Parlez jeûne - Porphyre n° 573 du 24/03/2021 - Revues
 
Porphyre n° 573 du 24/03/2021
 

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Les mots pour…

Auteur(s) : Christine Julien

Aborder le ramadan chez les pratiquants. Ce mois de jeûne chez les patients musulmans est à risque pour l’observance. Mieux comprendre ce rituel aide chacun à trouver ses propres solutions.

Le ramadan, c’est quoi ?

Un pilier de l’islam sociétal

→ Un sens religieux. Le ramadan est important pour les musulmans car c’est durant ce mois qu’a débuté la révélation du Coran par l’ange Gabriel au prophète Mohamed. Pour célébrer ce caractère sacré, un jeûne a été institué. Le ramadan est l’un des cinq piliers de l’islam avec la profession de foi - « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Mohamed est son messager » -, les cinq prières par jour (salat), l’aumône légale (zakat) et le pèlerinage à la Mecque (hadj). La fin du jeûne est marquée par l’Aïd-el-Fitr (petite fête). Judaïsme, christianisme ou islam, la pratique du jeûne a le même objectif de purification et de spiritualité. Le ramadan est un mois de paix et de partage.

→ Une importance communautaire, avec renforcement des liens, et une vie sociale et familiale intense.

Les pratiques

Le mois du ramadan est caractérisé par l’obligation pour tout musulman pubère de ne pas manger, ni boire ou avoir des relations sexuelles du lever au coucher du soleil, et d’adopter une attitude respectueuse envers soi et autrui.

→ Quand ? Ce mois de jeûne a lieu durant le neuvième mois de l’année musulmane. Il suit le calendrier lunaire et non solaire, d’où sa durée de 29 ou 30 jours selon les années. En 2021, il débutera mi-avril.

→ Qui est exempté ? Les individus fragiles, âgés et/ou malades, les femmes enceintes, allaitantes ou en période de règles, les enfants non pubères et les voyageurs.

→ Se rattraper est possible. Les personnes empêchées peuvent jeûner plus tard, ou assumer pour compenser la nourriture d’un pauvre ou faire une aumône.

→ L’alimentation change. Une surconsommation de produits sucrés et gras est fréquente lors des repas (voir encadré).

→ Des soins sont interdits. Seules les voies orales et intraveineuses à but nutritif rompent le jeûne d’après les recommandations de 1997 de la Fondation Hassan II pour la recherche scientifique et médicale sur le ramadan, en collaboration avec l’OMS. D’autres voies sont supprimées, selon l’interprétation de chacun : gouttes nasales, aérosols, crèmes… Autocontrôles, prise de sang, examens sont autorisés.

Le rôle officinal

Pourquoi s’y intéresser ?

→ Beaucoup pratiquent. Il n’y a pas de statistiques sur le nombre de musulmans en France(1), mais selon une enquête de 2019(2), si 38 % disent aller en général à la mosquée le vendredi, 66 % des personnes de religion ou d’origine musulmane ont jeûné tout le ramadan, 11 % quelques jours.

→ Le jeûne perturbe l’observance. Il nécessite des adaptations posologiques en raison de l’interdiction d’avaler quoi que ce soit durant 12 à 18 heures selon les saisons. Il peut déséquilibrer des maladies : diabète avec hypo- et hyperglycémie, insuffisance cardiaque, ulcère gastro-duodénal, voire insuffisance rénale, épilepsie, infection au VIH… en cas de rupture thérapeutique. Il peut aggraver une maladie aiguë: infections bronchique, urinaire, etc.

→ Les conseils hygiéno-diététiques sont les bienvenus. Le temps de sommeil est souvent réduit, avec une éventuelle diminution des performances en journée. Recommander le sport juste avant la rupture du jeûne en fin de journée, et non le matin le ventre vide et sans eau !

→ Prévenir les accidents. Informer sur les gestes à faire pour prévenir une « hypo » ou une déshydratation en cas d’activité physique intense… Attention, certains avalent leur traitement d’un coup le soir !

→ Accompagner le choix. Malgré les exemptions, nombre de malades chroniques jeûnent. 42,8 % des diabétiques de type 1 et 78,7 % de type 2 ont jeûné au moins quinze jours lors du ramadan en 2001.(3) Des enfants commencent à le faire le weekend ou des demi-journées pour s’habituer.

Comment ?

Au sein d’un pays, d’une fratrie, dans toute culture au sens large, chacun a ses représentations de la maladie et du traitement. À vous d’adopter une posture éducative, avec un minimum de savoir et d’intérêt pour l’autre.

→ L’autonomie est un fait, ce n’est pas un objectif. Le patient fait ce qu’il veut quand il veut. D’ailleurs, près d’un sur deux jeûne sans avertir son médecin ou outrepasse l’interdiction(4)

→ Entrer en contact. Faites parler le patient pour qu’il exprime sa manière de voir sa santé et la maladie et sa pratique religieuse, comment il organise ses journées. Se sentant compris, il pourra faire un pas vers vous et entrer en « négociation ».

Repérer

Maroc, Égypte, Afrique noire, Turquie, Asie du Sud-Est… les musulmans ne sont pas tous du Maghreb, ni tous pratiquants.

→ Vous connaissez pas ou peu le client. Aspect physique, consonance du nom ? Posez une question ouverte et neutre après avoir expliqué la façon de prendre les médicaments : « Est-ce que vous pensez pouvoir faire comme je vous propose ? », ou « Comment comptez-vous vous organiser pour prendre vos médicaments ? »

→ Vous savez que la personne est de culture musulmane. Montrez votre intérêt : « C’est bientôt le ramadan, n’est-ce pas ? Vous savez comment vous allez vous arranger avec votre traitement ? » Recueillez des infos sur son organisation et adaptez selon les réponses : « Est-ce que vous faites/allez faire le ramadan ? »

→ Encouragez-le à prendre rendez-vous, idéalement un mois avant, avec son géné raliste ou son spécialiste pour adapter les prises. Proposer de l’appeler si le ramadan a commencé et que rien n’a été prévu. « C’est la personne qui vous connaît le mieux sur le plan médical. Il vaudrait mieux la prévenir que vous souhaitez jeûner, afin qu’elle vous apporte des solutions adaptées ». 38 % des médecins ont tenté de convaincre leurs patients que le jeûne est néfaste pour leur santé, et la majorité ignore comment ajuster les schémas thérapeutiques.(4)

→ Adapter les prises. Passez en revue chaque médicament : « En temps normal, comment prenez-vous ce médicament ? Pendant le ramadan, comment comptezvous faire ? » Précisez au besoin : « Ne les prenez pas tous d’un coup une fois le soleil couché! » Voyez avec le pharmacien s’il est possible de reporter la prise du matin au soir, de prendre celle du matin le soir et celle du soir le matin…

Prévenir les incidents

→ L’aider à trouver. Avant de dire « Faites ceci ou cela », demandez : « Et si pendant le ramadan votre glycémie tombe très bas, vous connaissez les signes, n’est-ce pas ? Comment ferez-vous dans ce cas ? », « Si vous avez une angoisse, comment comptez-vous gérer la sensation d’oppression ? » Mettez la personne en situation de trouver elle-même les solutions, tout en lui donnant les éléments techniques de ce qui est possible ou pas.

→ Élargir les possibles. Certains n’osent pas bouger d’un iota. Le médecin dit 8 heures, pas 8h30. Rassurez : « En décalant cette prise lors de la rupture du jeûne, il n’y aura aucun souci, tout se passera bien ».

→ Faire un rappel du risque. Si vous pensez que la personne prend un risque en adoptant un comportement, lui dire qu’elle est libre mais qu’il y a un risque en face. Évitez toute désapprobation morale. Chez des musulmans très croyants et fatalistes qui parlent de « Dieu qui donne la maladie », vous pouvez dire : « Certes, Dieu donne la maladie et peut guérir, mais c’est Lui qui donne la connaissance au médecin, et qui a permis aux chercheurs de trouver les médicaments. Est-ce que vous pensez que parce que c’est Lui qui a permis ça, Dieu pense que ne pas prendre ses médicaments est une bonne chose ? » Le patient peut se dire que s’il ne prend pas le médicament, il s’oppose à Dieu…

Rester souple

La foi relève de l’intime. Un patient en parlera s’il se sent en confiance.

→ Ni peur, ni menace. Évitez : « La religion ne devrait pas avoir un impact sur votre santé », « Dieu ne vous en voudra pas si vous ne le faites pas », « Vous allez vous mettre en danger »… Ne minimisez pas l’importance du jeûne. Menacer le patient ou l’effrayer peut l’éloigner un peu plus d’une prise en charge adaptée. Privilégiez : « Je sais que le jeûne du ramadan est très important pour vous et vos proches. Néanmoins, dans votre cas et au vu des traitements que vous prenez, je vous propose de regarder tout cela ensemble pour faire en sorte que tout se passe au mieux ».

→ Limiter les blocages. Abandonnez l’idée de détenir la vérité sur ce qui est le mieux pour votre patient. Ni paternalisme, ni blocage, vous avez à trouver la moins mauvaise solution, pas qu’il ne fasse pas le ramadan ou qu’il se débrouille seul !

→ Conjuguer conviction et traitement. Si vous pensez que son attitude va aggraver sa santé, trouvez un compromis, par exemple en adaptant les prises ou en invoquant le Coran si vous connaissez bien le patient ou si c’est lui qui vous a conduit sur la religion. « Je crois savoir que vous pouvez acheter des jours de ramadan non faits ? » ou « Vous pouvez reporter ces quelques jours de jeûne plus tard il me semble, non ? »

Interpréter

En cas de grosse difficulté linguistique, contacter un interprète sur Inter services migrants (www.ism-interpretariat.fr). Sur translate.google.fr, taper votre div et choisir la langue. La réponse se lit ou s’écoute en cliquant sur le haut-parleur.

(1) Environ 4 millions de musulmans en France selon Le Monde , juillet 2016.

(2) Étude auprès de la population musulmane en France, 30 ans après l’affaire des foulards de Creil , Ifop, septembre 2019.

(3) Epidiar 2004 dans 13 pays musulmans sur 12 243 patients, dont 1 070 diabétiques de type 1 et 11 173 de type 2.

(4) Le ramadan : regards croisés patient médecin, thèse de médecine, Marseille, 2007.

Les repas et les prières

Au coucher du soleil, place à la rupture du jeûne, avec trois repas.

• Le 1er repas, ou Ftour ou Ftor ou Iftar : un sucre d’assimilation rapide, de préférence des dattes avec de l’eau et du lait. Pas de boissons trop chaudes ou trop froides, ni d’épices. Attendre quelques minutes, le temps de régulariser la glycémie et de préparer l’estomac pour la suite avec soupe, boissons chaudes.

• Le 2e repas ou dîner : deux à trois heures après le Ftour et la prière. Il ne doit pas être lourd car tout sera stocké et non assimilé en dormant, et il risque d’ôter la sensation de faim au matin. Salade ou bouillon, plat de poisson ou viande blanche, légumes. Il est parfois fusionné avec le Ftour.

• Le 3e repas, ou Souhour ou Suhur : dernier repas avant la prière de fin de nuit, il précède le jeûne. Il donne l’énergie nécessaire pour affronter la journée avec pain, pâtes, féculents et sources de calcium et boissons.

Source : recommandations du ministère de la Santé du Maroc.

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