Pourquoi les règles changent pour la prégabaline ? - Porphyre n° 574 du 26/04/2021 - Revues
 
Porphyre n° 574 du 26/04/2021
 

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Décryptage

Auteur(s) : Christine Julien

À partir du 24 mai(1), la prescription de prégabaline (Lyrica et génériques) se fera sur ordonnance sécurisée et sera limitée à six mois. En cause, un mésusage de cette molécule constaté depuis 2011.

Qu’est-ce que la prégabaline ?

La prégabaline (Lyrica et génériques) est indiquée dans l’épilepsie partielle, le trouble anxieux généralisé et les douleurs neuropathiques. Cet analogue de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), acide aminé neuromédiateur, n’agit pas sur les récepteurs du GABA, mais module l’activité de canaux calciques. Cela réduit la libération d’acides aminés excitateurs, type glutamate, d’où la diminution de l’excitabilité neuronale, avec des effets anticonvulsivants et sur les douleurs. Près de 1,6 % de la population a eu au moins un remboursement en 2019(2).

En quoi consiste son mésusage ?

La prégabaline fait l’objet d’une utilisation abusive à des fins récréatives « pour obtenir un effet euphorisant intense, de courte durée », explique Maryse Lapeyre-Mestre, responsable du Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-Addictovigilance de Toulouse (31). L’euphorie, l’un des effets indésirables de la prégabaline constaté dans une méta-analyse de 2011, avait déjà été signalée en 2010, en Suède et en Allemagne(3). « Les utilisateurs faisaient état du côté “plaisant” mais avec une tolérance extrême, c’est-à-dire avec la nécessité d’augmenter considérablement les doses pour que l’effet persiste », 3 ou 4 g par jour au lieu des 600 mg maximum recommandés.

Dans l’usage thérapeutique également ?

Le mésusage concerne aussi les patients « dans le champ de la prescription, initialement dans la douleur, et qui ensuite se retrouvent piégés par le produit, qui a son propre effet addictif ». 8 à 12 % des sujets initiant la prégabaline en condiv thérapeutique présentent un mésusage par l’emploi de doses supérieures aux doses maximales thérapeutiques(3). Et ce, « dans les 18-24 mois qui suivent la première prescription ». Le syndrome de sevrage, « même pour des posologies minimes », entretient la consommation. Les décroissances de doses sont très longues.

L’AMM en 2004 ne l’indiquait pas ?

Selon l’évaluation de l’Agence européenne du médicament (EMA) sur le dossier d’AMM en 2004, la prégabaline, considérée sûre, « ne posait aucun problème », rapporte Maryse Lapeyre-Mestre. En revanche, sur ce même dossier d’AMM, les États-Unis la considèrent comme « un produit psycho-actif avec un potentiel addictif et la classent à surveiller, un peu comme les benzodiazépines ».

Est-elle dépresseur respiratoire ?

Les analogues gabapentinoïdes, prégabaline et gabapentine (Neurontin), diminuent la fréquence respiratoire mais ne sont pas « extrêmement dangereux en termes de dépression respiratoire. Un peu comme les benzodiazépines ». En revanche, le risque de décès par overdose opiacée est multiplié par trois chez des sujets dépendants aux opioïdes et exposés à la prégabaline. Cela a été observé en Suède, au Canada, en Norvège…

Quelle est l’explication ?

La prégabaline lèverait la tolérance aux effets dépresseurs respiratoires des opioïdes. Une faible dose de prégabaline associée à de la morphine entraîne une dépression respiratoire chez des animaux tolérants à la morphine pour lesquels la dose de morphine seule ne cause pas de dépression respiratoire. « Cette réversibilité de la tolérance pourrait être une explication du fait qu’on a autant de décès par surdosage opioïde. Des personnes sous opioïdes vont faire un surdosage alors qu’elles n’auraient pas dû le faire. C’est très inquiétant », juge la spécialiste, d’autant que l’association oxycodone-prégabaline est très employée, notamment en cancérologie.

Comment bien délivrer la prégabaline ?

« Déjà vérifier que le support de prescription est adéquat », sur ordonnance sécurisée et pour six mois maximum. Dire de ne pas l’arrêter brutalement en raison d’un syndrome de sevrage. « Suivre la prescription à la lettre », notamment si la prégabaline est associée à un opioïde, oxycodone, morphine, fentanyl, tramadol, etc. Alerter en cas d’envie d’augmenter les doses. Surveiller aussi que la gabapentine ne soit pas à son tour détournée, même si son potentiel addictif est moindre car son absorption est moins rapide, non linéaire et avec effet plateau (pas de « pic d’euphorie »).

(1) Journal officiel du 24 février 2021.

(2) Rapport d’expertise d’addictovigilance prégabaline, CEIP Toulouse, 18 septembre 2020.

(3) Bulletin d’addictovigilance, n° 11, septembre 2019.

NOTRE EXPERTE INTERROGÉE

→ Dr Maryse Lapeyre-Mestre, responsable du Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-Addictovigilance (CEIP) de Toulouse (31), praticien hospitalier en pharmacologie clinique (université Toulouse III Paul Sabatier-CHU de Toulouse) et maître de conférences des universités.

Repères

→ 2006 : commercialisation de la prégabaline en France.

→ 2010 : premiers signaux d’abus/dépendance en Suède et en Allemagne, avec effets euphorisants et tolérance.

→ 2011 : premier cas d’usage récréatif en France.

→ 2012 : ouverture de l’enquête d’addictovigilance en France.

→ 2013 : premiers cas d’usages détournés en France.

→ 2015 : Arabie saoudite, Russie, Émirats arabes unis, Argentine, Arménie, Turquie, Jordanie, Norvège, Suède et Royaume-Uni régulent la prescription et la délivrance, certains l’étendant à la gabapentine (Neurontin).

→ 2017 : effet démontré de la levée de la tolérance aux effets dépresseurs respiratoires des opioïdes.

→ 2018 : les abus explosent.

→ 2019 : médicament le plus cité (23,8 %) sur 2 089 ordonnances falsifiées collectées lors de l’enquête Osiap* (ordonnances suspectes, indicateur d’abus possible).

(*) L’Osiap contribue à évaluer le potentiel d’abus et de dépendance des médicaments grâce au recueil d’ordonnances suspectes par les officines, collectées par treize CEIP.

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