La téléconsultation en officine frémit - Porphyre n° 579 du 24/09/2021 - Revues
 
Porphyre n° 579 du 24/09/2021
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Magali Clausener

Avec la crise sanitaire, le nombre de téléconsultations a explosé. Des officines se sont lancées dans l’aventure. Si leur offre est avant tout un service rendu à la population, les prestataires parient sur son déploiement dans toute la France au cours des années à venir.

C’est en 2018 que l’Assurance maladie a commencé à prendre en charge la téléconsultation. Pour autant, malgré la multiplication des prestataires, peu de médecins et de pharmaciens la proposaient mais ça, c’était avant la Covid-19. Le premier confinement, du 17 mars au 11 mai 2020, a dopé la pratique. L’Assurance maladie comptabilisait moins de 10 000 téléconsultations par semaine jusqu’à la fin de février 2020. Elle en a remboursé 80 000 la semaine du 16 mars, puis 486 369 du 23 au 29 mars. En avril, le chiffre a atteint 4,5 millions d’actes ! Au total, 19 millions de téléconsultations ont été facturées en 2020.

Si les règles de remboursement assouplies et le condiv sanitaire expliquent cette forte hausse, la pratique est désormais entrée dans les moeurs. De plus en plus de pharmacies se positionnent sur ce service.

En quoi consiste la téléconsultation en offi cine ?

« La téléconsultation se définit comme la consultation à distance réalisée par un médecin exerçant une activité conventionnée, dit “téléconsultant”, quel que soit son secteur d’exercice et sa spécialité médicale, et un patient, ce dernier pouvant, le cas échéant, être assisté par un autre professionnel de santé », explique l’avenant n° 15 de la convention pharmaceutique, signé le 6 décembre 2018 par les syndicats de pharmaciens et l’Assurance maladie. En officine, la téléconsultation doit être réalisée par vidéotransmission, c’est-à-dire en visio, dans un local fermé permettant de garantir la confidentialité des échanges et l’intimité du patient. Le pharmacien doit aussi mettre à disposition du patient quatre équipements afin de transmettre certaines données au médecin : stéthoscope connecté, otoscope connecté, oxymètre et tensiomètre. Cet équipement est obligatoire si le pharmacien veut percevoir la prime d’équipement et la rémunération liée aux téléconsultations versées par l’Assurance maladie (voir la question sur la rentabilité).

Le rôle du pharmacien est donc double : permettre aux patients de téléconsulter un médecin et les accompagner si besoin dans l’utilisation des équipements, voire transmettre leurs données administratives au médecin.

Quel est l’intérêt de faire de la téléconsultation ?

Selon l’Assurance maladie, « la télémédecine constitue un mode d’organisation déterminant de l’amélioration de l’efficience de l’organisation et de la prise en charge des soins ».

« La téléconsultation est une solution pour améliorer l’accès aux soins dans les déserts médicaux, sachant que ceux-ci ne concernent pas seulement les zones rurales, mais aussi périurbaines », observe Donatien Le Liepvre, chargé de projets stratégiques chez Qare, plateforme de téléconsultation. De fait, le maillage territorial des 21 149 officines(1) en France, outre-mer comprise, est un atout pour les patients. La téléconsultation permet aussi aux patients de consulter lorsque leur médecin n’est pas disponible, par exemple en fin de journée ou le week-end. « C’est un service rendu à la population », résume Laurent Filoche, président du groupement de pharmaciens Pharmacorp.

Comment est-elle remboursée ?

Le tarif d’une téléconsultation est le même que celui d’une consultation en face à face. Entre 23 € et 58,50 € selon la spécialité et le secteur d’exercice du médecin (secteur 1, secteur 2). Hors crise sanitaire, la téléconsultation est prise en charge à 70 % par l’Assurance maladie, et davantage dans certains cas : affection de longue durée dans le cadre d’un protocole de soins, maternité… Le remboursement est toutefois soumis à condition : le médecin qui téléconsulte doit avoir vu le patient dans les douze mois précédant la téléconsultation, ou bien le patient a été orienté vers ce « télémédecin » par son médecin traitant. Des exceptions existent pour l’accès direct à certains spécialistes tels que gynécologue, ophtalmologue, stomatologue, chirurgien ORL ou maxillo-facial, psychiatre et pédiatre, pour les patients de moins de 16 ans, une situation d’urgence, les patients sans médecin traitant ou si ce dernier est indisponible dans un délai compatible avec leur état de santé.

Dans le cadre de la crise sanitaire, l’Assurance maladie a assoupli les conditions de prise en charge de la téléconsultation et la rembourse à 100 %. Cette dérogation a été prolongée jusqu’à fin 2021 par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2021, publiée au Journal officiel du 15 décembre 2020 (article 61).

Le paiement par le patient se fait par carte bancaire via la plateforme de téléconsultation.

Concrètement, comment ça marche en officine ?

Pour réaliser une téléconsultation, le médecin et le patient doivent chacun disposer d’un ordinateur, d’une webcam ou même d’un smartphone et d’une liaison Internet. Encore faut-il que les deux puissent se mettre en relation. C’est là qu’interviennent les prestataires de prises de rendez-vous en ligne, comme Doctolib, qui proposent des rendez-vous pour des consultations en cabinet et des téléconsultations. En officine, le principe est le même. Les pharmaciens doivent passer par un prestataire mettant en relation patients et médecins. Outre l’accès à des médecins via leur plateforme, certaines sociétés comme Maiia, Medadom, MaQuestionMédicale, Tessan et Qare proposent aux pharmaciens des solutions intégrant les équipements prévus dans l’avenant conventionnel.

Quelles sont les offres pour les titulaires ?

Trois grandes offres existent à l’heure actuelle sur le marché.

La première consiste en un accès à la plateforme web et à un logiciel permettant la mise en relation entre patient et médecin, voire d’un ordinateur doté d’une webcam, couplé avec des objets connectés (stéthoscope, tensiomètre, otoscope, thermomètre, oxymètre…). Cette solution simple permet de placer facilement un ordinateur et les objets connectés dans un espace dédié au sein de la pharmacie.

La deuxième est une borne de téléconsultation qui intègre l’ordinateur et les objets connectés dans un meuble compact. La borne peut comporter des roulettes afin d’être déplacée plus facilement.

Enfin, il existe des cabines de téléconsultation complètement fermées. Elles comprennent les mêmes éléments qu’une borne mais donnent la possibilité au patient de s’isoler. Ces cabines, relativement volumineuses, offrent l’avantage de disposer d’un espace confidentiel et équipé à condition d’avoir une superficie suffisante.

Les tarifs varient selon la solution : de 50 € par mois pour un abonnement à la plateforme à 199 € par mois pour une borne, sans compter l’investissement pour l’équipement (voir tableau p. 23). Ces tarifs peuvent être plus bas dans le cadre de partenariats passés avec des groupements.

Combien de pharmacies proposent la téléconsultation ?

Difficile de savoir exactement combien d’officines se sont lancées dans la téléconsultation ! Maiia revendique 1 800 officines utilisant sa solution, Medadom près de 1 000 pharmacies, MaQuestionMédicale, une centaine. Tessan et Qare préfèrent ne pas communiquer de chiffres précis. Qare évoque tout de même « des centaines de pharmacies ».

La téléconsultation devrait se développer dans le réseau officinal. L’offre est finalement assez récente car la téléconsultation remboursée en officine n’a vraiment démarré qu’en septembre 2019, après la parution de l’avenant au Journal officiel du 6 septembre 2019. Ensuite, de plus en plus de groupements concluent des partenariats avec des prestataires. Par exemple, Pharmactiv a signé un partenariat avec Maiia en juillet 2020 et une cinquantaine de pharmacies adhérentes ont opté pour cette solution, Giphar avec Medadom en avril 2021 et près d’une centaine de pharmacies sont équipées. D’autres groupements ont plusieurs partenariats afin d’offrir le choix à leurs adhérents. Ainsi, Pharmacorp a signé avec Maiia et Medadom.

Est-ce rentable ?

L’avenant n° 15 prévoit une rémunération par année civile pour les pharmaciens réalisant des téléconsultations : 200 € pour 1 à 20 téléconsultations, 300 € pour 21 à 30 téléconsultations et 400 € pour plus de 30 téléconsultations. Les pharmaciens perçoivent également un forfait annuel pour leur équipement : 1 125 € la première année, puis 350 € les années suivantes. En outre, les pharmaciens « récupèrent » les ordonnances délivrées dans le cadre des téléconsultations.

Pour autant, ils estiment que la téléconsultation est loin d’être rémunératrice. « Nos pharmaciens prennent majoritairement cette solution pour répondre à une problématique d’accès aux soins des patients plus que par intérêt économique », déclare Ludovic Guilbaud, chef de projet santé au sein du groupement Giphar. Laurent Filoche partage ce constat : « Pour l’instant, la téléconsultation n’est pas rentable ».

De fait, si l’investissement dans un équipement autre qu’une cabine peut être amorti totalement ou en partie avec la prime versée par l’Assurance maladie la première année, le forfait annuel pour les actes ne couvre pas forcément les frais d’abonnement. Par exemple, s’il faut débourser 600 € par an (12 mois à 50 €), la pharmacie doit au moins réaliser plus de 30 téléconsultations pour percevoir 400 €.

Selon Donatien Le Liepvre, l’équilibre économique peut être atteint les années suivantes, entre la prime d’équipement de 350 € et la rémunération forfaitaire. En outre, l’accompagnement des patients par l’équipe officinale prend du temps. Il faut expliquer le fonctionnement du dispositif aux patients et, pour certains d’entre eux, les aider à utiliser les objets connectés. On est donc loin d’une source de revenus complémentaire importante pour la pharmacie.

La téléconsultation fonctionne-t-elle bien ?

Le service n’est pas, de plus, toujours performant. L’inconvénient que pointent les pharmaciens est le temps d’attente pour avoir un médecin disponible. Si les prestataires affirment que le médecin est en général joignable en dix à quinze minutes maximum, ce n’est pas toujours le cas. Il faut savoir que les prestataires ont des réseaux plus ou moins importants de médecins libéraux. Et ces derniers réservent des créneaux horaires pour les téléconsultations en fonction de leurs disponibilités. Maiia se targue de travailler avec 22 000 médecins généralistes et spécialistes, Medadom compte environ 150 médecins « partenaires », Tessan un millier de praticiens, auxquels s’ajoute une soixantaine de médecins salariés, MaQuestionMédicale dispose d’un réseau de 3 000 médecins. Qare n’a pas souhaité communiquer de chiffres, mais dans tous les cas, le principe est identique. La plateforme recherche d’abord les médecins de proximité disponibles, puis, s’ils ne le sont pas, des praticiens plus éloignés géographiquement.

Quel avenir ?

La téléconsultation va sans doute se déployer dans un plus grand nombre de pharmacies, mais elle ne sera pas proposée dans toutes. Beaucoup d’officines, notamment dans les centres-villes, ne disposent pas d’espace confidentiel ou sont trop petites pour mettre en place une cabine de téléconsultation. D’autres ne proposeront pas ce service s’il ne répond pas à une vraie demande. Pour l’heure, les motifs de téléconsultation en officine concernent avant tout les petites urgences telles qu’otite, cystite…, la « bobologie » ou, plus rarement, le renouvellement d’ordonnances, en particulier pour des patients n’ayant pas ou plus de médecin traitant. Si le profil des patients se montre large, l’activité n’est pas forcément régulière. Le manque de rentabilité peut donc constituer un frein.

Et que va-t-il se passer après la crise sanitaire ? Les conditions de remboursement ont été assouplies pour faire face à l’épidémie de Covid-19, mais elles sont censées ne pas durer. « C’est la question centrale », observe d’ailleurs Donatien Le Liepvre. En outre, des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie doivent s’ouvrir cet automne et pourraient aborder de nouveau la question de la téléconsultation.

Dans ce condiv, les prestataires misent sur la territorialité. Il s’agit d’abord de développer leur s réseaux de médecins dans tous les territoires. « Nous avons mis en place un programme “médecins partenaires des officines”. Concrètement, notre solution permet aux pharmaciens d’intégrer les médecins de leur écosystème, explique Justin Bollet, directeur marketing de Tessan. C’est un vrai argument pour les pharmaciens qui ne veulent pas se mettre en concurrence avec les médecins locaux ». De son côté, Matthieu Becamel, directeur communication et marketing de Maiia, affirme vouloir « respecter le maillage territorial en proposant des médecins par zone géographique, et toujours en premier le médecin

traitant ». Inscrire la téléconsultation dans les structures d’exercice coordonné représente également un axe de développement. « Nous commençons à travailler sur les ter ritoires avec les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Cela va prendre du temps, car les CPTS sont ellesmêmes en construction, explique Donatien Le Liepvre. Nous mettons aussi en place des solutions au sein d’hôpitaux et de cliniques. Par exemple, une clinique a mis à disposition des pharmacies des alentours un médecin généraliste. »

Pour le docteur Jean Tafazzoli, président de MaQuestionMédicale, il ne peut pas y avoir une solution de télémédecine uniquement en officine. La téléconsultation ouvre des perspectives pour les pharmacies qui se lanceront dans d’autres services comme le télésoin (voir encadré p. 20). « La téléconsultation est un service innovant, numérique, qui fidélise la patientèle. Et certaines pharmacies n’auront pas d’autre choix que de proposer ce service », conclut Nathaniel Bern, cofondateur de Medadom.

(1) Démographies des pharmaciens, panorama au 1er janvier 2021 , Ordre des pharmaciens. On comptait 20 534 officines en métropole et 615 outre-mer.

Le télésoin en officine

Le télésoin permet aux professionnels de santé, dont les pharmaciens, de pratiquer des soins à distance. Par exemple, en officine, il peut permettre de réaliser les bilans partagés de médication.

Le télésoin est réglementé par le décret n° 2021-707 du 3 juin 2021 et l’arrêté du 3 juin 2021. Ce décret intègre la notion d’acte de télésoin dans le code de la santé publique. Le div définit les conditions de mise en œuvre et de prise en charge. Ainsi, la tarification d’un acte de télésoin ne peut pas être supérieure à la même activité réalisée par le pharmacien en présence du patient. L’arrêté précise que les activités à distance réalisées par le pharmacien ne peuvent pas se substituer à des soins nécessitant un contact en présentiel, ni intervenir en cas de matériel insuffisant. De plus, son recours « relève d’une décision partagée du patient et du professionnel réalisant le télésoin », spécifie le div. Avant même la parution des divs, la Haute Autorité de santé avait publié, le 18 mars 2021, un document sur les critères d’éligibilité et les bonnes pratiques pour la mise en œuvre du télésoin.

Témoignage

Un service rendu à la population

Stéphanie Pitrat, préparatrice à Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône)

« La pharmacie a mis en place, dans un espace de confidentialité, un accès libre à un logiciel de téléconsultation et des objets connectés - thermomètre, otoscope… -, avec le prestataire MaQuestionMédicale. L’équipe officinale, c’est-à-dire les pharmaciens et les préparateurs, accompagne toujours le patient dans la prise en main. On utilise peu les objets connectés, hormis la caméra, notamment pour les otites. Il s’agit plus d’un service ponctuel en cas d’urgence comme une otite ou une cystite, ou d’absence du médecin, notamment à partir de 18 heures en semaine, le samedi ou les jours de garde. Cela permet de désengorger les urgences, mais c’est un peu délicat par rapport aux médecins de proximité. Nous ne voulons pas leur enlever leurs patients. Nous ne faisons d’ailleurs pas de “publicité” sur ce service. Nous avons eu aussi des problèmes. Normalement, un médecin est disponible en dix minutes, mais il peut nous arriver d’attendre trente minutes et, deux fois, nous n’avons pas eu de réponse. Les patients sont globalement satisfaits lorsqu’ils n’ont pas à attendre qu’un médecin soit disponible. Pour eux, Internet est synonyme de rapidité. Ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent attendre avant d’avoir une consultation. Sur le plan économique, la téléconsultation n’est pas rentable pour notre pharmacie. C’est un service que nous rendons à la population. »

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !