“Je n’ai pas assez de lait…” - Porphyre n° 598 du 28/04/2023 - Revues
 
Porphyre n° 598 du 28/04/2023
 

Exercer

Au comptoir

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

1 Je questionne

Préciser la demande

« Quel âge a le bébé ? », « Vous l’allaitez exclusivement ? », « Êtes-vous de nouveau enceinte ? » éclaircissent le condiv. « Qu’est-ce qui vous fait dire que vous n’avez pas assez de lait ? Depuis quand ? », « Votre bébé ne semble pas rassasié ? », « Il pleure après la tétée ? Ne prend pas assez de poids ? » examinent les critères objectifs ou subjectifs de la plainte.

Rechercher certains critères

« Tète-t-il facilement ? Prend-il bien le sein ? », « Souffrez-vous durant ou après la tétée ? », « À quelle fréquence allaitez-vous, et combien de temps ? » renseignent sur la conduite de l’allaitement.

Orienter le choix

« En avez-vous parlé au médecin ou à la sage-femme ? », « Avez-vous essayé quelque chose pour augmenter la lactation ? Si oui, quoi ? » vérifient le suivi et la connaissance des mesures.

2 J’évalue

En majorité, le manque de lait est une crainte infondée ou, s’il est réel, lié à une erreur de conduite de l’allaitement et/ou à des besoins ponctuellement accrus (voir Le condiv). Rassurer et, si besoin, corriger ou adapter la conduite de l’allaitement suffisent souvent à améliorer la situation. Un galactogène « naturel » peut venir en soutien mais il ne remplace pas ces conseils. L’avis du médecin, de la sage-femme ou d’un spécialiste en allaitement est recommandé si la situation perdure plus de 48 à 72 heures ou, immédiatement, si l’enfant est agité, refuse de s’alimenter, urine moins et/ou s’il ne prend plus ou perd du poids.

3 Je passe en revue

Conduite de l’allaitement

• Rassurer. La majorité des femmes fabrique assez de lait, la lactation s’adapte automatiquement aux besoins du bébé.

• Augmenter la fréquence. Plus le bébé tète, plus le lait est produit. Accroître le nombre et la durée de tétées, allaiter « à la demande » et à volonté dès les premiers signes de faim sans attendre les pleurs.

• Corriger la succion au besoin. Vérifier que le bébé a une grande partie de l’aréole en bouche : visage dans l’axe de son corps et en face du sein, ventre contre celui de la mère, tête légèrement maintenue en arrière. Il boit efficacement quand il alterne bouche grande ouverte-pause-bouche qui se referme. S’il « tétouille », comprimer le sein en formant une pince avec le pouce et les autres doigts en arrière de l’aréole pour stimuler la succion et favoriser le drainage des alvéoles.

Plantes galactogènes

Des plantes dites galactogènes ou galactagogues sont utilisées depuis des siècles pour leur capacité à augmenter la sécrétion lactée. Elles contiendraient des molécules actives sur la prolactine ou l’ocytocine (voir Le condiv), sans que leur mode d’action soit bien connu. Des études(1) montrent un bénéfice sur le poids du nourrisson et le volume de lait chez les mères ayant un bébé né à terme, mais elles sont trop hétérogènes et incomplètes pour conclure à leur efficacité, ou pour privilégier l’une ou l’autre. Leur emploi traditionnel, sans effets indésirables préoccupants rapportés, est rassurant mais il n’y a pas de données suffisantes concluant à leur innocuité.

• Traditionnellement, les plus utilisées(2) sont : fenugrec, galéga, chardon-Marie, avoine, anis, fenouil, houblon, orge, moringa. Les plus commercialisées sont le fenugrec (Trigonella foenum graecum, graine) et des apiacées telles que fenouil (Foeniculum vulgare, fruit), anis vert (Pimpinella anisum, fruit) et carvi (Carum carvi, fruit), également eupeptiques, carminatives et antispasmodiques.

• Posologie. Se référer aux monographies européennes. Pour l’anis vert, la dose préconisée est de 1 à 3,5 g de graines en infusion, trois fois par jour ; le carvi : 0,5 à 2 g par tasse, une à trois fois par jour ; le fenouil : 1,5 à 2,5 g à infuser 15 minutes dans 250 ml d’eau bouillante, trois fois par jour. Certaines bénéficient de recommandations dans la Drugs and Lactation Database, tel le fenugrec : 1 à 6 g par jour.

Une action est attendue en un à trois jours. Le traitement peut être poursuivi jusqu’au retour d’une lactation suffisante. Les compléments alimentaires d’action globale peuvent se prendre durant tout l’allaitement : Serenatal, Lactavance …

• Précautions. Éviter le fenugrec, hypoglycémiant, en cas de diabète, sous anticoagulant, dont il peut potentialiser l’effet, et en cas de risque d’allergie : asthme, allergies connues aux légumineuses (pois chiche), arachides et astéracées (armoise, ambroisie, camomille), en raison d’un risque d’allergie croisée(2). Le fenugrec est contre-indiqué durant la grossesse car il provoque des contractions. Pas d’apiacées en cas d’allergie connue à cette famille ou à l’anéthol, principe actif commun ; prudence en cas d’antécédent personnel ou familial de cancer hormonodépendant en raison de leurs propriétés estrogéniques, et à éviter durant la grossesse.

• Effets indésirables. Diarrhée et ballonnements possibles avec le fenugrec, qui peut donner une saveur « sirop d’érable » à la sueur et au lait.

• Formes.

→ Unitaire : gélule (Dayang, Arkogélules, Naturactive…), vrac ou dosette pour infusion (Iphym, Extrane, Marque verte…).

→ En association dans une tisane. Avec fenugrec : Gifrer Maman Tisane allaitement (+ anis vert), Santane Allaitement (+ anis vert, carvi), Liliang Infusion bio allaitement (+ fenouil, anis vert, cumin), Weleda Maternité Tisane allaitement bio (+ fenouil, carvi, anis vert). Sans fenugrec : Tisane allaitement bio Grandir Nature (fenouil, cumin, anis vert), Herbesan Infusion bio allaitement n° 7 (fenouil, carvi), Picot Maman Tisane d’allaitement bio (Fenouil, anis vert, carvi). Avec des plantes digestives ou relaxantes (mélisse, réglisse, passiflore…), favorisant la digestion du nourrisson : tisane Santane Allaitement (verveine + anis vert, fenouil et carvi), Gifrer Maman (réglisse + anis vert, fenugrec)…

→ En association dans d’autres formes. Lactil gélules (fenouil, anis). Avec plantes, vitamines et minéraux pour un soutien global à l’allaitement : calcium pour l’ossature (Galactogil, sol. buvable en sachet + fenouil, orge et anis vert), vitamines A, B, D, fer, magnésium, antioxydants pour contribuer à réduire la fatigue, à booster l’immunité, à maintenir l’état cutané… : Serenatal A cp (+ fenouil, fenugrec), Conception Allaitement cp (+ fenouil), Lactavance cp et capsules (+ fenouil et houblon)…, Matilia boisson lactée et Matilia Allaitement « Mon smoothie bio » (+ fenugrec, anis, orge), Calmosine Allaitement en dosette (+ fenugrec…), Gummies Allaitement 21 jours (+ fenouil, maca) ; origan pour la digestion dans Gifrer Allaitement optimal cp (+ fenugrec, fenouil)…

Homéopathie

Classiquement, Ricinus 5 CH et Alfalfa 6 DH, 5 granules des deux avant chaque tétée, à espacer selon amélioration.

4 Je choisis

• Selon les besoins. Un ou plusieurs galactogènes et/ou associés à des plantes digestives pour une action eupeptique (= bien digérer), ou à un complexe de plantes, vitamines et minéraux pour un soutien du bien-être de la mère.

• Selon la galénique. Les tisanes soutiennent une bonne hydratation quotidienne mais elles sont en général moins dosées que les formes orales.

• Selon le condiv : pas de fenugrec si diabète, grossesse ou trouble de la coagulation, ni apiacée si antécédent de cancer hormonodépendant. Opter pour l’homéopathie si grossesse en cours.

5 J’explique

Faire téter l’enfant davantage pour stimuler la production lactée est la base de la prise en charge, le galactogène vient en plus et non à la place. Les effets se constatent en quelques jours. Si ce n’est pas le cas, consulter un spécialiste en allaitement car le manque de lait, supposé ou réel, est l’une des causes, rarement justifiée, d’arrêt prématuré de l’allaitement.

6 Je conseille

Modalités de prise

Répartir les prises au long de la journée et durant un repas en cas de troubles digestifs, ou juste avant pour le fenugrec. Concasser les graines de fenouil, d’anis ou de carvi avant de les faire infuser, ou procéder à une décoction de quelques minutes avant infusion.

Hygiène de vie

• Ne pas manger ni boire davantage car cela n’augmente pas la sécrétion lactée. Le houblon et le malt d’orge de la bière sont traditionnellement cités comme galactogènes, mais la boire sans alcool car ce dernier passe dans le lait et peut diminuer la lactation. S’abstenir ou se limiter à un verre immédiatement après une tétée, avec un délai de deux à trois heures avant la prochaine.

• Se reposer, éviter le stress, pratiquer régulièrement le peau à peau avec l’enfant optimisent la production lactée.

• Éviter les tétines, bouts de sein et biberons car ils peuvent modifier la succion efficace.

(1) Oral galactagogues (natural therapies or drugs) for increasing breast milk production in mothers of non-hospitalised term infants, Foong SC, Tan ML, Foong WC, Marasco LA, Ho JJ, Ong JH, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2020.

(2) ABM Clinical Protocol #9 : Use of galactogogues in initiating or augmenting maternal milk production, second révision, Brodribb W and the Academy of Breastfeeding Medicine, Breastfeed Medecine, 2018.

Avec l’aimable relecture de Véronique Darmangeat, consultante en lactation, et de Jean-Baptiste Gallé, expert phyto de Porphyre.

Le condiv

→ La lactation est déclenchée par un taux élevé de prolactine, la chute brutale des hormones de la grossesse et la succion efficace du bébé. Elle est régulée selon les besoins de l’enfant, principalement sous l’influence de la prolactine et de l’ocytocine, hormones hypophysaires. Le deuxième contrôle, autocrine, est local ; plus l’enfant vidange les alvéoles, plus il active la production de lait.

→ L’incapacité physiologique à fabriquer assez de lait est rare (< 5 %), liée à une hypoplasie mammaire, à des antécédents de radiothérapie… L’insuffisance transitoire peut être liée au stress ou à la douleur, qui bloquent le réflexe d’éjection, à un pic de « croissance » de l’enfant ou une conduite inappropriée de l’allaitement : tétées insuffisantes ou espacées, position au sein inadaptée…

→ Les pleurs du soir, l’agitation, un besoin plus important de téter sont souvent perçus comme un manque potentiel de lait qui ne rassasie pas l’enfant alors qu’ils ont d’autres causes.

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