Quand maman ne va pas fort - Porphyre n° 581 du 26/11/2021 - Revues
 
Porphyre n° 581 du 26/11/2021
 

Comprendre

Les mots pour…

Auteur(s) : Christine Julien

Soutenir en périnatalité. Écouter sans trop rassurer ni banaliser et repérer les fragilités permettent d’orienter les femmes avec des troubles émotionnels lors de la grossesse et en post-partum.

Un fleuve pas tranquille

Si la grossesse est physiologique, elle est également un événement psychique car devenir mère n’est pas inné. Et s’occuper d’un enfant n’est pas naturel.

Un physique chamboulé

→ Le cerveau se modifie. La grossesse provoque des changements structurels dans le cerveau, qui persistent environ deux ans après l’accouchement(1). Ces mutations architecturales très profondes et visibles sur des IRM fonctionnelles ont lieu dans les zones stimulées par les interactions avec un bébé. Elles développeraient les capacités à reconnaître les besoins de l’enfant.

→ Le sommeil s’adapte. Lors des dernières semaines avant l’accouchement et dans les premières semaines après, des hormones fragmentent le sommeil en paquets de deux à trois heures sur 24 heures, alternant avec des états d’éveil pour que la mère nourrisse son bébé.

Un psychique convoqué

→ La mère en devenir. En début de grossesse, beaucoup s’interrogent sur comment devenir mère, comment se construire par rapport au modèle parental. La neuro-psychiatre psychanalyste Monique Bydlowski parle de « transparence psychique ». L’enfant à venir est porteur de la biographie de la mère et des représentations mentales inconscientes de ses parents à elle. La femme est convoquée à sa propre histoire.

→ Être mère n’est pas biologique. Il y a une co-construction de la maternalité, au sens d’être mère psychiquement, qui se fait en lien avec le binôme parental et l’enfant.

→ Des renoncements. « On ne peut pas faire l’impasse sur ce que vit la femme en accouchant en termes de deuil compris au sens de perte »(2). Le statut social et psychique se modifie. Certaines supporteront mal de ne plus être la petite fille de leur papa, ou une perte d’idéal.

Un après-naissance fatigant

→ Le baby-blues, qui touche 80-90 % des femmes, est une variation émotionnelle légère, d’intensité modérée et très courte, de trois à cinq jours. Ce n’est pas de la tristesse mais un état d’hyperesthésie, d’hypersensibilité à tout. Le baby-blues signe les mutations cérébrales de la grossesse (voir plus haut). Ce réglage du cerveau, qui monte le son des émotions et des sens, n’est pas agréable à vivre, d’où le blues. Bienveillance et étayage (= soutien) suffisent à le stabiliser. À J10, ou J15, ce n’est plus un baby-blues…

→ La dépression du post-partum. Ces troubles de l’humeur ressemblent fortement à des troubles bipolaires de type II, avec des premiers épisodes qui se déclenchent à cette occasion, avec passages hypomaniaque et dépressif.

Des raisons de s’investir

Une périnatalité à risque

« Jusqu’à 30 % des femmes en périnatal vont présenter des symptômes psychiques cliniquement significatifs, du moins grave au plus grave, dont environ 15 % pendant la grossesse »(3). Du trouble de l’adaptation à la dépression, jusqu’à la psychose puerpérale grave mais rare, leur impact est majeur sur la survenue de troubles psychiatriques au cours de la vie.

Un psychosocial pesant

Isolement social, soutien familial absent ou difficultés matérielles, les facteurs psychosociaux jouent un rôle fondamental en périnatal. Au moment où le cerveau est le plus fragile, une mère sans soutien, sans argent, sera plus à risque de décompenser une pathologie.

Un entretien prénatal méconnu

Alors que 78 % des primipares et 34 % des multipares suivent les séances de préparation à la naissance et à la parentalité, seules 28,5 % des femmes ont eu un entretien prénatal précoce (EPP)(4). Proposé dès le début de la grossesse au couple par une sage-femme ou un médecin, ce temps d’échange de 45 minutes permet de parler de sa vision de la grossesse.

Bébé ne doit pas trinquer

Un bébé a besoin d’un environnement chaleureux, d’un adulte qui comprenne et réponde à ses besoins pour que son cerveau grandisse et fasse des acquisitions ordonnées. Si sa tête n’est pas tenue pour observer son environnement, le bébé met toute son énergie à la tenir lui-même, au détriment de ses apprentissages. Un nourrisson a besoin de son énergie psychique pour apprendre, pas pour pallier les manques de l’adulte.

Faire partie de la chaîne

Sage-femme, gynécologue, psychiatre, généraliste ou puéricultrice… en libéral, dans un service de protection maternelle et infantile (PMI) ou une unité mère-enfant, les professionnels graduent leurs réponses selon les situations. Parfois de simples conseils de puériculture ou une aide ponctuelle pour que la femme se repose suffiront. Encore faut-il qu’elle ose en parler L’officine est un endroit où déposer cette parole. À vous de repérer et d’orienter à bon escient.

Soutenir la grossesse

Évoquer l’EPP

Demandez à toute femme enceinte si elle est suivie et si elle connaît l’entretien prénatal précoce. « Il permet de réfléchir au condiv d’arrivée de bébé avec un professionnel. N’hésitez pas à le réclamer. »

Conforter

Elle dort mal, mange beaucoup ou moins, est hyperactive ou ralentie, elle a mal partout, ou multiplie les visites aux urgences, une femme enceinte a parfois du mal à se projeter comme mère. Perturbée par ses émotions et prise en étau entre l’image de la femme accomplie et son envie de se poser, elle confie : « Je ne sais pas comment je vais faire ? » Répondez : « Vous ne savez pas, c’est normal. Les choses se mettront en place au moment où la rencontre aura lieu entre vous et votre bébé » ou « La grossesse, ce n’est pas simple. C’est un tsunami psychique qui atteint plus ou moins toutes les femmes enceintes. Si vous sentez que ça “déborde”, ne restez pas seule et échangez. »

Quand bébé arrive

Repérer est primordial

Un cerveau fragilisé, une mère qui n’ose pas demander de l’aide, qui s’épuise et ne dort plus… Avant de « psychiatriser », des moyens simples peuvent stopper l’escalade vers une situation plus grave.

→ S’enquérir de son état. « Ce n’est pas simple d’être maman. Alors, comment ça se passe avec ce bébé ? » Considérez son émotion sans banaliser. Reformulez si besoin : « Oui, c’est très difficile/éprouvant/ compliqué, vous avez raison. » Rappelez que l’après-naissance est un tsunami psychique, que chacun exprime à sa façon. Dites : « La plupart du temps, il est intéressant de pouvoir en parler à un tiers formé qui peut vous accompagner. »

→ Analyser le sommeil. « Comment vous dormez depuis l’arrivée de bébé ? » Un sommeil saccadé est normal, ne plus dormir entre l’allaitement ne l’est pas. Il faut six à huit heures de sommeil sur 24 heures pour récupérer. Si ce n’est pas le cas et si en plus le bébé ne dort pas, une aide est nécessaire. Dites : « Pouvezvous demander de l’aide à quelqu’un ? » Cela peut suffire. L’objectif est de dormir pour récupérer !

→ Évaluer les soutiens. Étayer peut éviter de s’écrouler. « S’entourer de personnes bienveillantes et “soutenantes” est important parce que vous en avez besoin. Sur qui pouvez-vous compter ? »

→ À éviter : « Ne vous inquiétez pas, c’est normal, ça va aller », « N’angoissez pas, tout va bien se passer », qui n’aident en rien. La personne qui souffre a alors l’impression de ne pas être à la hdiv. Elle se retrouve seule face à son angoisse et n’ose plus en parler.

Orienter

→ Si les troubles persistent au-delà de sept-dix jours, renvoyez la femme vers quelqu’un qu’elle connaît, généraliste, sage-femme, PMI. La réponse sera graduée en fonction de son évaluation.

→ Si la femme le souhaite, testez avec elle son humeur avec l’auto-questionnaire EPDS sur l’appli « 1 000 premiers jours ».

→ Une maman sans aucun lien qui dit « Je n’en peux plus. Je préférerais que le bébé ne soit pas là » peut à un moment d’épuisement faire du mal à son enfant. Dites : « J’ai l’impression que vous êtes épuisée psychiquement, que vous avez besoin de vous faire aider. On va voir comment. » Dites-lui que vous appelez le Samu.

Donner des contacts

→ Des lieux d’écoute et d’accueil parents-enfants (sur monenfant.fr), les maisons vertes… accueillent dès la grossesse et visent à recréer du lien social. Parfois, le message passe mieux dit par des pairs.

→ Maman blues est le site de la difficulté maternelle, avec des relais dans les régions (sur maman-blues.fr).

→ Allô Parents Bébé (0 800 00 34 56) est un numéro anonyme et gratuit d’aide et de soutien à la parentalité, dès la grossesse et jusqu’aux trois ans de l’enfant, grâce à des psychologues et des puéricultrices.

→ Les visites post-natales assurent un débriefing de l’accouchement et dépistent les troubles de l’humeur : hors Prado , de J0 à J12, la visite d’une sagefemme à domicile est prise en charge à 100 %. De J12 à la consultation post-natale, les séances post-natales le sont à 70 %. C’est à la femme de faire la démarche. En 2022, un entretien post-natal précoce avec un temps d’écoute spécifique permettra de mettre des mots sur le vécu de la naissance…

(1) Pregnancy leads to long-lasting changes in human brain structure, Elseline Hoekzema et all, Nature Neuroscience, février 2017.

(2) Quand la mère est absente. Souffrance des liens mère-enfant, Hélène Romano, Éd. Odile Jacob, 2021.

(3) Anne-Laure Sutter, Journée de réflexion citoyenne sur les 1 000 premiers jours de l’enfant, 23 janvier 2020.

(4) Enquête Natalité 2016 (epopé-inserm.fr).

Se former

• Ressources en ligne : sarahbenjilany.sagefemme.sitew.com, cnsf.asso.fr/pratiquesprofessionnelles/rpc-du-cnsf/interventions-periode-perinatale

• DIU en périnatalité, dont celui de Brest et Toulouse, « DIU Soins centrés sur le nouveau-né et sa famille : soins de développement et allaitement maternel ».

• Se rapprocher des réseaux de santé en périnatalité (ffrsp.fr), des unités mère-enfant… Plus d’infos sur marce-francophone.fr

Un immense merci à Anne-Laure Sutter, pédopsychiatre, responsable de l’unité mère-enfant de Bordeaux (33) et du réseau de psychiatrie périnatale, à Sarah Benjilany, sage-femme à Enghien-les-Bains (95), membre du Collège national des sages-femmes, consultante en lactation, psychologue de l’enfant et du développement, et à Hélène Romano, psychologue clinicienne et experte auprès des tribunaux, et autrice(2).

(2) Quand la mère est absente. Souffrance des liens mère-enfant, Hélène Romano, Éd. Odile Jacob, 2021.

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