Pourquoi une légalisation encadrée du cannabis ? - Porphyre n° 575 du 25/05/2021 - Revues
 
Porphyre n° 575 du 25/05/2021
 

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Décryptage

Auteur(s) : Christine Julien

Une légalisation encadrée et régulée pour le cannabis « récréatif », telle est la conclusion du rapport d’étape de l’Assemblée nationale publié le 5 mai(1). Factuel, il pointe les échecs du tout-répressif et invite au débat.

Quel est le condiv de ce rapport ?

Depuis janvier 2020, une mission d’information de l’Assemblée nationale(2) travaille sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Après les cannabis thérapeutique et « bien-être » (cannabidiol), elle a remis son troisième rapport d’étape, sur le cannabis dit « récréatif ». « Un certain nombre de députés souhaitait travailler sur cette question, avec différentes portes d’entrée. On avait le sentiment que c’était un sujet sur lequel il fallait apporter des réponses », explique Caroline Janvier, députée LREM du Loiret, et rapporteure.

Quel statut pour le cannabis « récréatif » ?

Le cannabis est un stupéfiant « régi » par la loi du 31 décembre 1970(3), qui réprime le trafic et la consommation de stupéfiants et fait suite au décès d’une jeune fille par overdose d’héroïne à Bandol (Var). Cette loi offre aussi une réponse de soins, mais elle ne distingue ni les drogues, ni l’usage. Le fumeur de cannabis est ainsi un malade à soigner et un délinquant qu’il y a lieu de punir par un an de prison et une amende de 3 750 €. D’autres divs législatifs en 1986, 1987, 1991, 1996… ont ajouté des incriminations et des sanctions, telle l’amende forfaitaire de 200 € pour usage en 2020, mais le regard sur l’usager n’a pas changé. « Depuis 1970, nous sommes restés sur cette réponse du tout-répressif », constate Caroline Janvier.

Cette loi gêne-t-elle la prévention ?

La loi de 1970 interdisant la provocation à l’usage par l’écrit, la parole, l’image ou l’incitation, « tout projet de prévention voit son contenu placé sous le regard de la loi pénale et soulève la question de ce qui peut ou ne peut pas être dit, explique Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction. Sans compter la stigmatisation. Guerre à la drogue égale très souvent guerre aux drogués, avec des retards dans le recours aux soins extrêmement dommageables ».

Quels sont les points forts du rapport ?

« Nous faisons le constat d’une forme d’échec depuis cinquante ans sur le plan de la santé publique et de la sécurité », avance la députée. Les quantités de cannabis saisies continuent d’augmenter - 115 tonnes en 2018 - malgré les 1,08 milliard alloués annuellement à la police, à la gendarmerie et aux douanes pour lutter contre le traffic. 600 emplois équivalent temps plein, soit 1 million d’heures par an, sont consacrés au seul traitement des infractions pour usage de cannabis, qui représentent aujourd’hui 81 % des interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Ce qui n’empêche pas le cannabis d’être la substance illicite la plus consommée en France, avec 18 millions d’expérimentateurs, soit quatre fois plus qu’en 1992, 1,5 million de consommateurs réguliers et 900 000 usagers quotidiens.

Quelles sont les pistes avancées ?

Les rapporteurs se prononcent en faveur d’une légalisation encadrée du cannabis. « Le statu quo n’étant pas envisageable, des décisions devraient être prises. Il faudrait des débats pour que chacun prenne conscience du problème, s’informe et évolue, mais le sujet reste tabou. Il est encore difficile de parler de cannabis sans être caricaturé, et de légalisation encadrée sans que cela ne soit confondu avec une forme de permissivité. Alors même qu’une légalisation peut s’accompagner de davantage de répression », avance Caroline Janvier. À l’image du Canada, qui encadre l’usage et punit la vente aux mineurs de quatorze ans de prison.

Qu’en pensent les professionnels ?

Les professionnels des addictions souhaitent une légalisation encadrée. « Il faut construire un nouveau système de régulation d’interdits cohérents. Avec un encadrement du marché, une protection des mineurs et la mise en place de sanctions pour certains usages, au volant par exemple, explique Nathalie Latour. Des programmes de prévention basés sur les compétences psycho-sociales pourraient aider les personnes à trouver leurs propres capacités à réguler leur consommation, pour faire en sorte que l’expérimentation reste de l’expérimentation ». Le président de la République souhaite un grand débat et l’opinion publique y est prête (voir Repères). « Il faut pouvoir reconnaître qu’on s’est trompés », soulève la députée. Sauf si l’actualité sensible et les enjeux politiciens prennent le pas, comme en 1970.

(1) La mission, qui rassemble plusieurs commissions (affaires sociales, justice…) et des députés de tous bords, publiera son rapport définitif dans quelques semaines. Elle a auditionné plus d’une centaine de personnes.

(2) Rapport d’étape sur le cannabis récréatif, Mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis, Assemblée nationale, mai 2021.

(3) Loi relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du traffic et de l’usage illicite de substances vénéneuses.

NOS EXPERTES INTERROGÉES

→ Caroline Janvier, députée du Loiret, rapporteure thématique du rapport d’étape de l’Assemblée nationale sur le cannabis « récréatif ».

→ Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction.

Repères

Consultation citoyenne sur le cannabis dit « récréatif »(*)

→ 253 194 participants, dont plus de 30 % n’en ont jamais consommé.

→ 92 % pensent que le dispositif actuel de répression ne limite pas le marché, et ne permet pas de lutter contre les traffics.

→ 80 % sont favorables à une autorisation de la consommation et de la production dans un cadre établi par la loi. Arguments : lutter contre le traffic en asséchant le marché illégal, se concentrer sur la prévention, notamment éviter la consommation chez les moins de 25 ans, et permettre aux forces de l’ordre de se concentrer sur d’autres missions.

(*) Menée en ligne par l’Assemblée nationale du 13 janvier au 28 février.

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