Le droit du travail au féminin - Porphyre n° 581 du 26/11/2021 - Revues
 
Porphyre n° 581 du 26/11/2021
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Anne-Charlotte Navarro

Sur les 124 596 salariés de la pharmacie d’officine, 89,6 % sont des femmes, selon les derniers chiffres de l’Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL). En revanche, les dispositions spécifiques du droit du travail pour les femmes sont récentes, voire très récentes. Retour sur vos droits, mesdames.

Si, au cours de l’histoire, les femmes ont toujours travaillé, à l’officine ou ailleurs, le droit, et notamment le droit du travail, les a longtemps ignorées. En 1907, une femme mariée n’a le droit de travailler qu’avec l’accord de son mari. En pratique, il devait contresigner son contrat. En revanche, dès cette date, elle peut disposer librement de son salaire, contrairement à ses autres biens. Les femmes devront attendre 1965 pour pouvoir se passer de cette autorisation. En 1909, une femme peut bénéficier d’un arrêt maternité facultatif et non payé de huit semaines. Ce n’est qu’à partir de 1970 que les salariées françaises bénéficieront d’un tel arrêt rémunéré. Sa durée est peu à peu allongée. Il passe de quatorze semaines depuis 1946 à seize semaines par la loi du 17 juillet 1980.

En 1946, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs est inscrit dans le préambule de la Constitution : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » Cette même année, la notion de salaire féminin est supprimée.

En 1972, une loi impose un même salaire pour un même travail. Malgré tout, les statistiques montrent qu’une femme gagne en moyenne 25 % de moins par mois qu’un homme au même poste. À l’officine, le respect scrupuleux de la grille limite cet écart. Mais les 89,6 % de salariées de l’officine(1) peuvent rencontrer d’autres problèmes tout au long de la relation de travail…

Séparer vie privée et vie pro pour éviter les discriminations

Ces dernières années, l’une des préoccupations du législateur a été de faire disparaître les discriminations à l’embauche.

Le recrutement

L’article L. 1132-1 du Code du travail proclame « qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] en raison de son sexe. » D’autres causes de discrimination existent, comme le handicap, l’orientation sexuelle ou le pays d’origine. Le code pénal sanctionne de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de pratiquer une discrimination à l’embauche.

Le législateur estime que, pour ne pas discriminé, il est préférable que le futur employeur ignore la vie privée du candidat. Ainsi, l’article L. 1221-6 dispose que « les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. » Par exemple, l’employeur ne peut pas demander à une candidate si elle est mariée, si elle a des enfants ou compte en avoir, ou encore la profession de son conjoint. De même, son CV n’a pas à indiquer ces informations, qui n’ont aucun lien avec l’emploi proposé ou l’évaluation des aptitudes professionnelles.

Lors de l’entretien, face à une question intime, la candidate a le droit de ne pas répondre et d’indiquer que la question n’a aucun lien avec le poste proposé car, en pratique, être mariée ou avoir des enfants n’influence en rien les capacités de la préparatrice à dispenser des médicaments. Si elle postule pour le poste, c’est qu’elle estime qu’il est compatible avec sa vie personnelle, cette compatibilité ne regardant qu’elle et sa famille.

Une fois en poste, la salariée n’a pas plus à subir de discriminations par rapport à sa vie privée. Par exemple, elle ne peut pas être exclue du paiement d’une prime car elle a des enfants ou l’employeur ne peut pas lui refuser ou lui accorder son mercredi de repos pour la seule raison qu’elle a des enfants. L’ensemble des décisions de l’employeur doit être justifié par des raisons objectives liées à la bonne marche de la pharmacie. Cependant, cette justification peut avoir pour conséquence de « maquiller » un refus discriminatoire. Par exemple, un employeur pourra ne pas accorder un repos le mercredi s’il est en manque de personnel ce jour-là, mais parfois cette raison ne peut être qu’un prédiv.

La discrimination en pratique

Si le principe est simple à énoncer, en pratique, les choses se compliquent. Ainsi, dans une étude sur la perception des discriminations(2), réalisée en 2020 par le Défenseur des droits (voir encadré), l’institution note que « plus de quatre personnes actives sur dix ont été témoins de discrimination (s) ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de leur emploi, tous secteurs confondus. » L’étude note que, depuis 2012, cette proportion a augmenté de 8 points. 23 % des personnes actives en France déclarent avoir été victimes de discrimination (s) ou de harcèlement discriminatoire dans leur emploi, sans différence significative selon le secteur d’activité.

Les critères de discrimination les plus souvent évoqués sont l’apparence physique (40 % des personnes ayant déclaré des discriminations ou du harcèlement discriminatoire), le sexe (40 % d’entre elles) et l’état de santé (30 % d’entre elles). En moyenne, la proportion de la population active déclarant avoir été discriminée dans l’emploi a diminué de 7 points depuis 2013. Cette différence entre la perception et la discrimination démontre que les mentalités changent et que la population est de mieux en mieux à même de reconnaître de tels faits.

L’un des problèmes de la discrimination est la preuve. Comment démontrer par des éléments objectifs et factuels qu’une préparatrice a été écartée d’un poste car elle a refusé de répondre à une question indiscrète sur sa vie privée ou qu’elle a un emploi du temps « pourri » simplement car elle est une femme ? Le législateur prend en compte cette difficulté en permettant au candidat ou au salarié d’apporter au juge des faits qui « font présumer la discrimination ». C’est ensuite à l’employeur de démontrer que sa décision était justifiée par des éléments objectifs liés à la bonne gestion de son entreprise.

À la lecture des décisions de justice sanctionnant les comportements discriminatoires vis-à-vis des femmes, l’une des causes est, encore aujourd’hui, un possible arrêt maternité qui oblige l’employeur à remplacer la salariée durant plusieurs mois et protège la salariée contre le licenciement (voir Vos droits p. 48).

Le harcèlement est un danger dans les petites équipes

À côté de la discrimination, le harcèlement moral ou sexuel est fréquemment évoqué par les femmes dans le monde du travail, bien qu’elles n’en soient pas les victimes exclusives.

Le Code du travail définit le harcèlement moral comme « des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Ces agissements peuvent être le fait d’un autre salarié ou de l’employeur. Ils peuvent être divers : des changements d’horaires réguliers sans raison objective, le prononcé de quatre avertissements envers un salarié dont aucun n’était fondé, des reproches répétés en termes humiliants face à l’ensemble de l’équipe. Ils sont appréciés au cas par cas par les juges en fonction des éléments apportés par le ou les salariés qui en sont victimes.

L’div des faits de harcèlement encourt une sanction pénale maximale de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, en plus d’une rupture de son contrat de travail et d’une condamnation à des dommages et intérêts pour la victime.

Des blagues sexistes ne sont pas drôles

De son côté, le harcèlement sexuel « consiste à imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » Comme en matière de harcèlement moral, les faits sont appréciés au cas par cas par les juges. Il peut s’agir de gestes inappropriés au travail, de propositions sexuelles, de commentaires sur la tenue d’un autre salarié.

Depuis le 3 août 2018, un nouveau délit d’outrage sexiste a été institué. Ce délit a vocation à s’appliquer lorsque les faits ne sont constitutifs ni de violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité, ni d’une exhibition sexuelle, ni du harcèlement sexuel ou moral. Ce div permet aux juges de punir les propos sexistes ou l’humour potache sur le lieu de travail, qu’il soit le fait d’un homme ou d’une femme. La loi ne spécifie pas le sexisme. Le dictionnaire Larousse le définit comme « une attitude discriminatoire fondée sur le sexe et, qui plus est, assimilée à l’hostilité aux femmes. »

80 % des salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou à des décisions sexistes, selon une enquête du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) réalisée en 2018. En pratique, les exemples ne manquent pas et les réseaux sociaux, sous les hashtags #balancetonboss, etc., libèrent la parole. Ainsi, certaines dénoncent l’accueil par l’employeur d’un « Bonjour mes chéries ! », ou une autre raconte qu’on lui demande de faire le café en début de réunion sans justification particulière sinon qu’elle est une femme.

Plusieurs décisions condamnent de tels propos. Par exemple, les juges de la cour d’appel de Paris ont considéré, le 3 décembre 2019, que le licenciement pour faute d’un animateur salarié d’une chaîne de télévision était justifié par la déclamation de la blague sexiste suivante : « Les gars, vous savez c’qu’on dit à une femme qu’a déjà les deux yeux au beurre noir ? On lui dit plus rien, on vient déjà d’lui expliquer deux fois ! » Mais ce type de propos se situe souvent dans une zone grise, à la frontière entre l’humour inapproprié ou de mauvais goût et les propos sexistes, ce qui rend la condamnation encore difficile.

Face à une demande de condamnation ou de validation d’un licenciement, le juge devra tenir compte de la perception par les tiers et du condiv. Même si l’employeur n’est pas l’div de ces agissements, il en est responsable, car il est le garant de la sécurité et de la santé des membres de son équipe, en vertu du Code du travail. Ainsi, informé, il doit immédiatement réagir pour mettre fin à la situation de harcèlement ou sanctionner les comportements sexistes. À défaut, il pourra être condamné au même titre que l’div des faits.

La tenue vestimentaire est une liberté limitée

À la frontière de la discrimination sexuelle ou religieuse et de la liberté de choix du salarié, il y a la question de la tenue : robe courte, tatouage, piercing… ou port du foulard. La salariée est libre de s’habiller comme elle le souhaite. Cependant, l’employeur peut apporter des restrictions à deux conditions, posées par le Code du travail. La nature des tâches confiées à la salariée doit justifier les contraintes vestimentaires et elles doivent être proportionnées au but recherché.

Dans une décision-cadre du 2 octobre 2019, le Défenseur des droits rappelle que seules des raisons liées à l’hygiène et à la sécurité ou le contact avec la clientèle peuvent justifier des contraintes imposées en matière vestimentaire. Ainsi, l’employeur peut exiger des préparatrices réalisant des préparations qu’elles attachent leurs cheveux ou aient une blouse fermée pour des raisons de sécurité, ou encore que celles au comptoir portent une blouse déterminée avec un badge, mais il n’est pas possible d’imposer, par exemple, le port de la même blouse aux salariées ne travaillant que dans le back-office car elles n’ont pas de contacts avec la clientèle.

Dans sa décision, le Défenseur des droits pose des limites aux contraintes qui peuvent être dictées. Ainsi, « un employeur ne peut pas, par exemple, exiger de ses salariés qu’ils portent des vêtements incommodants ou trop serrés ou encore des chaussures à talons hauts pour une fonction exigeant une station debout prolongée. Il ne peut pas non plus leur interdire de se couvrir lorsqu’ils ont froid ou de se découvrir lorsqu’il fait chaud. »

Depuis des années, la question du voile occupe les juges pour savoir si son interdiction est justifiée au regard de la nature des tâches confiées à la salariée et si elle est proportionnée. Le 14 avril 2021, la Cour de cassation (n° 19-24079) a décidé qu’une enseigne d’habillement ne peut pas interdire le port du voile à une salariée en raison des supposées attentes de la clientèle et de l’image de l’entreprise. Le 15 juillet 2021, (nos C 804-18 et C 341-19), la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une règle interne d’une entreprise interdisant aux travailleurs de porter tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail ne constitue pas, à l’égard des travailleurs qui observent certaines règles vestimentaires en application de préceptes religieux, « une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions, dès lors que cette règle est appliquée de manière générale et indifférenciée, et non limitée aux signes de grandes tailles. » En d’autres termes, l’employeur peut interdire le port du voile via une clause de neutralité dans le contrat de travail de chaque salarié, un règlement intérieur ou une note de service, à condition que l’ensemble des signes religieux – croix, kippa, etc. – soit interdit dans l’entreprise.

À défaut de clause écrite, la Cour de cassation estime que l’interdiction faite oralement à une salariée de porter le foulard en lien avec l’islam dans ses contacts avec les clients constitue une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses, dans la mesure où elle vise un signe religieux déterminé (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855).

(1) Données établies à partir des données de la déclaration sociale nominative (DSN) 2008-2016 fournies par l’Insee et de prévisions statistiques pour les années 2017-2019.

(2) www.defenseurdesdroits.fr > Publications > Études et recherches > 13e Baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi

Le Défenseur des droits

Cette autorité administrative indépendante a été créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et instituée par la loi organique du 29 mars 2011. Nommé par le président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, le Défenseur des droits est chargé de défendre les droits des citoyens face aux administrations, mais dispose également de prérogatives particulières en matière de promotion des droits de l’enfant, de lutte contre les discriminations, de respect de la déontologie des activités de sécurité. La titulaire actuelle est Claire Hédon.

L’autorité dispose d’un service juridique qui aide les victimes de discriminations dans leurs démarches juridiques pour aboutir à la condamnation des divs.

Un long chemin vers l’égalité

→ 13 juillet 1907 : loi permettant aux femmes de disposer librement de la rémunération de leur travail.

→ 27 novembre 1909 : congé maternité de huit semaines non rémunéré. Il le sera en 1970.

→ 30 juillet 1946 : arrêté supprimant le salaire féminin. Avant, les femmes avaient un abattement sur leur salaire.

→ 13 juillet 1965 : suppression de l’autorisation maritale de travail pour une femme mariée. Elle peut disposer librement de ses biens.

→ 11 juillet 1975 : interdiction de rédiger une offre d’emploi réservée à un sexe, de refuser une embauche ou de licencier en fonction du sexe ou de la situation de famille, « sauf motif légitime » pour les mannequins, acteurs.

→ 9 février 1976 : directive européenne introduisant la notion d’égalité de traitement, qui vise à passer d’une égalité formelle à une égalité réelle. Elle enjoint les États à prendre des mesures afin de supprimer les dispositions discriminatoires envers les femmes et contraires au principe de l’égalité de traitement.

→ 13 juillet 1983 : loi Roudy sur l’égalité professionnelle transposant la directive de 1976 dans le Code du travail et le code pénal. La loi réaffirme le principe de l’égalité dans tout le champ professionnel : recrutement, paie, promotion ou formation.

→ 11 mars 1986 : circulaire demandant la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades, ou titres dans les divs et documents officiels. L’Académie française se résout à féminiser les noms de métiers en 2019.

→ 27 janvier 2011 : loi fixant des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises. Trois ans après la promulgation, ces instances doivent compter au moins 20 % de femmes et six ans après, 40 %. Le non-respect de ces quotas entraîne la nullité des nominations, sauf celles des femmes.

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