Le contexte de la chimio orale - Porphyre n° 572 du 18/02/2021 - Revues
 
Porphyre n° 572 du 18/02/2021
 

Exercer

Parlons cancéro

Auteur(s) : Christine Julien

Capécitabine, abiratérone, palbociclib… plus de 50 molécules anticancéreuses per os sont délivrées en ville. Les patients peuvent bénéficier d’un accompagnement en officine. Cette mission nécessite un lien ville-hôpital fort.

Un accompagnement

Après les patients sous anticoagulants oraux, les asthmatiques et les personnes âgées polymédiquées, c’est au tour des personnes sous anticancéreux oraux de bénéficier d’un accompagnement par les pharmaciens d’officine. Ces derniers ont signé un avenant avec l’Assurance maladie pour mettre en place un suivi rémunéré(1) depuis octobre 2020. Améliorer l’observance et lutter contre l’iatrogénie sont les objectifs de ces entretiens ou consultations pharmaceutiques.

Sur la base du volontariat

Cette nouvelle mission relève du volontariat du pharmacien et du patient majeur et traité par un ou plusieurs anticancéreux oraux. En ville, les préparateurs ne sont pas « habilités » à mener ces entretiens, même s’ils en ont les capacités (voir interview). Ils peuvent cependant y participer en recrutant les patients éligibles ou en en expliquant l’intérêt.

Autonomie et coordination

Ce suivi doit aider le patient à mieux comprendre la prescription de l’oncologue, à gérer les prises au quotidien, à prévenir et à gérer les effets indésirables, bref à acquérir de l’autonomie. Autre intérêt, assurer « une prise en soins coordonnée du patient »(1). Le fameux lien ville-hôpital entre l’oncologue, un infirmier coordinateur, la pharmacie hospitalière, le médecin traitant, l’infirmier de ville et l’officine, pour le bien du malade !

L’oralité, source de problèmes

La nécessité du suivi des patients sous chimio orale s’exprime en termes de survie. La voie orale(1) « rend l’efficacité sensible à l’adhésion du patient à son traitement, avec les nombreux risques qui en découlent : l’inobservance, les erreurs de dosage, une modulation des horaires de prise et la non-application des recommandations en cas d’oubli ». Évidemment, nul souci d’observance avec une chimio administrée en intraveineuse ! L’inobservance en cancéro est synonyme de perte de chance de survie. Un bon argument pour s’impliquer.

La règle des 3

Sur trois ans, le pharmacien assure un suivi, avec trois entretiens la première année.

Entretien 1 : il évalue les connaissances sur le traitement, sur ce que le médecin a dit et il donne les modalités de prise.

Entretien 2 : il recherche les difficultés pour prendre ce traitement et les éventuels effets indésirables.

Entretien 3 : il apprécie l’observance. Puis, un entretien la deuxième année a trait à la vie quotidienne et aux effets indésirables, et celui de la troisième année s’attelle à l’observance. La rémunération est de 80 € la première année (84 € hors métropole) et 30 € (31,50 €) ensuite.

À la recherche des outils

L’Assurance maladie propose un guide d’accompagnement et des fiches de suivi, mais les indispensables restent les fiches sur les médicaments et la gestion des effets indésirables pour des molécules que l’officinal ne manie pas ou si peu. Il faut aussi savoir faire reformuler afin d’évaluer la compréhension des informations délivrées.

Près de 80 médicaments

Les anticancéreux par voie orale, concernés par le suivi officinal, appartiennent aux classes ATC L01 et ATC L02 de la classification ATC par voie orale.

Le système de classification ATC, pour anatomique, thérapeutique et chimique, contrôlé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), range les médicaments en différents groupes selon l’organe ou le système sur lequel ils agissent et/ou selon leurs caractéristiques thérapeutiques et chimiques.

Parmi les seize classes ATC, « L » regroupe les antinéoplasiques et les immunomodulateurs. La sous-classe L01 rassemble les antinéoplasiques et L02, la thérapeutique endocrine, avec hormones et apparentés, anti-hormones et apparentés (progestatif, anti-œstrogènes, anti-androgènes, inhibiteurs d’aromatase, autres inhibiteurs hormonaux et apparentés). Exemple : la capécitabine (Xeloda) est un analogue de la pyrimidine (L01BC) de la catégorie L01B des antimétabolites. Pour savoir si un médicament est concerné, tapez son nom sur www.theriaque.org et regardez au paragraphe Classifications/pharmacologie.

(1) Journal officiel du 30 septembre 2020.

Un marché qui pèse lourd

Les médicaments anticancéreux regroupent la chimiothérapie conventionnelle, l’immunothérapie, l’hormonothérapie, la thérapie ciblée et le médicament radiopharmaceutique. Les thérapies ciblées ont représenté 64 % des dépenses d’anticancéreux en 2019 (1,774 milliard d’euros), et les hormonothérapies 32 % (881 millions). Cinq molécules ont généré 43 % des dépenses : le palbociclib (Ibrance) avec 357 millions d’euros, l’ibrutinib (Imbruvica), 237 millions, et le ruxolitinib (Jakavi), 138 millions ; hormonothérapie : l’abiratérone (Zytiga), 230 millions, et l’enzalutamide (Xtandi), 228 millions (source : www.e-cancer.fr).

Entretien

Nous avons besoin les uns des autres

Françoise de Crozals, Pharmacienne gérante à l’Institut Sainte-Catherine à Avignon (84).

Depuis juillet 2011, l’Institut Sainte-Catherine d’Avignon (84) propose des consultations pharmaceutiques aux malades du cancer. Françoise de Crozals, la pharmacienne gérante, et aussi des préparateurs formés et volontaires mènent ces consultations. Le plus important est de créer le contact humain.

Qu’est-ce qu’une consultation pharmaceutique en oncologie ?

C’est recevoir le patient après le médecin et expliquer le bon usage du traitement dans un endroit dédié. Nous avons débuté en 2011 avec les premières hormonothérapies dans le cancer de la prostate. Deux médecins nous ont proposé de voir les patients âgés, pensant que ce serait mieux si nous leur réexpliquions les modalités de prise. Dans une consultation d’oncologie, il y a tellement de choses à dire et c’est compliqué pour le patient, qui doit « entendre » le mot cancer puis apprendre à se soigner.

Et aujourd’hui ?

Nous avons une consultation pharmaceutique dédiée, du lundi au vendredi, de 9 heures à 17 heures. Le médecin nous contacte par téléphone ou via l’agenda partagé et nous dit : « On met monsieur X sous abiratérone, est-ce que vous pouvez le voir dans la foulée ? ». En moyenne, on a un suivi de dix patients par jour, et trois à quatre instaurations par jour.

Vous avez une trame ?

C’est le patient qui la fait ! Dans un premier temps, il faut parler du bon usage et de la façon de prendre le médicament, par exemple avec un corticoïde pour l’abiratérone, et à jeun, et que signifie à jeun. On demande s’il a des thérapies associées. S’il l’ignore, on demande le nom de sa pharmacie et on le fait a posteriori. On fait de l’éducation sur la phytothérapie, on réexplique les effets secondaires et la conduite à tenir. On fait reformuler pour être sûr de la bonne compréhension. Puis, on demande si on peut appeler son pharmacien pour tout lui expliquer.

Du coup, on commande le médicament et un premier lien se crée. Ensuite, selon l’entretien et l’autonomie, nous les appelons huit à dix jours après, surtout pour les plus âgés, ou bien ce sont eux qui le font s’ils ont besoin.

Que signifie le lien ville-hôpital ?

Nous connaissons la chimiothérapie du patient parce que nous avons le dossier médicalisé informatisé et parce que nous la préparons, c’est notre métier. Le patient est incapable de dire à l’officinal quelle chimio il a. Et pour nous, savoir ce qu’il a comme autres traitements peut se résumer à « un comprimé rouge, un vert et un bleu ». On a besoin les uns des autres mais nous ne savons pas toujours nous parler…

Peut-être que les officinaux n’ont pas votre numéro ?

Peut-être ne le connaissent-ils pas… Je sais pas comment communiquer avec eux pour leur dire « On existe, appelez-nous ! ». J’ai pensé coller un flyer sur les ordos avec « Si souci, appelez le pharmacien hospitalier ». Le courrier, je n’y crois plus. Cela fait dix ans qu’on appelle les officines, deux ans qu’on envoie des mails disant « Voici l’ordo de monsieur X, on reste à votre écoute si besoin ». Nous entrons les coordonnées de la pharmacie comme celles du médecin traitant dans notre dossier informatique.

En ville, comment connaître le type de cancer ou la prise en charge ?

Il faut que la pharmacie de ville sache appeler le pharmacien hospitalier en disant « J’ai un patient qui est chez vous. Il a quoi comme maladie ? » Les officinaux savent joindre le médecin, le service, mais combien appellent un pharmacien hospitalier ? Aucun. L’échange sur la prise en charge du patient ne se fait pas. Est-ce qu’ils n’osent pas ? Est-ce qu’ils n’ont pas le temps ? Je ne comprends pas pourquoi dès qu’on sort de l’hôpital, on n’arrive pas à recréer ce lien au sein d’une même profession. Consultation pharmaceutique pour nous et entretien pharmaceutique en ville, déjà nous n’avons pas le même vocabulaire ! Un pharmacien hospitalier peut faire remonter plus facilement les infos au médecin oncologue.

Dès le mot « cancer », l’officinal n’arrive plus à poser de questions comme s’il avait la mort en face…

Un patient cancéreux est un patient lambda qui souhaite être traité comme les autres malades. Je ne dis pas que c’est facile, notamment quand ça ne va pas et qu’il pleure… Le rencontrer dans l’endroit où il est pris en charge peut aider à démystifier. Je suis prête à accueillir des pharmaciens ou des préparateurs. Suivre une consultation pharmaceutique permet d’être avec le même corps de métier et de voir sur un ou deux après-midi un panel de population. Après, vous l’appréhenderez différemment.

Un préparateur de ville formé pourrait faire ces consultations ?

Bien sûr. C’est quoi qui ferait peur ? Quand vous expliquez à un patient diabétique son traitement, où est la différence ? On peut avoir des effets indésirables sévères avec une insuline mal réglée… Je peux vous assurer que ça se passe aussi bien avec eux et les patients.

Des patients se sentent lâchés dans la nature avec un traitement oral…

Il faut les responsabiliser et savoir dire « S’il y a un effet secondaire, revenez vers moi », mais combien d’officinaux le disent quand ils délivrent un anticancéreux ? Si vous ne créez pas ce lien, si l’officine a peur, cela ne marchera pas. Avant de commencer la consultation, ma première question est « Comment ça s’est passé ce moisci ? » Il faut consolider le lien avec le patient et la confiance sera là. Il existe des formations pour prendre de l’assurance avec eux.

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