliore heureusement régulièrement sa méthodologie, dès lors qu’elle est confrontée à des difficultés. Ainsi, après que plusieurs nouveaux antibiotiques ont eu un niveau d’ASMR jugé insuffisant, elle a remplacé l’exigence de preuve de supériorité entre deux molécules par la prise en compte du besoin et de données biologiques au regard de la sélection de résistances. Désormais, elle accepte également des critères de substitution pour des demandes d’extension pédiatrique de médicaments adultes parce que les études cliniques restent complexes à conduire chez les enfants. En immunothérapie, de nouveaux protocoles sont désormais actés, comme les essais baskets qui permettent d’évaluer l’intérêt d’une molécule dans certains types de cancers simultanément.
Mais plusieurs méthodes nécessitent encore des ajustements. Ainsi, « l’évaluation d’un traitement de thérapie génique destiné à guérir des maladies incurables ne peut se faire sur la base d’essais cliniques qui durent un à cinq ans tout au plus, rapporte Eric Baseilhac. Il faut s’aider de modélisations et développer notre capacité à mettre en place des études en vie réelle ». Une autre problématique, fréquente dans le développement des thérapies ciblées, se présente lorsque deux d’entre elles sont développées simultanément dans une même indication, comparativement à un traitement de référence peu satisfaisant. « La première qui démontre sa supériorité obtient de bons SMR et ASMR, commente Etienne Lengliné. Mais la seconde ne répond plus, dès lors, aux attentes de la CT, car son bras comparateur n’est plus pertinent ». Toutes ces situations amènent la CT à plancher à de nouvelles évolutions : comparaisons indirectes, comparateurs issus d’une population de registre, modélisations… « Les essais plateformes pourraient être utiles pour évaluer plusieurs traitements expérimentaux par rapport à un traitement de référence, propose le Pr Dominique Deplanque, président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT). Ces essais multibras, souvent académiques, permettent de modifier le traitement de référence à mesure que l’essai avance. »
Ne pas confondre vitesse et précipitation
« La HAS a une totale conscience des enjeux, reconnaît Eric Baseilhac. Mais ces adaptations méthodologiques demandent du temps ». Un problème ? Pas toujours, comme le montre le champ des anticancéreux, ainsi que le rapporte Dominique Deplanque : « L’EMA propose l’attribution d’AMM conditionnelles pour répondre à des besoins médicaux non satisfaits, selon une procédure de fast track où seules des études de phase 2 suffisent ». Ces AMM donnent ensuite la possibilité à l’industriel de demander une autorisation d’accès précoce (AAP) en France. Or, « l’analyse des procédures accélérées étatsuniennes, qui suivent un process comparable, a montré que la moitié des anticancéreux qui en avaient bénéficié n’étaient finalement pas efficaces cliniquement ». Preuve que l’impasse thérapeutique « ne peut être ni un argument de mise sur le marché ni de justification de son remboursement ou de son prix ».
En 2025, toutes les structures européennes en charge de l’appraisal prendront leurs décisions sur une base commune. Les attendus seront les mêmes entre pays membres et devraient donc être moins sujets à polémique. D’ailleurs, jusqu’à présent « les avis des différentes agences européennes en charge de l’HTA sont très homogènes », a tenu à rappeler Etienne Lengliné. Les premiers dossiers qui seront traités l’an prochain permettront d’évaluer cette nouvelle organisation, et sans doute d’ajuster éventuellement les demandes et les modes opératoires. Une étape qui bénéficiera ensuite à d’autres classes thérapeutiques : en 2028, ce sont les spécialités destinées aux maladies rares qui seront concernés par cette procédure. Puis tous les nouveaux médicaments dès 2030.
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