Pourquoi des désaccords sur l’IVG ? - Porphyre n° 569 du 26/11/2020 - Revues
 
Porphyre n° 569 du 26/11/2020
 

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Décryptage

Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 8 octobre dernier, la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement divise le corps médical.

Que souhaite cette loi ?

Le point d’orgue de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement est l’allongement du délai légal de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines. Parmi les autres mesures : la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG*, le droit pour les sagesfemmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à 10 semaines de grossesse, la suppression pour la femme du délai de réflexion de deux jours, le tiers payant pour tous les actes et, pour les pharmaciens, un ajout dans le code de la santé publique stipulant que le refus de délivrance d’un contraceptif en urgence sera « en méconnaissance de ses obligations professionnelles ».

Pourquoi cette proposition ?

Un récent rapport parlementaire(1) constate que 3 000 à 5 000 Françaises sont contraintes chaque année de pratiquer leur IVG à l’étranger après dépassement du délai légal. Des difficultés d’accès sont aussi soulevées. Les praticiens, notamment libéraux, montrent peu d’intérêt pour la pratique : 2,9 % des généralistes et gynécologues et 3,5 % des sages-femmes installés en libéral ont effectué des IVG en 2018. Le délai entre la première demande et la réalisation de l’acte en libéral ou en centre de santé est trop long, en moyenne 7,4 jours, avec de fortes disparités territoriales, de 3 à 11 jours.

Qui est « contre » ?

Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) s’oppose(2) en particulier à l’allongement du délai légal. Il rappelle que l’IVG, réalisée par aspiration, implique au-delà de 12 semaines un geste médical différent, dit de « dilacération foetale ». « La tête foetale est désormais ossifiée. […] Pour la faire sortir de l’utérus, il faut donc l’écraser avec une pince spéciale ». Acte que le CNGOF juge « dangereux » et « choquant pour les praticiens, qui risquent ainsi de se détourner davantage des IVG ». Mêmes réticences pour l’Académie de médecine(3), qui craint une hausse des complications médicales. L’Académie déconseille aussi le

transfert de compétences aux sages-femmes, « compte tenu de leur absence actuelle de qualification chirurgicale ». Enfin, pour le Conseil national de l’ordre des médecins(4), ni la disparition de la clause de conscience, ni l’allongement des délais légaux ne répondent aux difficultés d’accès à l’IVG.

Certains sont-ils « pour » ?

L’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic) soutient le projet.(5) « Sans être hors délai français lors de la découverte de leur grossesse, certaines femmes ont besoin de temps ou ont des difficultés pour trouver des solutions, explique Chrystel Mathurin-Bornat, infirmière et co-présidente de l’Ancic. Quant aux complications éventuelles du geste chirurgical, nous n’avons aucun retour en ce sens des pays européens qui le réalisent au quotidien. Il est d’ailleurs pratiqué en France pour les interruptions médicales de grossesse ». Le Conseil de l’ordre national des sages-femmes soutient, lui, l’extension du droit à la pratique chirurgicale de l’IVG(6), rappelant qu’elles effectuent déjà « quotidiennement des actes chirurgicaux et endo-utérins (épisiotomies, sutures, révision utérine…) ».

Quelles sont les autres solutions ?

Pour le CNGOF, la solution est de donner plus de moyens aux hôpitaux pour qu’ils puissent traiter toutes les IVG comme des urgences, en modifiant la tarification des actes. Et suggère de mettre davantage l’accent sur la prévention : accès gratuit à la contraception et à la contraception d’urgence pour toutes et application ferme des séances scolaires d’information à la vie sexuelle prévues par la loi. Chrystel Mathurin-Bornat propose d’améliorer l’accessibilité à l’information sur l’IVG, mais aussi d’humaniser la pratique : « Les internes, qui très souvent font les IVG au bloc opératoire, devraient, au décours de leur formation, rencontrer les femmes en amont et entendre leurs difficultés. C’est rarement le cas et ça donnerait du sens ».

Quand le div sera-t-il discuté ?

Le div doit être présenté au Sénat avant la fin de l’année. Face aux arguments techniques en défaveur de l’allongement du délai légal, le Premier ministre a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont l’avis est attendu dans les semaines à venir.

(*) Les praticiens pourraient toutefois toujours refuser en usant de leur clause de conscience générale, mais en orientant vers un confrère qui pratique l’IVG.

(1) Rapport d’information fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), septembre 2020.

(2) CNGOF, 1er oct. 2020.

(3) Académie de médecine, 10 oct. 2020.

(4) Conseil national de l’ordre des médecins, 10 oct. 2020.

(5) Nous, professionnel.le.s de l’avortement, réaffirmons tout notre soutien à la proposition de loi qui sera présentée le 8 octobre 2020, Ancic, 6 oct. 2020.

(6) Conseil national de l’ordre des sages-femmes, 10 oct. 2020.

NOTRE EXPERTE INTERROGÉE

→ Chrystel Mathurin-Bornat, infirmière, co-présidente de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic).

Repères

L’avortement en France

→ Délai légal : 12 semaines de grossesse (14 semaines d’aménorrhée), contre 14 en Espagne, 22 aux Pays-Bas ou 24 au Royaume-Uni.

→ IVG médicamenteuses réalisées par un gynécologue, un généraliste ou une sage-femme.

→ IVG chirurgicales effectuées par un médecin en établissement de santé.

→ Double clause de conscience : la clause générale réglementaire concerne tous les actes médicaux + la clause législative spécifique (article L. 2212-8 du code de la santé publique).

→ Nombre d’IVG stable depuis 2001 : 225 000 à 230 000 par an.(1)

→ Plus de la moitié des IVG sont réalisées avant la 7e semaine de grossesse et 5,3 % entre 10 et 12 semaines, en 2019.

(1) DREES, Études et résultats n° 1125, septembre 2019.

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