Au secours, je suis harcelé ! - Porphyre n° 599 du 30/05/2023 - Revues
 
Porphyre n° 599 du 30/05/2023
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Anne-Charlotte Navarro

Plus d’un salarié sur trois a été victime de harcèlement moral ou sexuel sur son lieu de travail. Les témoignages de situations qui dérapent dans l’équipe ou avec l’employeur sont nombreux en officine. Pour autant, ce n’est pas toujours juridiquement qualifiable de harcèlement moral. Comment la victime doit réagir ? Comment aider un collègue ? Faisons le point…

Plus d’un salarié sur trois a déjà été victime de harcèlement moral ou sexuel sur son lieu de travail et quatre salariés sur dix ont déjà été témoins de tels agissements selon une enquête menée par Qualisocial et Ipsos, en septembre 2022(1). Cette étude montre que certaines catégories d’actifs sont particulièrement touchées, notamment les moins de 35 ans et ceux travaillant dans des petites structures. 38 % des salariés d’entreprises de moins de 20 salariés ont été victimes de harcèlement, contre 31 % dans celles de 200 salariés et plus. Bien qu’il n’existe pas d’étude sectorielle sur l’officine, il est probable qu’elle ne soit pas épargnée. Les témoignages recueillis par Porphyre sont éloquents(2).

« Ma patronne m’a fait “un caca nerveux”, me qualifiant d’incompétente au comptoir devant les patients, alors que pendant plusieurs semaines, enceinte, j’avais fait 40 heures pour la dépanner. J’ai été tellement touchée par ses propos que je me suis retenue de pleurer », se rappelle Hélène, préparatrice dans le Centre. « Alors que le climat était déjà très conflictuel, une collègue m’a accusée de mauvaise réception de commandes, d’erreurs dans le stock. Les patrons n’ont pas réagi. Je suis finalement partie au bout de plusieurs mois. Je n’en pouvais plus d’aller au travail avec une boule au ventre », raconte Hortense, préparatrice dans l’Isère. « Quand je suis arrivée dans cette officine, j’ai été étonnée que le planning de la semaine ne soit donné que le dimanche soir par texto, vers 20 heures. Rapidement, j’ai demandé à avoir mon planning une semaine à l’avance, comme dans mon ancienne pharmacie. À partir de là, ma patronne m’a surnommée “la duchesse”. Elle a fini par m’appeler que de cette façon. Rien ne m’était permis : jour de congé, retard, vente associée… tous mes faits et gestes pouvaient donner lieu à des reproches. Maintenant que c’est fini, j’en rigole mais j’étais tellement mal. Quand je sortais du boulot, je mettais la musique à fond dans ma voiture pendant dix minutes pour décompresser », se souvient Amélie, préparatrice à Toulouse (31).

Le harcèlement d’un point de vue juridique

Le harcèlement est une violence fondée sur des rapports de domination et d’intimidation qui a pour objet ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime et un impact sur sa santé physique ou psychique. Il peut avoir lieu dans le cadre de toute relation humaine : au travail, à l’école, dans un couple. Juridiquement, l’article L. 1152-1 du Code du travail interdit « les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Ainsi, le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés ayant un impact sur la santé, les droits ou l’évolution professionnelle de la ou des victimes.

Il peut être le fait de l’employeur, d’un autre salarié ou de plusieurs autres personnes, qu’elles aient agi en se concertant ou non. C’est le cas de Christelle, préparatrice en Bretagne. Lors de son retour d’arrêt maternité, elle découvre ses deux nouvelles collègues. « Dès le début, ça s’est mal passé. Je ne sais pas dire pourquoi. Tout ce que je faisais était mal fait. Elles me reprochaient constamment mon arrêt en me disant “Quand nous sommes arrivées, c’était le Bronx dans le back-office ! Demande-nous comment faire !” Après huit ans dans la même officine, sans aucune remarque de mon patron, je trouvais ça un peu fort. Je l’ai alerté mais il n’a jamais rien fait. La situation est devenue ingérable pour moi. Elles intervenaient constamment, même lorsque je discutais avec des patients. Au bout de quatre mois, je suis partie pour une autre pharmacie. J’étais épuisée », décrit Christelle.

Ces comportements doivent être distingués des faits de harcèlement sexuel, qui sont eux aussi interdits. L’article L. 1153-1 du Code du travail considère qu’il y a harcèlement sexuel lorsqu’une personne impose de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Là encore, ils peuvent être le fait de l’employeur, d’un ou d’une collègue de sexe différent ou de même sexe que la victime (lire Les mots pour… Porphyre n° 590, septembre 2022).

Des agissements répétés ou d’une gravité suffisante

« Le Code du travail ne donne pas de définition précise de la notion d’agissement et de répétition, regrette Dan Nahum, avocat spécialisé en droit du travail. S’il est évident que les insultes ou l’humiliation ne posent pas question, la frontière entre le harcèlement et la pression ou un exercice brutal du pouvoir de direction peut être assez tenue », ajoute-t-il.

Il existe beaucoup de jurisprudence sur la répétition. Ainsi, les magistrats n’imposent pas que les agissements répétés soient de nature différente. Il peut par exemple s’agir de faits similaires qui se poursuivent dans le temps, comme une mise à l’écart. Chaque cas est donc particulier. Le juge appréciera souverainement les éléments de preuve. « Il faut reconnaître que les juges sont très actifs pour faciliter la preuve de tel fait », détaille l’avocat.

Pour autant, la partie n’est pas obligatoirement gagnée pour le salarié. « Dans ce type de dossier, le condiv joue énormément », prévient Dan Nahum. La jurisprudence a par exemple refusé de qualifier de harcèlement la situation d’un salarié ayant subi deux sanctions disciplinaires pour des faits différents en quatre jours. Les juges ont retenu que l’employeur avait fait exercice de son pourvoir de direction. La même solution a été retenue envers un salarié présentant un état d’anxiété et ayant subi des reproches et avertissements répétés justifiés par son comportement.

En revanche, le harcèlement a été reconnu pour une salariée ayant subi un avertissement, puis une rétrogradation disciplinaire. Dans cette affaire, la Cour de cassation retient un « exercice abusif du pouvoir de l’employeur, résultant notamment du caractère disproportionné d’une mise à pied conservatoire remise en main propre devant l’équipe, ce qui a eu pour effet de l’humilier ».

Dans les nombreux témoignages reçus lors de la préparation de cet article, aucune des victimes n’a été en justice. Elles ont préféré quitter leur poste pour « passer à autre chose rapidement », selon les propos des témoins interrogés. Pourtant, le régime de la preuve a été adaptée pour permettre à la victime de se défendre.

La preuve en question

« Dans les dossiers de harcèlement, la preuve est centrale, tant côté employeur que salarié, déclare Dan Nahum. Nous sommes face à une intervention souveraine des juges donc, sauf erreur de droit, aller en cassation ne changera rien. Il faut donc prendre soin de constituer son dossier », conseille-t-il.

L’article L. 1154-1 du Code du travail dispose que la victime doit présenter en premier des éléments de preuve « laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Elle n’a donc pas à démontrer à 100 % la réalité des faits. C’est au regard des éléments apportés par la victime que l’div présumé des faits doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision ou son attitude était justifiée par des éléments objectifs.

La jurisprudence ajoute qu’il n’est pas nécessaire que l’div du harcèlement ait délibérément souhaité nuire au salarié. Il suffit que les faits aient provoqué une dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel pour que le harcèlement moral soit avéré.

En pratique, la victime apportera la preuve de la dégradation de son état par des certificats médicaux, dont un établi par le médecin du travail. « La consultation d’un psychiatre spécialisé dans ce type de situation peut être un atout car il pourra faire un certificat médical attestant d’un trouble anxiodépressif et accompagner le salarié pour passer le cap », conseille Dan Nahum.

Au-delà des preuves médicales, la victime devra apporter des éléments laissant supposer l’existence des faits. Ces éléments peuvent être de toute nature, comme des témoignages de ses collègues, des échanges de textos ou des mails entre la victime et l’div présumé retranscrits par un huissier.

« Une preuve redoutable est l’enregistrement audio clandestin. Le salarié enregistre à son insu l’employeur pour avoir une trace de ses paroles. Mais, attention, il y a un vrai débat juridique sur l’admission par le juge de cette preuve. En pratique, si les enregistrements sont souvent contestés par la partie adverse, le juge décide rarement de les exclure des débats. C’est une arme à manier avec précaution », souligne Dan Nahum.

Une protection pour la victime et les aidants

Afin de libérer la parole, l’article L. 1152-2 du Code du travail protège le salarié qui dénonce « de bonne foi » des faits de harcèlement, qu’il soit victime ou non des agissements rapportés. Ce div interdit à l’employeur de le licencier, de lui appliquer une sanction pour avoir relaté ou témoigné de faits de harcèlement. Le Code ajoute que la rupture du contrat de travail qui violerait ce div serait nulle.

La Cour de cassation s’est employée à renforcer ce dispositif. Ainsi, elle a précisé, par une décision du 7 février 2012 (n° 10-18035), que la mauvaise foi du salarié ne peut résulter que de sa connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce. En d’autres termes, le salarié doit savoir que les faits qu’il rapportent sont faux.

Le 19 avril 2023, par une nouvelle décision (n° 21-21053), la Cour de cassation accroît cette protection. Désormais, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, « peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ». Avant cette date, il était admis que le salarié, pour bénéficier de la protection, devait, dans sa dénonciation, utiliser les mots harcèlement moral pour qualifier les faits. Cette exigence ne s’applique donc plus. Ainsi, victime ou témoin peuvent parler librement pour alerter l’employeur.

L’employeur a un rôle à jouer dans la lutte contre le harcèlement

Le Code du travail impose à l’employeur informé de faits laissant présumer du harcèlement moral de prendre des mesures immédiates pour le faire cesser. Ces mesures doivent être en adéquation avec les faits. « En pratique, l’employeur ne doit pas prendre à la légère un témoignage de harcèlement. Il est primordial qu’il réagisse et soutienne la victime », prévient Dan Nahum.

Il doit déclencher une enquête interne pour vérifier les faits auprès de l’ensemble de l’entreprise. Cette enquête permet d’auditionner de manière professionnelle chacun des salariés de l’équipe. L’employeur doit leur demander de détailler des faits précis. Cet entretien doit donner lieu à un compte rendu partagé avec le salarié auditionné.

« Le Code du travail impose à l’employeur de réagir immédiatement. Or, ce temps d’enquête peut être plus ou moins long car chaque entretien ne doit pas être bâclé. Pendant ce temps, il doit veiller à ce que la victime ne soit pas en relation avec l’div présumé ; pour cela, il peut changer les plannings », conseille l’avocat.

Le salarié div a commis une faute passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Cependant, si l’employeur choisit de licencier le salarié, il doit être en mesure de prouver le harcèlement et non pas seulement des faits laissant présumer un harcèlement, comme la victime peut le faire. C’est pourquoi l’enquête interne est importante.

Le salarié victime ne doit pas subir de conséquences. « Toutefois, généralement, il souhaite quitter l’entreprise pour repartir sur des bases saines. Son départ doit faire l’objet d’une vigilance particulière, car il pourrait être remis en cause par les magistrats », prévient Dan Nahum.

Mais, au-delà de réagir à une déclaration, pour Dan Nahum, il est indispensable que l’employeur anticipe. « Il faut mettre des barrières claires. Dans le contrat de travail et/ou dans le règlement intérieur, les divs du Code du travail relatifs aux harcèlements doivent être remis. C’est une mention, mais elle évitera à l’employeur une sanction », prévient l’avocat.

(1) qualisocial.com/le-barometre-du-harcelement-au-travail-qualisocial-x-ipsos-2022

(2) Les témoignages ont été recueillis via des entretiens téléphoniques et via Facebook. Les prénoms ont été modifiés.

Une démission légitime

Le salarié qui a démissionné pour cause de harcèlement moral peut être pris en charge par l’assurance chômage après son départ de l’entreprise. Dans sa demande d’allocations à Pôle emploi, il doit indiquer avoir été victime de harcèlement moral et justifier d’avoir déposé une plainte auprès du procureur de la République. Il bénéficiera alors des prestations de Pôle emploi.

Choisir la voie civile ou pénale ?

Le harcèlement constitue un délit puni de deux ans de prison et 30 000 € d’amende. La victime peut donc agir en portant plainte auprès des forces de l’ordre. « Le choix de la voie pénale peut faciliter la preuve, tout en permettant à la victime d’obtenir une réparation de son préjudice », indique Dan Nahum, avocat spécialisé en droit du travail. En pratique, les policiers se chargeront alors de l’enquête pour démontrer la matérialité des faits. « Mais, bien souvent, la plainte est classée sans suite par le juge », indique Dan Nahum. La victime doit alors porter plainte avec constitution de partie civile en consignant entre 2 000 et 3 000 €. Cette somme lui sera rendue en fin de procédure. Attention, dans cette voie, les parties ne peuvent pas négocier une solution amiable en cours de procédure.

Reconnaître des faits de harcèlement moral

Pour qualifier des faits de harcèlement moral, trois éléments doivent être réunis :

→ des agissements répétés ;

→ de la part de l’employeur ou d’un autre salarié ;

→ portant atteinte à la santé ou à l’évolution professionnelle d’un autre salarié ou celle de l’employeur.

Le salarié peut choisir de saisir le conseil de prud’hommes ou de porter plainte auprès des forces de l’ordre.

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