Mon préparatoire - Porphyre n° 569 du 26/11/2020 - Revues
 
Porphyre n° 569 du 26/11/2020
 

Générations porphyre

Porphyre 70 ans

Malgré l’hégémonie des spécialités, la préparation résiste, sous-tendue par le besoin de traitements « sur mesure ». Le préparatoire prend le tournant de la spécialisation mais ne pourra se passer du « savoir-faire » ancestral.

DE L’ÂGE D’OR À LA SPÉCIALISATION

DE L’ANTIQITÉ AU DÉBUT DU MOYEN ÂGE

L’art des remèdes s’exerce souvent dans les monastères et couvents. Le moine médecinapothecarius, du grec apothéké, « lieu de dépôt » ou « magasin », récolte les plantes médicinales, prépare les remèdes et les prescrit.

1777

Les apothicaires et les épiciers se scindent. Une déclaration du roi Louis XVI sépare définitivement les deux professions. L’art de la pharmacie est officialisé, le Collège des pharmaciens est créé et l’apprenti devient élève en pharmacie. Le monopole de la fabrication et de la dispensation des remèdes revient aux pharmaciens.

1803

La loi du 21 Germinal an XI (avril 1803) pose des bases légales des préparations. Les substances vénéneuses doivent être identifiées et leur délivrance, inscrite dans un registre. Le pharmacien dispense les seuls médicaments et préparations inscrits au codex et prescrits par le médecin. Mais les remèdes secrets perdurent…

1484

L’édit de Charles VIII dissocie épiciers et apothicaires. L’apothicairerie revient exclusivement à l’apothicaire, qui peut toujours vendre des épices…

1818

Le codex national remplace les formulaires régionaux. Ancêtre de la pharmacopée française, Codex medicamentarius seu Pharmacopoea gallica est le premier codex national publié en latin, puis en français en 1819.

LE DÉCLIN DU « FAIT MAISON »

1900

Les préparations représentent 80 % des ventes en officine, les spécialités 10 %, le reste étant des produits d’hygiène et diététique.

Source : Histoire de la pharmacie, collection « Que sais-je ? », Fabre et Dillemann, 1963.

1930

Les spécialités représentent 50 % du chiffre d’affaires des officines. Les cachets, ou plus tard les potions, les pilules ou les vins, sont de moins en moins préparés.

1941

Un visa est nécessaire pour commercialiser un médicament. La loi du 11 septembre 1941 pose la notion juridique du médicament, associée à celle du monopole pharmaceutique. La spécialité est définie, avec les spécialités médicales, sur prescription, et celles commerciales conseillées par le pharmacien, destinées à des maladies bénignes : fortifiants, laxatifs, etc.

1966

Les spécialités représentent jusqu’à 83 % du chiffre d’affaires des officines. Des galéniques innovantes voient le jour : comprimés, ampoules injectables, gouttes. Depuis 1950, collyres et gargarismes dans les préparations résistent…

1975

Les préparations magistrales constituent moins de 1 % du chiffre d’affaires des pharmacies en France.

Source : Rapport Delaneau, 1975.

VERS UN CADRE PLUS STRICT

1992

Définition des préparations magistrales officinales et des produits officinaux divisés (POD). Le code de la santé publique définit le POD comme « toute drogue simple, tout produit chimique ou toute préparation stable décrite par la pharmacopée, préparés à l’avance par un établissement pharmaceutique et divisés soit par lui, soit par la pharmacie d’officine qui les met en vente, soit par une pharmacie à usage intérieur ».

1980

La loi Talon limite principes actifs et déconditionnement. Elle interdit l’incorporation, dans une même préparation, de substances appartenant aux diurétiques, psychotropes, anorexigènes et extraits thyroïdiens, et le déconditionnement des spécialités relevant de la réglementation des substances vénéneuses, en vue de les utiliser dans une préparation, sauf application sur la peau.

1988

Les bonnes pratiques de préparation officinale (BPPO) voient le jour. Ce premier div vise à renforcer la qualité des préparations, mais ces BPPO sont des recommandations et non des obligations, et donc pas opposables.

2006

Affaire des « gélules amaigrissantes ». 1 décès et 18 hospitalisations suite à la délivrance par une officine parisienne de préparations contenant des hormones thyroïdiennes, anorexigènes, diurétiques et du diazépam, à l’encontre de la loi Talon.

2007

Les bonnes pratiques de préparation (BPP) remplacent les BPPO. La sous-traitance est légalisée et introduite dans le code de la santé publique. Les préparations magistrales peuvent être confiées, par un contrat écrit, à une pharmacie dont l’activité de sous-traitance a été autorisée. Les BPP sont dorénavant opposables.

2009

Possibilité de déconditionner les spécialités sur liste. Cette exception à la loi Talon sur la réglementation des substances vénéneuses est possible en l’absence de spécialités permettant d’ajuster un dosage ou une galénique, par exemple en pédiatrie.

2016

Suppression des produits officinaux divisés (POD) du code de la santé publique. Désormais, les officinaux achètent alcool, liniment oléocalcaire, etc. tout prêts.

2019

Entrée en vigueur de la 10e édition de la pharmacopée européenne. Avec plus de 3 000 divs, elle s’impose à tous les pays membres de l’UE.

EN ROUTE VERS LE FUTUR

Boîte à dorer les pilules. On y plaçait les pilules et de la poudre d’or ou d’argent et on remuait. Ainsi recouvertes d’une fine pellicule, elles avaient un goût et une texture plus acceptables ! L’outil est à l’origine de l’expression « dorer la pilule », qui consiste à enjoliver les choses.

Balance Roberval. Inventée au XVIIe siècle, elle fut introduite dans les laboratoires de chimie par Lavoisier au XVIIIe siècle. Ici, un modèle à portée maximale de 5 kg et des masses marquées (boîte de 1 kg incomplète).

Alcoomètre en verre. Il mesure le degré alcoolique selon le principe d’Archimède. Moins le liquide est dense et plus l’alcoomètre s’enfonce.

Perforatrice. Elle permettait de faire des trous dans les mini-fiches Fahrenberger (voir p. 30) qui identifiaient les produits pour commander chez les grossistes avant la gestion informatisée.

Saccharolyseur ou « machine à sirop ». Il permettait de disposer, à froid et en continu, de sirop simple qui entrait dans la fabrication de préparations médicamenteuses. Sucre et eau sont introduits dans le cylindre de la partie supérieure et, après dissolution progressive, le sirop est filtré et recueilli dans la partie inférieure via le robinet.

Centrifugeuse mécanique. En tournant la manivelle, on provoquait la rotation rapide des tubes à essai, permettant la séparation des différentes phases par la force centrifuge.

Réfractomètre. Ce vieux modèle mesurait la consistance des échantillons liquides, solides et pâteux et en déduisait la proportion en un élément, par exemple en eau.

Boîte de flacons qui servaient à la confection des 12 sels de Schüssler, conçus par un homéopathe allemand (1872), avec des minéraux à dose homéopathique : calcarea fluorica, phorphoricum…

Trousse de tubes de granules homéopathiques et ses nomenclatures de 1963.

DE VIEILLES SPÉCIALITÉS…

Pansements divers et gazes de tissu.

Un vésicatoire est un topique révulsif destiné à provoquer la formation de vésicules cutanées (traitement de furoncles, abcès…).

De la peau de chat pour les frimas…

Fil de suture longtemps utilisé, le catgut était fait du tissu conjonctif de l’intestin de bœuf ou de chat…

LE SAVIEZ-VOUS ?

Débutée en 1565, la « querelle de l’antimoine », principe actif d’origine minérale, a duré plus de 100 ans. Elle oppose les facultés de médecine de Montpellier et de Paris. Celle du sud soutient la thèse de Paracelse sur les vertus thérapeutiques de l’antimoine, notamment vomitives. La fac de Paris est opposée à cette nouvelle médecine « chimique » et fera interdire l’antimoine, responsable d’intoxications mortelles. Louis XIV la réhabilitera après avoir bénéficié d’antimoine dans du vin blanc contre la fièvre typhoïde.

Témoignage

Jean-Mary Robert, 80 ans, Montargis (45)

« J’ai exercé à Orléans. Au retour de mon service militaire, effectué entre janvier 1961 et novembre 1963, le nombre de préparations à effectuer avait complètement chuté ! Avant mon départ, le pharmacien se fournissait surtout en matières premières, teinture de méthadone, poudre de plantes, etc., dans le but de préparer ses produits. À mon retour, ce sont surtout les laboratoires qui nous fournissaient en médicaments de spécialité. Ce changement a considérablement modifié l’organisation du travail. Le préparateur a quitté le préparatoire pour s’atteler à la gestion des stocks. »

LE SAVIEZ-VOUS ?

En 1943, le « produit sous cachet » est autorisé. Cet ancêtre du générique permet de copier une spécialité déjà exploitée, notamment en cas de formule ancienne mais efficace, ou pour multiplier les fabricants et limiter les ruptures…

Témoignage

Patrick Béguin, préparateur retraité, 69 ans, Paris (75)

« En 1968, à mes débuts, rien n’était conditionné ! Le fournisseur nous livrait les produits dans de gros bidons et nous devions les répartir dans des conditionnements plus petits. Nous faisions cela à la cave, sans protection… Le jour du conditionnement de l’éther, nous remontions dans un drôle d’état en fin de journée ! D’ailleurs, nous avions des clients qui nous en achetaient pour le boire… Une fois le produit versé dans un flacon, nous apposions une étiquette à l’aide de colle que nous fabriquions nous-mêmes avec de l’eau, des grains de gomme arabique et parfois un peu d’eau de laurier de cerise pour éviter les moisissures. »

Témoignage

Patrick Béguin, 69 ans, Paris (75)

« Durant un temps, les préparations en officine ont repris de l’ampleur avec la vente des gélules amincissantes. Sur prescription médicale, nous mélangions des amphétamines, des diurétiques, des extraits thyroïdiens en gélules. Ces préparations étaient si nombreuses – de l’ordre de 180 gélules pour une seule prescription d’un mois ! – que nous utilisions un moulin à café pour accélérer la manœuvre. »

LE SAVIEZ-VOUS ?

En 1995, les substances anorexigènes sont interdites dans les préparations. Les principes actifs visés sont : benfluorex, clobenzorex, fenfluramine, dexfenfluramine, amfépramone, fenproporex, norpseudoéphédrine, mefenorex…

Témoignage

Franciane, préparatrice, BP en 1982 à Paris (75), exerce uniquement en préparatoire

« Quand j’ai commencé à travailler, on faisait toute la journée des suppos, des gouttes à base d’huiles essentielles, des hydrosols aromatiques, des ampoules buvables et des formules plus vendues, comme l’embrocation siamoise ou la lotion Sacnel. Je devais même nourrir de sang les sangsues vivantes pour les saignées… On travaillait avec des balances Roberval, Trébuchet, on faisait les calculs à la main, voire de tête. À la pharmacie Flak, dans le IXe, on avait mis en place des précautions dès les années 1980, avec fiches, double voire triple contrôle, numéros de lot dans l’ordinateur dès l’arrivée de l’informatique… mais rien d’obligatoire. L’informatique et les BPP ont permis de sécuriser les préparations, mais le zéro erreur n’existe pas et rien ne dispense de “faire selon l’art” qui doit persister. »

Témoignage

Myriam Cerda, préparatrice, 59 ans, Eygalières (13)

« Peu à peu, le nombre de préparations à réaliser a baissé au profit des médicaments de spécialité. D’abord, parce que les médecins n’en prescrivaient plus, ensuite parce que les bonnes pratiques de préparation ont rendu les conditions très strictes. Comme je n’avais pas étudié la pharmacologie en formation initiale, j’ai dû me former sur le tas. Aujourd’hui, nous déléguons les préparations à des pharmacies toutes équipées. »

Témoignage

Patrick Béguin, préparateur retraité

« Nous réalisions des teintures mères de Nux vomica . À peine sortis de classe de 3e, nous manipulions des principes actifs potentiellement toxiques comme la strychnine, sans protection, alors qu’aujourd’hui, ils sont manipulés sous hotte. »

Témoignage

Christel Leclercq, préparatrice, formatrice et consultante spécialisée du préparatoire, présidente de Prépaforma et dive de la rubrique « La prép » pour Porphyre

« Aujourd’hui, et c’est logique, la formation technique s’est réduite dans les études et devient insuffisante pour les préparateurs qui ne feront que du préparatoire. Il manque les nouveaux outils, le contrôle pharmaceutique, mais sur tout une culture du préparatoire. Avant, il existait une transmission des connaissances sur les produits et les solubilités, et une gymnastique de l’esprit qui apportait de la logique. Cela se perd car la formation est trop courte, au bénéfice de la pharmacologie pour être opérationnel au comptoir. Il faut conser ver une formation de base sur les préparations, mais également proposer une formation complémentaire pour ceux qui se destinent exclusivement au préparatoire, sous la forme d’une option ou d’une spécialisation, à la manière des pharmaciens qui choisissent l’of ficine ou l’industrie. »

Témoignage

Kristina Yap Larioui, préparatrice, responsable du préparatoire à la pharmaciepréparatoire Delpech, Nancy (54)

« Même si la préparation devient une spécialisation, cela me semble pertinent de s’y investir. Il y a toujours un besoin de traitements sur mesure. Sur les six dernières années, je ne crois pas que le volume de prescriptions ait diminué. Il pourrait même augmenter si les médecins étaient davantage formés… En plus d’apporter des solutions ciblées, comme en pédiatrie, les préparations ont un avantage écologique et économique en évitant le gaspillage. Elles ouvrent aussi sur la recherche. Quand j’étais à Paris, chez Delpech, le pharmacien responsable a par exemple collaboré avec des médecins hospitaliers pour mettre au point des formules contre les douleurs neuropathiques qui ont donné de très bons résultats. Pour le préparateur, la préparation est aussi la possibilité de garder son cœur de métier, avec son savoirfaire pratique mais aussi technique. Je me souviens d’une prescription d’un gel coloré à base d’acide phosphorique par un dentiste. J’ai dû tâtonner longtemps pour inventer la formule, trouver le bon gélifiant, la bonne concentration, le colorant… Ces petits défis font aussi tout l’intérêt du métier. »

Témoignage

Sébastien Bertin, préparateur, co-responsable depuis 2005 du préparatoire de la pharmacie Delpech, à Paris (75)

« Aujourd’hui, la technicité, la sécurité et la traçabilité sont tellement pointues que le préparatoire est quasi un autre métier mais il y a de la place pour toutes les officines, à condition de s’investir et de respecter intégralement les règles. Faire une prép n’est pas un simple mélange de deux tubes. Les nouveaux savoirfaire et la qualité crédibilisent la profession. Chez Delpech, nous avons toujours appliqué à la lettre et même devancé chacune des réglementations. Nos tests qualité sont maintenant reconnus et nous ouvrent de nouvelles collaborations avec des vétérinaires, des médecins ou des laboratoires pharmaceutiques. Nous avons par exemple participé à la mise au point d’alternatives avec un service spécialisé contre la douleur et réussi à sourcer un produit à base de CBD [cannabidiol, NDLR]. C’est une ouverture de nos compétences vers la recherche et c’est passionnant. Cela fait vingt ans que je suis en activité et mon métier change tous les ans. Ce n’est pas habituel comme discours pour un préparateur ! Les préparateurs que je vois en entretien d’embauche n’ont pas suffisamment de connaissances pour être opérationnels dans un préparatoire spécialisé. Le préparatoire est devenu tellement technique que c’est quasiment une spécialisation. »

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