Algologie : in cannabis veritas ?

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Algologie : in cannabis veritas ?

Publié le 3 mai 2025
Par Pascale Caussat
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Les patients pris en charge avec des médicaments à base de cannabis commencent à voir le bout du tunnel : le ministère chargé de la santé a enclenché le processus pour permettre la légalisation des traitements qui ont prouvé leur efficacité sur les douleurs réfractaires.

«C’est une annonce majeure qui est intervenue le 20 mars dernier, après des années d’errance. » Frantz Deschamps, président de Santé France Cannabis, salue ainsi la décision du ministère de la Santé et de l’Accès aux soins de notifier à la Commission européenne les textes encadrant l’usage du cannabis médical. Au nombre de trois, un arrêté et deux décrets, ils portent sur le cadre du futur dispositif (demande d’autorisation, évaluation, pharmacovigilance, circuit, etc.), les critères de qualité et de sécurité des médicaments à base de cannabis, ainsi que les modalités de sa culture à des fins médicales sur le territoire national. Pour les patients et les professionnels de santé représentés par l’association Santé France Cannabis, c’est un soulagement et un espoir de voir l’expérimentation sur le cannabis médical entamée en 2019 entrer prochainement dans le droit commun et s’étendre à tous les malades éligibles. On estime à 400 000 le nombre de personnes en France qui pourraient être soulagées par ces traitements qui ont déjà fait leurs preuves au Canada, aux Pays-Bas ou encore récemment en Allemagne et en Ukraine.

Un parcours de longue haleine

Pour comprendre l’importance de cette décision, il faut remonter aux origines de l’expérimentation. Lancée sous l’impulsion de la ministre de la Santé et de l’Accès aux soins Agnès Buzyn, puis validée par son successeur Olivier Véran en 2021, elle portait à l’origine sur 3 000 personnes concernées par cinq indications thérapeutiques : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non) ; certaines formes d’épilepsies sévères et pharmacorésistantes ; certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements ; soins palliatifs ; spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central. Les patients suivis à l’hôpital se sont vu prescrire, avec possibilité de renouvellement par le médecin traitant, une combinaison de tétrahydrocannabinol (THC) et/ou de cannabidiol (CBD), deux des molécules actives du cannabis, sous deux formes galéniques : des huiles sublinguales extraites des fleurs, préconisées pour les douleurs chroniques, ou des inflorescences séchées dans des capsules inviolables à vaporiser, à action rapide pour les douleurs aiguës. Le gouvernement, à travers la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), a exclu la prescription de fleurs brutes, pour éviter la confusion avec le cannabis dit récréatif.

Si 1 200 personnes ont quitté l’étude au fil du temps, les 1 800 patients toujours présents témoignent d’une amélioration considérable de leur qualité de vie.

« J’ai repris goût à la vie »

Lors d’un webinaire organisé par l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC), Sandra Madelrieu, 52 ans, a évoqué une renaissance : « Avant d’entrer dans le protocole, j’étais en fauteuil roulant, je passais des nuits blanches, j’avais des envies suicidaires, je n’avais aucune vie sociale. Je prenais du fentanyl et de l’oxycodone à forte dose. Quand j’ai commencé le cannabis thérapeutique, j’ai pu dormir, les douleurs neuropathiques se sont réduites de 40 %, celles liées à l’algie vasculaire de la face de 90 %, j’ai réappris à marcher en trois semaines. J’ai repris goût à la vie.» Amélie Ribeiro Dias, jeune femme souffrant d’une maladie rare diagnostiquée en 2018, parle de « miracle » : « Ma douleur est soulagée à 80 %, je travaille à nouveau, j’ai renoué avec le sport. Le tramadol a été arrêté, Lyrica réduit alors que j’avais atteint les doses maximales. La douleur sans répit crée un épuisement psychologique. Actuellement, je ne me vois pas vivre sans ce traitement. »

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Atteinte d’une maladie rare de la moelle épinière, la présidente de l’association Apaiser S&C, Mado Gilanton, souhaite toutefois rectifier les choses : « Le cannabis n’est pas un produit miracle. Il arrive en dernier recours, et certains patients ont présenté des effets secondaires. Une formation obligatoire est nécessaire car ce n’est pas un produit qui se manipule facilement. Mais tous les médecins qui ont participé à l’expérimentation sont devenus des avocats du cannabis médical, même ceux qui n’étaient pas convaincus au départ. Il faut saluer leur courage, car ils se sont parfois engagés sous les quolibets de leurs collègues. »

Douche froide

Le dossier a pâti de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 et des remaniements ministériels qui s’en sont suivis, sans compter les avis personnels des sept ministres de la Santé qui se sont succédé en six ans. Le mot « cannabis » fait peur, le ministère de l’Intérieur s’est d’ailleurs également mêlé du dossier. Le 20 décembre 2024, les patients ont reçu une douche froide lorsque le ministère de la Santé a signé une lettre de couverture autorisant la prolongation de l’expérimentation jusqu’au 1er juillet 2025 dans une « perspective de sevrage ou de recherche d’alternatives ». Des notions antinomiques avec un traitement, s’agissant de pathologies réfractaires à toute autre thérapie. «Certains malades menaçaient de passer à l’acte, d’autres étaient prêts à aller acheter le cannabis dans la rue, au risque de se retrouver dans l’illégalité et de consommer des produits de mauvaise qualité », souligne Mado Gilanton. « Cette lettre de couverture était, en fait, la meilleure option possible en l’absence d’inclusion dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 et alors que l’expérimentation était censée se terminer le 31 décembre. Il fallait trouver une solution pour justifier la prolongation », argumente Ludovic Rachou, président de l’UIVEC.

La notification du 20 mars est venue clarifier la situation, mais le parcours est encore long avant d’aboutir à la légalisation. Il faut d’abord passer par une période incompressible de trois mois durant laquelle la Commission et les États membres pourront examiner les textes et émettre des observations. Des objections sont toujours possibles, même si l’Espagne a entamé le processus deux mois avant la France sans encombre. En l’absence de réserves majeures qui prolongeraient la période de statu quo de trois mois supplémentaires, au mieux donc le 20 juin, les textes devront être publiés par le Conseil d’État. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pourra alors commencer à expertiser et à autoriser les premiers médicaments pour une durée de cinq ans. Actuellement, deux producteurs français sont sur les rangs, DelleD et Overseed, qui ont développé sur leurs fonds propres des médicaments prêts à recevoir le feu vert des autorités de santé. 

2026 en point de mire

En parallèle, le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour évaluer l’intérêt thérapeutique du cannabis. « Son avis, attendu dans les prochains mois, conditionnera l’éventuelle prise en charge, c’est-à-dire le remboursement ou non, ainsi que le taux de remboursement, le cas échéant, de ces médicaments par l’Assurance maladie », précise le ministère. Un point essentiel, affirme Mado Gilanton, car «les patients malades sont pour la plupart en invalidité et n’ont pas les revenus pour acheter le produit». L’absence de prise en charge pourrait les détourner vers le marché illégal, ce qui serait contraire à l’objectif de l’expérimentation. Lors des questions au gouvernement du 26 mars, le ministre Yannick Neuder a d’ailleurs rappelé son opposition à la légalisation du cannabis récréatif, «très mauvais pour la santé comme toutes les drogues». Il a également fermé la porte à l’inclusion de nouveaux patients, ce que regrettent les défenseurs du cannabis médical, pour qui les personnes en situation de soins palliatifs n’ont pas le temps d’attendre un an de plus. Dans le meilleur des cas, l’entrée en vigueur officielle pourrait intervenir au premier semestre 2026, l’expérimentation, elle, prendra fin de toute façon en mars. Pour Nicolas Authier, psychiatre pharmacologue au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et pionnier de l’expérimentation, « il faut sortir du fantasme lié au cannabis médical. Les médecins prescrivent des médicaments beaucoup plus dangereux comme la morphine et le lithium. Lorsque le cannabis médical sera généralisé, il s’agira de médicaments comme les autres, avec une primoprescription hospitalière et une formation obligatoire des prescripteurs ». Les pharmaciens seront alors en première ligne pour délivrer ces nouveaux traitements, sûrs et encadrés, à la différence de l’offre des boutiques de CBD ou du marché noir.

À retenir

  • Le 20 mars dernier, le ministère chargé de la santé et de l’accès aux soins a notifié à la Commission européenne trois textes encadrant l’usage du cannabis médical, qui ouvrent la voie à une mise sur le marché d’ici mars 2026.
  • Actuellement, 1 800 patients participent à l’expérimentation sur le cannabis médical et témoignent d’une amélioration significative de leur qualité de vie.
  • On estime que 400 000 patients en France souffrant de douleurs réfractaires pourraient être soulagés par les médicaments à base de cannabis.