Les mésusages de l’alcool - Porphyre n° 561 du 01/04/2020 - Revues
 
Porphyre n° 561 du 01/04/2020
 

Savoir

La patho

Auteur(s) : Thierry Pennable

Entre l’usage simple d’alcool et la dépendance sévère, une consommation à risque échappe aux radars bien qu’elle concerne près d’un quart des Français. Les professionnels de santé ont un rôle d’information sur les méfaits de l’alcool, bien moins identifiés que ceux du tabac, mais il faudra d’abord briser un tabou…

La maladie

L’alcool

L’éthanol

• L’alcool ingéré lors de la consommation de boissons alcoolisées est de l’éthanol pur, aussi appelé alcool éthylique ou alcool pur. Il est obtenu par la fermentation des sucres contenus dans les fruits – raisins pour le vin –, les grains de houblon pour la bière, ou les tubercules, telle la pomme de terre pour la vodka.

• La quantité d’éthanol contenue dans une boisson alocoolisée est indiquée en degrés ou en pourcentage pour 100 ml de boisson. Exemple : 100 ml de boisson à 13°, ou 13 %, contiennent 13 ml d’éthanol.

• Le verre standard, à peu près 10 cl de vin, 25 cl de bière à 5 % vol., ou à 3 cl d’alcool à 40 % vol., correspond à 10 g d’éthanol.

Pharmacocinétique

« L’alcool pénètre dans les cellules jusqu’à en atteindre le noyau. C’est une grande différence avec beaucoup d’autres drogues. L’alcool n’a pas beaucoup de barrières, souligne Mickael Naassila, professeur de physiologie à l’UFR de pharmacie de l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens (80), et président de la Société française d’alcoologie. L’alcool entraîne du stress oxydatif, attaque les protéines et l’ADN, perturbe le métabolisme et déclenche de l’inflammation. »

Absorption digestive

Par diffusion passive. L’éthanol est une molécule de petite taille qui passe dans la circulation générale par simple diffusion passive.

> 20 % de l’éthanol traverse la paroi de l’estomac pour aller dans le sang.

> 70 à 80 % de l’absorption se fait au niveau de l’intestin grêle, via duodénum et jéjunum. L’absorption digestive est rapide et complète en environ deux heures.

• L’ingestion de nourriture, en prolongeant le passage de l’éthanol dans l’estomac, retarde son absorption au niveau de l’intestin grêle. Le pic de concentration plasmatique (Cmax) est alors plus tardif et moins élevé.

• L’éthanol est moins métabolisé, moins dégradé, dans l’estomac des femmes que dans celui des hommes. À dose absorbée équivalente, le passage d’éthanol dans la circulation sanguine est plus important chez les femmes (voir plus bas)(1).

Distribution

• Un phénomène rapide. La distribution de l’éthanol à partir du sang vers les organes se fait dans l’eau libre, sans liaison aux protéines plasmatiques. Sa distribution dans les graisses et les os est négligeable.(2)

• À consommation égale, l’alcoolémie dépend de la quantité d’eau contenue dans l’organisme. À consommation égale :

> les personnes les plus lourdes ont en général davantage d’eau dans leur corps, et donc une alcoolémie plus faible(3) ;

> et à poids corporel égal, l’alcoolémie est en général plus élevée chez les femmes, qui ont souvent moins de tissu musculaire que les hommes. L’eau représente environ 55 % de leur poids corporel, contre 68 % chez les hommes(3).

Élimination

L’élimination de l’éthanol se fait par son oxydation enzymatique et par son excrétion sous forme inchangée.

• Métabolisme. Plus de 80 % de l’éthanol ingéré est métabolisé par le foie. Le rein et le tractus gastro-intestinal participent à un niveau moindre. La quantité d’alcool déshydrogénase (ADH), enzyme prépondérante pour le métabolisme de l’éthanol, est plus faible dans la muqueuse gastrique des femmes. Du coup, une plus grande proportion de l’éthanol qu’elles consomment passe dans le sang (car non dégradé dans l’estomac).

• Excrétion. L’éthanol est éliminé sous forme inchangée par l’air expiré, les urines et la sueur, en quantité variable selon les concentrations plasmatiques. L’estimation de l’éthanol dans l’air expiré repose sur le rapport des concentrations d’éthanol dans le sang et dans l’air expiré. Ce rapport constant et égal à 2 100 permet la formule alcoolémie = concentration dans l’air expiré × 2 100. Chaque verre standard d’alcool fait monter l’alcoolémie de 0,20 à 0,25 g/l de sang ou 0,10 à 0,12 mg/l d’air expiré.

Effets sur la santé

Selon les quantités absorbées, l’alcool est responsable directement ou indirectement de plus de 200 maladies et atteintes diverses(4).

Mortalité prématurée

L’alcool est la deuxième cause de mortalité prématurée en France (voir infographie p. 31). Le risque absolu de mortalité, toutes causes confondues, augmente de 1 % à partir de 15 g d’alcool par jour chez les femmes et de 25 g chez les hommes(5).

Cancers

L’éthanol est classé cancérigène pour l’homme depuis 1988 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Chaque année, il est responsable de 28 000 nouveaux cas de cancers. C’est la deuxième cause évitable de mortalité par cancer. Dès une consommation modérée, l’alcool augmente le risque de développer des cancers du sein, du côlon et du rectum, de la bouche et du pharynx, du foie, de l’œsophage et de l’estomac. L’association alcooltabac démultiplie les risques de cancers des voies aérodigestives supérieures.

Maladies hépatiques

Le foie est la principale cible des effets de l’alcool. Sa consommation excessive provoque :

• une stéatose : accumulation anormale de triglycérides dans les hépatocytes, parfois réversible ;

• une hépatite alcoolique : inflammation du foie, de la forme asymptomatique à la forme sévère, le plus souvent une cirrhose décompensée. En général, le risque et la gravité des lésions hépatiques sont liés à la quantité consommée en termes de volume, de fréquence et de durée ;

• une cirrhose « alcoolique » : une grande part du tissu hépatique normal est définitivement remplacée par du tissu cicatriciel, ou fibrose. Ce tissu ne remplit aucune fonction. Le foie ne peut plus fonctionner normalement et finit par rétrécir. La cirrhose est irréversible.

Sur le système nerveux central

Intoxication aiguë

• À faibles doses, l’alcool a un effet psychostimulant et désinhibe le comportement.

• À plus fortes doses, il est sédatif. Les troubles de la vigilance vont de la confusion au coma. Un syndrome cérébelleux est responsable de troubles de l’équilibre et de la parole.

En cas d’alcoolisation chronique

• Neuropathies périphériques. La polyneuropathie des membres inférieurs et les neuropathies optiques régressent lentement, totalement ou partiellement, à l’arrêt de la consommation.

• Syndrome cérébelleux, essentiellement des troubles de la marche.

• Encéphalopathies. L’encéphalopathie de Wernicke, due à un déficit en thiamine ou vitamine B1, est une complication courante de l’intoxicat ion alcool ique. Sa gravi té t ient essentiellement à la survenue fréquente d’un syndrome de Korsakoff, caractérisé par une perte sévère de la mémoire, surtout des événements récents. Plus rares, citons l’encéphalopathie pellagreuse, due à une carence en vitamine PP, et l’encéphalopathie hépatique, consécutive à une hépatopathie alcoolique.

• Troubles cognitifs. En dehors du syndrome de Korsakoff, les troubles cognitifs sont extrêmement fréquents chez les consommateurs excessifs chroniques, y compris jeunes (2). Ces troubles perturbent les efforts de réadaptation après un sevrage. « Des programmes de remédiation cognitive (voir Dico+) sont proposés aux patients alcooliques sévères présentant des déficits des fonctions exécutives. Ils sont stimulés pour exécuter des tâches ou les planifier, explique le professeur Naassila. La plasticité cérébrale permet une récupération fonctionnelle, qui peut être lente sur certains aspects en fonction de l’atteinte. Sauf en cas de syndrome de Korsakoff car l’atrophie cérébrale et les atteintes de la mémoire sont trop importantes. »

• Syndrome de sevrage alcoolique. La symptomatologie mêle de façon variable anxiété, agitation, insomnie, cauchemars, sueurs, tremblements, tachycardie, hypertension, anorexie, nausées, vomissements, diarrhée. Ces troubles sont parfois qualifiés de « pré-delirium tremens ». Non traités, ils évoluent vers un syndrome confusionnel, véritable « delirium tremens », des hallucinations et des convulsions.

Alcool et grossesse

• L’alcoolisation fœtale. L’éthanol franchit facilement la barrière placentaire. L’alcoolisation ou intoxication fœtale a des effets dramatiques et permanents pour l’enfant à naître. Le système d’élimination de l’alcool est peu développé chez le fœtus, chez lequel les concentrations sont supérieures à celles mesurées chez la mère. Les « troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale » sont variables :

> troubles comportementaux mineurs ;

> syndrome d’alcoolisation fœtale : malformation du crâne et du visage, retard de croissance, handicaps comportementaux et cognitifs ;

> dépendance à l’alcool. « La toxicité fœtale entraîne pour l’enfant un risque de dépendance à l’alcool précoce, dès l’adolescence. C’est un facteur aussi prédictif que d’avoir un parent alcoolique », prévient le professeur Naassila.

• « 0 alcool pendant la grossesse ». Entre 2006 et 2013, en France, 3 207 nouveau-nés ont présenté au moins une conséquence liée à l’alcoolisation fœtale, équivalant à une naissance par jour ; 452 d’entre eux souffraient d’un syndrome d’alcoolisation fœtale, équivalant à une naissance par semaine. Ces chiffres sont sous-estimés compte tenu de la difficulté à diagnostiquer ces troubles en période néonatale(6). Les risques existent tout au long de la grossesse et aucun seuil en deçà duquel les risques pour le fœtus sont nuls n’a été mis en évidence. D’où la recommandation « 0 alcool pendant la grossesse ».

Usages et mésusages

Repères de consommation

En 2019, au regard des conséquences de l’usage d’alcool sur la santé, les repères pour une consommation à moindre risque ont été divisés par deux. La formule « Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour, et pas tous les jours » résume les nouveaux repères pour une consommation à moindre risque élaborés par Santé publique France et l’Institut national du cancer (Inca). À savoir : dix verres par semaine maxi, deux verres par jour maxi et des jours dans la semaine sans consommation, les risques pour la santé étant observés dès le premier verre quotidien. Ces repères sont valables pour les hommes et les femmes, sauf si elles sont enceintes (voir Alcool et grossesse p. 33).

Usage simple

L’usage simple ou « à faible risque » d’alcool est défini par une consommation asymptomatique inférieure aux nouveaux repères de consommation, soit dix verres par semaine maximum, sans dépasser deux verres par jour.

Usage à risque

Asymptomatique mais susceptible d’entraîner des dommages à plus ou moins long terme, l’usage à risque est la forme la moins sévère du mésusage. Même si l’alcool a des effets sur la santé dès le premier verre, la consommation est considérée comme un usage à risque si elle dépasse au moins l’un des trois nouveaux repères de consommation. Ce qui est le cas pour près d’un quart des 18-75 ans, 33 % des hommes et 14 % des femmes (Santé publique France, 2017).

Dépendance

La dépendance à l’alcool, alcoolodépendance ou addiction à l’alcool, était définie distinctement de l’abus jusqu’en 2015, notamment comme un besoin – une nécessité – de boire.

« Troubles liés à l’usage d’alcool »

• Une nouvelle définition. Les notions d’« abus d’alcool » et de « dépendance à l’alcool » ont été remplacées par la notion unique de « trouble d’utilisation de l’alcool ».

• Ce trouble, correspondant à une « altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement significatives », est évalué sur onze critères (voir encadré p. 33). « Nous sommes passés d’une conception où le consommateur était abuseur ou dépendant à des critères permettant de repérer une dépendance légère », observe le professeur Naassila. Un consommateur peut être dépendant en ayant “seulement” des problèmes pour gérer sa consommation. La compulsion, par exemple, c’est-à-dire le maintien de la consommation malgré les problèmes causés par l’alcool, est un signe fort de dépendance. Il peut apparaître chez des individus qui n’ont pas quinze ou vingt ans d’alcoolisation. »

Constat

Méconnaissance des risques

Alors que les conséquences médicales du tabac sont associées à sa consommation, il n’en va pas de même pour l’alcool. Or, « permettre aux Français de faire le choix éclairé d’une consommation à moindre risque pour leur santé […] nécessite de faire connaître les risques associés à l’alcool », expliquait en 2019 François Bourdillon, alors directeur général de Santé publique France. Cette année-là, pour la première fois, la campagne de l’organisme n’évoquait pas les accidents de la route ou autres comportements délictueux, mais précisait qu’« au-delà de deux verres par jour, vous augmentez vos risques d’hémorragie cérébrale, de cancers et d’hypertension ».

Peu de soins spécialisés

Seul un faible nombre de consommateurs excessifs est en recherche de traitement, et moins de 10 % bénéficient de soins spécialisés. Les patients alcoolodépendants sont actuellement pris en charge dans le cadre de l’ALD 6 (Maladies chroniques du foie et cirrhoses) et de l’ALD 23 (Affections psychiatriques de longue durée, dont troubles addictifs graves).

Prise en charge

Stratégie

La prise en charge a longtemps consisté à proposer une abstinence aux patients dépendants, ou à risque de le devenir. Aujourd’hui, toute personne ayant un probable mésusage d’alcool devrait se voir proposer une prise en charge dans le but d’arrêter cette consommation ou de la réduire pour en diminuer les risques. Les modalités, sevrage ou consommation réduite, en ambulatoire ou en hébergement, avec ou sans médicament, sont adaptées au cas par cas.

Objectifs thérapeutiques

Prise en charge

Elle vise :

• le maintien d’une consommation à moindre risque à long terme, voire au maintien de l’abstinence ;

• la gestion des rechutes ;

• la prévention de la dépendance ;

• à prévenir des dommages liés à la consommation.

Elle passe d’abord par le repérage des risques.

Agir sur la consommation

Le traitement d’un mésusage de l’alcool vise d’abord l’amélioration de la qualité de vie des patients. Il devrait cibler une prise en charge globale. Or, une amélioration significative n’est possible qu’avec un arrêt ou une réduction de sa consommation d’alcool. C’est pourquoi le traitement porte, en général, d’abord sur le changement de consommation et sa stabilisation(7). Idéalement, la réduction de la consommation d’alcool vise à descendre sous les repères d’un usage à moindre risque. Cependant, toute baisse significative de la consommation peut apporter un bénéfice au patient. Il est donc recommandé(8) :

> d’accepter et de valoriser toute cible de réduction de la consommation, toujours préférable au renoncement aux soins ;

> d’adapter les cibles de réduction en fonction des ressources du patient.

Abstinence ou réduction

L’abstinence est l’objectif de consommation le plus sûr pour la plupart des personnes dépendantes(8). Néanmoins :

> une rémission stable sans abstinence est possible chez certaines personnes dépendantes ;

> une réduction de la consommation acceptée donne de meilleurs résultats qu’une abstinence imposée ;

> l’objectif de réduction de la consommation évite de dissuader les personnes non disposées à l’abstinence de s’engager dans une démarche de soins.

Repérage des risques

« La consommation d’alcool, qui est l’une des premières causes d’hospitalisation, est repérée bien trop tard. Le repérage précoce, avant la survenue de la maladie, est un enjeu primordial », soutient le professeur Naassila.

Avant la maladie

Le repérage des usages excessifs est moins compliqué que celui des consommateurs dépendants. Les consommations excessives induisent le plus souvent peu ou pas de dommages immédiats. Il n’y a pas de dénégation de la part des consommateurs, qui n’en ressentent pas de culpabilité, même s’il existe une minimisation ou une banalisation. Le professionnel de santé peut préciser qu’il ne parle « pas d’addiction mais d’un repérage de la consommation d’alcool pour en évaluer le risque », suggère le président de la Société française d’alcoologie.

Obstacles et inhibitions

Les inhibitions des professionnels de santé sont un obstacle au repérage des mésusages de l’alcool. Interrogés sur ces obstacles, des médecins généralistes soulevaient un manque de savoirfaire et de légitimité, un manque de temps et de valorisation des actes préventifs, ou encore la peur de blesser le patient, et donc de le perdre(9). Jean-Baptiste Deballon, pharmacien à Pont-l’Abbé (29), estime qu’il y a surtout « un problème de confidentialité à l’officine pour aborder ce sujet tabou ». Ce titulaire, qui a rédigé sa thèse sur « L’évaluation, les intérêts et les impacts d’une formation au repérage précoce et intervention brève (RPIB) »(10), ajoute que « les mésusages de l’alcool soulèvent souvent des problèmes sociaux ou psychologiques compliqués à traiter sans une formation ». Le pharmacien souligne aussi le manque de leviers économiques pour favoriser un investissement personnel dans « des interventions de suivi ou de repérage qui pourraient entrer dans le cadre des entretiens pharmaceutiques. »

Interactions alcool-médicaments

S’il n’est pas aisé d’aborder la consommation d’alcool spontanément, les explications des interactions entre l’alcool et certains médicaments (voir encadré ci-contre) peuvent être l’occasion d’établir un dialogue. Voir à ce sujet la vidéo « Le pharmacien : un acteur dans le repérage de la consommation d’alcool » sur le site intervenir-addictions.fr. Un jeune homme vient chercher des antibiotiques. L’officinale aborde la consommation d’alcool en partant de ses interactions indésirables avec le médicament, un procédé qui permet d’évoquer cette question sur un mode non jugeant.

Questionnaires de repérage

Plusieurs questionnaires sont disponibles. En France, le questionnaire FACE, pour Fast Alcohol Consumption Evaluation, a été retenu dans le cadre du Repérage précoce et intervention brève (RPIB) en alcoologie. Le questionnaire DETA, ou CAGE-DETA, DETA, acronyme de Diminuer, entourage, trop et alcool, traduction française de CAGE (Cut-down, Annoyed, Guilty, Eyeopener), est rapide, simple et validé.

• Quatre questions pour rechercher un mésusage.

– Avez-vous déjà ressenti le besoin de diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ?

– Votre entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation ?

– Avez-vous déjà eu l’impression que vous buviez trop ?

– Avez-vous déjà eu besoin d’alcool dès le matin ?

• Interprétation. « Oui » à une question : risque de conséquences négatives liées à la consommation d’alcool. « Oui » à au moins deux questions, consommation excessive et problématique probable : risque de graves problèmes de santé.

« Repérage précoce et intervention brève »

• Le Repérage précoce et intervention brève (RPIB) consiste en une discussion invitant le patient à évoquer un changement d’habitude de consommation d’alcool, assortie d’un conseil de modération. Le RPIB en alcoologie s’adresse aux consommateurs à risque, non dépendants. Le changement de comportement découle de l’intérêt perçu par le consommateur de modifier sa consommation en raison des risques encourus. Tous les professionnels de santé de premier recours sont concernés, sous condition de formation préalable, estime la HAS(8).

• Objectifs thérapeutiques(8) : repérer les consommations à risque de dommages physiques, psychiques ou sociaux, intervenir auprès de ces consommateurs pour réduire le risque de dommages, accompagner et soutenir leurs efforts vers un changement de comportement durable.

Prévention des risques et réduction des dommages

En 1981, face à l’accroissement des hospitalisations liées à l’alcool, le concept de consommation raisonnable a été développé en Grande-Bretagne. L’objectif de la « prévention des risques et réduction des dommages » (RdRD) est de permettre au consommateur à risque de subir le moins de dommages possibles, avec ou sans poursuite d’une consommation à moindre risque, en impliquant l’usager et en lui donnant des informations lui permettant d’évaluer ses prises de risque.

• Trois groupes de facteurs de risque sont distingués : le condiv de vie, les modalités de consommation (quantité, rythme, consommations associées, médicaments y compris, et nombre d’années de consommation) et les facteurs de vulnérabilité individuelle.

• Les étapes de la RdRD. Identifier et hiérarchiser les facteurs de risque avec l’usager et repérer les dommages existants, aider l’usager à identifier ses compétences et vulnérabilités, sélectionner les risques et dommages qu’il souhaiterait réduire, l’aider à s’approprier les moyens d’action adaptés pour y parvenir, et l’accompagner dans l’atteinte de ces objectifs.

Modalités de prise en charge

Différents niveaux d’intervention sont proposés en fonction de la sévérité et de la complexité de la situation(11).

En médecine de ville

Le généraliste reste le pivot de la prise en charge et la première personne ressource pour le sujet et son entourage. Son rôle dépend beaucoup de sa formation aux mésusages de l’alcool et à l’intervention brève. Il doit aussi pouvoir s’appuyer sur des partenaires trop souvent mal identifiés, comme les assistantes sociales ou les psychologues. « Les conférences de consensus successives disent toutes que la cure ambulatoire est à privilégier, souligne Philippe Jaury, généraliste et professeur émérite de médecine générale à la faculté Paris-Descartes. Même les situations de dépendance peuvent être prises en charge en ville si la qualité de l’entourage le permet. L’entourage, ce sont les parents, les proches, mais aussi l’officinal, qui peut jouer un rôle majeur. »

Aide à distance

C’est un recours approprié pour les personnes qui n’osent pas parler de leur usage de l’alcool ou estiment que leur consommation ne justifie pas une consultation, ou lorsqu’il est difficile de trouver de l’aide (voir Savoir plus : Alcool info service, p. 40).

Aide spécialisée

Indications

Une intervention spécialisée est recommandée(7) si une intervention brève n’est pas possible, pas indiquée ou pas efficace, ou si l’évaluation globale du patient montre des signes d’alcoolisation sévère ou de gravité des comorbidités somatiques ou psychiatriques, précarités sociales, polyconsommation…

Csapa

Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) proposent un accompagnement ambulatoire sous forme d’approche individuelle, collective ou familiale. Adresses sur www.drogues-info-service.fr > Tout savoir sur les drogues > Se faire aider. Le patient peut opter pour une prise en charge hospitalière et être accueilli dans un service partenaire.

Unités hospitalières d’addictologie

Ces structures hospitalières proposent des consultations externes et des sevrages de courte durée, voire des séjours de longue durée si elles disposent de lits dédiés aux addictions.

Structures de soins résidentiels

• Objectifs. L’aide dans ces structures repose sur un programme thérapeutique destiné à renforcer les compétences du patient et sur un changement de cadre, voire un éloignement, sous forme individuelle (appartement thérapeutique, chambre d’hôtel, famille d’accueil) ou collective, avec centres thérapeutiques résidentiels, services de soins de suite et de réadaptation, communautés. Ils s’accompagnent d’activités et de projets thérapeutiques.

• Indications de soins résidentiels : présence ou antécédent de delirium tremens ou de crises comitiales, consommation associée de substances psychoactives à doses élevées. Autres au cas par cas : syndrome de sevrage important, échec de sevrages ambulatoires itératifs, comorbidité sévère ou instable, fragilité liée à l’âge avancé, demande pressante de l’entourage, faible soutien social, précarité sociale, grossesse.

Traitement pharmacologique

Choix

Une aide pharmacologique peut être proposée à tout patient en difficulté avec sa consommation. Le choix du médicament est fait avec lui, en fonction des effets attendus. Par exemple, la naltrexone, pour une aide au maintien de l’abstinence et éviter les rechutes, ou le baclofène, dans l’objectif de rendre le patient indifférent à l’alcool. Ces médicaments peuvent être choisis par élimination jusqu’à trouver le mieux supporté et le plus efficace. « À l’exception du disulfirame [Espéral], toujours prescrit à la demande du patient dans la prévention des rechutes, qui provoque un effet antabuse potentiellement grave en cas de prise d’alcool », précise le Pr Jaury.

Médicaments

Disulfirame (Espéral)

• Indication. Adjuvant dans la prévention des rechutes au cours de l’alcoolodépendance en deuxième intention après l’acamprosate ou la naltrexone en raison des contre-indications, des interactions médicamenteuses et de la dangerosité potentielle de l’effet antabuse.

• Mode d’action. Le disulfirame bloque la dégradation de l’acétaldéhyde et a un effet antabuse (1) en cas de prise d’alcool concomitante.

• Effets indésirables fréquents : céphalées, somnolence, dysgueusie, fatigue. Signes de surdosage : atteinte neurologique (encéphalopathie), troubles de la conscience (confusion, coma), convulsions, syndromes extrapyramidaux.

Acamprosate

• Indication. L’acamprosate (Aotal) est indiqué dans le « maintien de l’abstinence chez le patient alcoolo-dépendant ». Une réalcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement. L’AMM prévoit une durée maximale d’un an, mais il peut être poursuivi tant qu’il existe un bénéfice et que le patient le souhaite(7).

• Mode d’action. Incomplètement élucidé. Le calcium associé (homotaurinate de calcium) pourrait sous-tendre ses effets thérapeutiques (7).

• Effets indésirables fréquents. Diarrhée, douleurs abdominales, nausées, vomissements, flatulences, prurit, rash maculo-papuleux, diminution de la libido, frigidité et impuissance. Les surdosages aigus sont habituellement bénins. La diarrhée est le seul symptôme, pouvant être rattaché au surdosage.

Naltrexone

• Indication. Aide au maintien de l’abstinence chez les patients alcoolodépendants, dans le cadre d’une prise en charge globale comprenant un suivi psychologique. La durée de prescription maximale est de trois mois, mais il peut être poursuivi jusqu’à six mois ou tant qu’il existe un bénéfice et que le patient le souhaite(7).

• Mode d’action. Antagoniste des récepteurs opiacés mu, kappa et delta, la naltrexone réduit la libération de dopamine dans le noyau accumbens, diminuant ainsi l’envie de consommer(7).

• Effets indésirables fréquents. Vertiges, nausées et vomissements. Attention au risque d’effet antabuse avec la codéine (pas avec l’alcool).

Nalméfène

• Indication. Réduction de la consommation d’alcool chez les patients dépendants avec une consommation à risque élevé, ne présentant pas de symptômes de sevrage et ne nécessitant pas un sevrage immédiat. Le nalméfène (Selincro) dispose d’une AMM européenne pour le traitement de la dépendance à l’alcool depuis février 2013.

• Mode d’action. Antagoniste mu et surtout kappa, le nalméfène réduirait l’usage d’alcool en modulant la sécrétion de la dopamine.

• Effets indésirables fréquents : nausées, sensations vertigineuses, insomnie, céphalées et vomissements.

Baclofène

• Indication. À l’origine, le baclofène est indiqué dans le traitement des contractures spastiques de la sclérose en plaques, des affections médullaires d’étiologie infectieuse, dégénérative, traumatique, néoplasique et cérébrale. Lioresal et Baclofene Zentiva font l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) jusqu’à la commercialisation effective de la spécialité Baclocur, prévue avant la fin de l’année.

• Indication de la RTU : réduction majeure de la consommation d’alcool jusqu’au niveau faible de consommation défini par l’OMS chez des patients alcoolodépendants à haut risque, après échec des autres traitements.

• Indication de Baclocur. En octobre 2018, l’ANSM a octroyé une AMM à la spécialité Baclocur dans le traitement de patients alcoolodépendants à la dose maximale de 80 mg par jour. Baclocur est indiqué pour réduire la consommation d’alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les adultes ayant une dépendance à l’alcool et une consommation d’alcool à risque élevé (> 60 g par jour pour les hommes ou à 40 g par jour pour les femmes).

• Mode d’action. En activant les récepteurs inhibiteurs GABA-B, le baclofène diminue la libération de dopamine et induit des effets sédatifs, notamment anxiolytiques. Il permettrait ainsi de rédui re les envies t rès intenses de consommer (craving), et par conséquent les rechutes.

• Effets indésirables les plus fréquents de Baclocur : somnolence/sédation, asthénie, vertiges/ étourdissements, troubles du sommeil/ insomnie, ainsi que de nombreux autres effets observés. Consulter en cas d’apparition d’un nouveau symptôme après l’instauration d’un traitement, par exemple : constipation, sécheresse de la bouche, diarrhée, céphalées, état euphorique, dépression, troubles de l’accommodation, hypotension, éruption cutanée…

• Avis du spécialiste. Le professeur Jaury utilise le baclofène depuis 2008 dans le traitement des troubles liés à l’alcool. Il estime qu’« il y a moins d’effets indésirables avec le baclofène qu’avec des antiépileptiques comme la prégabaline ou la lamotrigine, ou des benzodiazépines. Et surtout beaucoup moins qu’avec l’alcool. Et le rapport bénéfices/risques est très favorable chez les patients concernés. »

• Prescriptions hors AMM. L’utilisation du baclofène dans le cadre du mésusage de l’alcool a soulevé beaucoup de débats et de controverses. Aujourd’hui encore, la limitation à une posologie maximale de 80 mg par jour, prévue dans la RTU du baclofène et dans l’AMM du Baclocur, ne convient pas à certains spécialistes, qui peuvent prescrire jusqu’à 300 mg par jour dans cette indication. Les officinaux qui ont délivré des posologies hors RTU peuvent s’attendre à des prescriptions hors AMM à la commercialisation du Baclocur (voir entretien p. 38).

Médicament à l’étude

L’oxybate de sodium (Xyrem), indiqué dans le traitement des troubles chroniques du sommeil, est en cours d’essai clinique en France, en vue d’une AMM dans l’alcoolodépendance. En agissant sur la libération de dopamine, il pourrait avoir un intérêt dans le maintien de l’abstinence et la prévention du syndrome de sevrage.

Prise en charge globale

Une prise en charge psychologique, sociale et médicale individualisée doit le plus souvent être associée au traitement médicamenteux. Toutefois, « un accompagnement psychologique n’est pas toujours indispensable. Certains patients n’en ont pas besoin », observe le professeur Jaury. Dans certains cas, « le médecin généraliste peut proposer une psychothérapie de soutien ». Pour les patients qui ne désirent pas de cet accompagnement mais qui pourraient en tirer bénéfice, « le rôle du médecin est alors de les préparer à franchir le pas ».

Conseils aux patients

Sur la consommation

Pour diminuer ses prises

• Les moments. Prendre le premier verre seulement après le début du repas. En cas de stress ou d’agacement, essayer l’activité physique au lieu de prendre un verre. Éviter le bistrot après le travail et de passer trop de temps, si possible, avec des amis qui boivent de l’alcool.

• Les quantités. Étancher sa soif avec des boissons non alcoolisées avant de prendre de l’alcool. Réduire la quantité totale d’alcool bue à chaque occasion. Prendre une boisson non alcoolisée avant chaque verre d’alcool. Privilégier les bières faiblement alcoolisées.

• La façon. Boire à petites gorgées, en mangeant et en alternant avec de l’eau.

• Les distractions. Planifier des tâches aux heures de consommation habituelle d’alcool. Chercher de nouveaux centres d’intérêt. Si l’on vous incite à boire, évoquer des raisons médicales pour « lever le pied ».

Connaître les risques encourus

Se faire une idée des risques pour sa santé en fonction de sa consommation d’alcool, même si celle-ci semble modérée. Le site alcool-infoservice. fr propose un test à réaliser.

Se faire aider

Conseiller à la personne qui s’interroge sur sa consommation d’alcool d’en parler avec son médecin traitant si elle est au-dessus des repères de consommation à moindre risque. Si elle ne le souhaite pas, lui suggérer de contacter un Csapa(11). En rappelant que ces centres ne sont pas réservés aux dépendances sévères. Si la personne ne pense pas que sa consommation justifie une consultation, conseiller de se renseigner par téléphone auprès d’Alcool info service, au 0 980 980 930, de 8h à 2h, sept jours sur sept. Les appels sont anonymes et non surtaxés.

Observance du traitement

• Inciter le patient à signaler toute survenue d’un nouveau symptôme après l’instauration d’un traitement médicamenteux, particulièrement avec des doses élevées de baclofène.

• Expliquer au patient inquiet de la posologie de baclofène prescrite que cette dose est atteinte progressivement, sous surveillance d’éventuels effets indésirables. Si cette posologie vous inquiète, n’hésitez pas à en parler avec le médecin prescripteur.

• Ne pas abandonner la démarche de soins engagée sans en parler à son médecin ou à la pharmacie car il existe d’autres thérapeutiques qui seront peut-être mieux adaptées.

• Un soutien psychologique n’est pas systématiquement indispensable mais il peut être d’une aide significative pour modifier son comportement et maintenir ses acquis.

(1) Alcool et recherche – Du laboratoire au malade , Inserm, 2014.

(2) Alcool – Effets sur la santé, Inserm, 2001.

(3) L’alcool dans le corps – effets et élimination , Prevention.ch

(4) Lutter contre un fardeau à multiples visages , Inserm, mars 2016.

(5) Les risques liés à la consommation d’alcool, Alcool info service, 3 mars 2020.

(6) Journée mondiale du SAF : premières estimations nationales…, Santé publique France, septembre 2018.

(7) Mésusage de l’alcool, dépistage, diagnostic et traitement , Alcoologie et addictologie, 2015.

(8) Outil d’aide au repérage précoce et intervention brève : alcool, cannabis, tabac chez l’adulte , HAS, novembre 2014.

(9) Intervention brève auprès des buveurs excessifs, La Revue du praticien – médecine générale, mars 2003.

(10) Évaluation, intérêts et impacts du projet pilote de formation au RPIB à l’UFR de pharmacie d’Amiens, Paris et Angers par les étudiants en sixième année filière officine , thèse pour le DE de docteur en pharmacie, novembre 2014.

(11) Trouver les structures de proximité , sur le site alcool-info-service.fr

Info +

→ Aucun remède ne permet de redevenir plus rapidement sobre en accélérant la décomposition de l’alcool. Boire plus de café, prendre une douche froide ou l’air frais ne donnent qu’une impression d’être plus sobre sans changer l’alcoolémie. En 2017, le tribunal correctionnel de Versailles a condamné la société vendant l’Outox, un soda soidisant « dégrisant », pour pratique commerciale trompeuse.

→ 50 % de la population asiatique présente une activité déficiente, voire nulle, de l’ALDH, l’une des principales enzymes du métabolisme de l’éthanol, à l’origine d’un effet « antabuse ».

Info +

→ Les femmes sont plus sensibles*. Un verre contenant 10 g d’alcool conduit à une alcoolémie de 0,2 g/l chez les hommes et 0,3 g/l chez les femmes. Pour une même dose d’alcool, les femmes sont, en moyenne, 20 à 30 % plus saoules.

(*) Les femmes et l’alcool, sur www.aide-alcool.be

Des repères depuis l’Antiquité

« Trois verres que je sers pour les personnes sobres : un pour la santé […], le second pour l’amour et le plaisir, le troisième pour dormir. […] Après, les choses se détériorent rapidement. Le quatrième bol n’est plus le nôtre mais appartient à l’orgueil, le cinquième au tumulte, le sixième à la bêtise, le septième aux yeux noirs, le huitième fait venir la police, le neuvième provoque des vomissements et le dixième appartient à la folie et au jet de meubles. »*

(*) Fragments, du poète grec Eubulus, IVe s. av. J.-C.

Un risque de maladies dose-dépendant*

Doses d’alcool au-delà desquelles le risque de maladies augmente.*

→ AVC ischémique : ≥ 37 g d’alcool/jour chez les hommes et ≥ 44 g/jour chez les femmes.

→ AVC hémorragique chez la femme : ≥ 36 g/jour.

→ Démences : ≥ 12,5 g/jour, significatif à partir de 38 g/jour.

→ Diabète de type 2 :≥ 50 g/jour environ chez les femmes et 60 g/jour chez les hommes.

→ Hypertension artérielle : toute consommation d’alcool chez les hommes ; à partir de 30 g/jour chez les femmes.

(*) Les risques liés à la consommation d’alcool, Alcool info service, 3 mars 2020.

Critères des « troubles liés à l’usage d’alcool »

En 2015, le DSM 5* a réuni les anciens critères de l’abus et de la dépendance sous un unique « trouble d’utilisation de l’alcool ». Son diagnostic repose sur la présence d’au moins deux des critères suivants au cours d’une période de douze mois.

1. L’alcool est souvent pris en quantité plus importante ou pendant une période plus longue que prévu.

2. Désir persistant de diminuer ou de contrôler l’usage de l’alcool, ou efforts infructueux.

3. Beaucoup de temps est consacré à des activités nécessaires pour obtenir et utiliser l’alcool ou récupérer de ses effets.

4. Envie, fort désir ou besoin de consommer de l’alcool.

5. L’usage récurrent de l’alcool induit un manquement à des obligations majeures, au travail, à l’école ou à la maison.

6. Poursuite de l’utilisation de l’alcool malgré des problèmes sociaux ou interpersonnels, persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de l’alcool.

7. Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont réduites ou abandonnées à cause de l’usage de l’alcool.

8. Usage récurrent de l’alcool dans des situations où il est physiquement dangereux.

9. Usage de l’alcool poursuivi bien que la personne sache avoir un problème physique ou psychologique persistant ou récurrent, susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par l’alcool.

10. Tolérance définie par l’un des éléments suivants : un besoin de quantités notablement plus grandes d’alcool pour atteindre l’effet désiré ; un effet notablement diminué avec l’utilisation continue de la même quantité d’alcool.

11. Sevrage manifesté par l’un des éléments suivants :

→ le syndrome de sevrage de l’alcool caractéristique ;

→ l’alcool, ou une substance très proche comme une benzodiazépine, est pris pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.

Trois niveaux de diagnostic.

→ 2 ou 3 symptômes : trouble léger ;

→ 4 ou 5 symptômes : trouble modéré ;

→ 6 symptômes ou plus : trouble sévère.

(*) 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Dico +

→ Remédiation cognitive : rééducation des fonctions cognitives altérées (mémoire, attention, concentration, planification des tâches…).

Info +

→ L’éthanol est aussi présent dans le lait maternel, à des concentrations environ 10 % supérieures aux concentrations plasmatiques, en raison de la teneur en eau supérieure du lait.

Interview

« Il y a une méconnaissance et un déni du “risque alcool” »

Mickael Naassila, professeur à l’UFR de pharmacie de l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens (80), et président de la Société française d’alcoologie (SFA).

Le lien entre le tabac et le cancer est bien médiatisé, mais combien de personnes connaissent les liens entre l’alcool et le risque de cancer ?

« Il n’y a pas de prise de conscience sur les réels dommages causés par l’alcool, qui concernent les consommations à risque et pas uniquement les consommateurs dépendants. L’alcool est l’une des toutes premières causes d’hospitalisation en France mais la méconnaissance et le déni du “risque alcool” persistent. Sous couvert d’une culture de l’alcool, dès qu’on parle de réduction des risques liés à sa consommation, les lobbys de l’alcool s’activent, comme à l’occasion du Dry January(1). Les messages sont brouillés avec le statut de “French Paradox”(2). En réalité, l’alcool est une drogue addictive dont il est difficile de sortir, qui cause beaucoup de dégâts sur la santé, ainsi que des dommages collatéraux pas toujours bien identifiés qui ont un impact social et sociétal important. »

(1) Le Dry January, ou Mois de janvier sans alcool, a bien eu lieu en 2020, animé par des associations, malgré l’annulation du soutien de l’État obtenu sous la pression du lobby alcoolier.

(2) Le « French Paradox » ou « exception française » repose sur l’idée d’une protection de la santé des Français par un régime à base de vin.

Interview

“À l’officine, confidentialité et absence de jugement sont essentielles”

Laurent Delattre, pharmacien dans le XVe arrondissement de Paris.

Comment vous êtes-vous intéressé aux traitements de l’abus d’alcool ?

Ma précédente officine se trouvait en face du cabinet d’un médecin généraliste spécialisé dans les addictions, dont les problèmes d’alcool. Nous avons donc vu arriver des patients avec des prescriptions de doses très importantes de baclofène. Ces doses « hors norme », parfois supérieures à 300 mg par jour, nous ont incités d’une part à nous enquérir régulièrement de la bonne tolérance du traitement, et d’autre part à nous informer sur ces protocoles avant de continuer à délivrer. Nous avons rencontré le médecin prescripteur, qui nous a expliqué cette thérapeutique, et assisté à plusieurs de ses conférences.

Est-il facile d’aborder la question de l’alcool à l’officine ?

Non, la consommation d’alcool reste compliquée à aborder de but en blanc avec nos patients au comptoir. Les explications des interactions entre l’alcool et certains médicaments débouchent très rarement sur un dialogue à propos de l’alcool. C’était plus facile à partir des prescriptions de baclofène, qui soulevaient des questions de tolérance et d’observance chez certains patients. Même si, pour la plupart, leur demande de soins était telle qu’ils appréciaient les bénéfices souvent spectaculaires de ce traitement et ne s’attardaient pas vraiment sur ses risques éventuels…

Que retirez-vous de cette expérience ?

Il y a deux règles principales à respecter pour des échanges sur ce sujet à l’officine : la confidentialité et une attitude non-jugeante. La configuration de mon ancienne pharmacie se prêtait à la confidentialité, avec un comptoir excentré. Les entretiens, qui ne durent souvent que quelques minutes, sont alors très formateurs. Ils aident à corriger les idées fausses et les a priori sur la consommation d’alcool. En découvrant les histoires derrière ces consommations et le vécu d’une telle addiction, ces courts entretiens nous ont aidé à ne pas juger ces mésusages et à faire évoluer nos pratiques vis-à-vis de ce qu’il faut considérer comme une pathologie.

Interactions éthanol-médicaments

L’éthanol peut interagir avec un médicament :

→ en retardant sa dégradation et en allongeant son action dans l’organisme et ses effets secondaires ;

→ en accélérant la digestion des molécules, rendant ainsi le traitement beaucoup moins efficace.

Plusieurs formes d’interactions pharmacodynamiques :

→ interaction additive si les effets des deux produits s’ajoutent sans potentialisation ;

→ synergie s’il y a potentialisation ;

→ antagonisme si l’effet résultant est inférieur à la somme des effets séparés.

Plusieurs classes de médicaments :

→ le risque de potentialisation de l’effet sédatif doit être expliqué avec des médicaments dépresseurs du système nerveux central, que l’effet soit recherché ou indésirable ;

→ d’autres interactions doivent être soulignées. Exemples : aspirine et AINS, avec risque accru d’hémorragie gastro-intestinale, hypoglycémiants oraux, avec risque accru d’hypoglycémie et d’acidose lactique…

Interview

“Nous souhaitons faire changer les représentations”

Philippe Jaury, médecin généraliste, professeur émérite de médecine générale à la faculté de médecine Paris-Descartes.

« La représentation de la consommation excessive d’alcool reste associée à la personne dépendante, qui tremble le matin et ne peut s’arrêter de consommer plus d’une journée. Ainsi, certains alcoologues peuvent encore se contenter de répondre “Buvez moins” à quelqu’un qui dit par exemple “Boire deux à trois fois par semaine, mais beaucoup à ces moments”, sans entendre que cette personne, sans être dépendante, ne peut pas ne pas boire. Elle n’y arrive pas. De la même manière, la représentation du traitement d’une consommation problématique reste encore souvent la cure de désintoxication, alors que l’idée qu’une hospitalisation de deux ou trois semaines va régler le problème est une erreur. Il y a quelques années, une enquête de la Société française d’alcoologie montrait que 60 % des alcoologues ne sortaient pas du dogme de l’abstinence. Nous souhaitons faire changer ces représentations, en nous appuyant par exemple sur le mois de janvier sans alcool, qui permet à tous les consommateurs de vérifier leur capacité à s’arrêter, ou encore sur la notion de “réduction des risques et de limitation des dégâts” (voir div) qui fait son chemin en France, même si tout le monde n’est pas d’accord. »

Info +

→ Les consultations jeunes consommateurs (CJC) accueillent les jeunes consommateurs et/ou leur entourage pour agir avant que la consommation ne devienne problématique. Ils proposent un accueil gratuit et confidentiel dans la quasi-totalité des départements français. Adresses sur www.drogues-infoservice.fr > Tout savoir sur les drogues > Se faire aider.

Contre-indications médicales*

→ Disulfirame : insuffisances hépatique ou respiratoire sévères, insuffisance rénale, diabète, atteintes neuropsychiques, épilepsie, atteinte cardio-vasculaire.

→ Acamprosate : insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/l), allaitement.

→ Naltrexone : insuffisance hépatique grave ou hépatite aiguë, insuffisance rénale grave, toxicomanie aux opiacés, âge 18 ans.

→ Nalméfène : dépendance à une substance psychoactive, sevrage aux opiacés, insuffisances hépatique ou rénale sévères, antécédent récent de syndrome de sevrage aigu à l’alcool, allaitement, âge 18 ans.

→ Baclofène : âge 18 ans. Attention, le baclofène est tératogène par voie orale.

(*) Hors hypersensibilité à la molécule et aux excipients.

En savoir +

→ Alcool info service, service national d’aide à distance, répond tous les jours de façon anonyme et confidentielle à toute personne directement ou indirectement concernée par un problème d’alcool au 0 980 980 930. Il est également possible d’obtenir de l’aide via le site www.alcool-infoservice.fr. Il propose aussi de nombreuses informations sur la maladie et son traitement.

→ L’alcool en questions : 41 réponses à vos questions sur l’alcool, Éditions Mardaga, janvier 2020. L’alcool est-il aphrodisiaque ? L’alcoolisme est-il héréditaire ? Peut-on reboire de l’alcool après avoir été guéri de l’« alcoolisme » ? Dans ce livre, des spécialistes démontent certaines idées reçues et apporte des réponses accessibles aux questions que chacun peut se poser.

Dangerosité potentielle de l’effet antabuse

L’effet antabuse est une réaction physiologique due à une accumulation d’acétaldéhyde dans l’organisme provoquée par l’ingestion d’alcool, même en faible quantité, associée à des substances médicamenteuses ou non qui diminuent le métabolisme hépatique. L’acétaldéhyde étant une molécule vasodilatatrice, les signes cliniques de l’effet antabuse sont surtout des manifestations de vasodilatation : flush facial, bouffées de chaleur vasomotrices, céphalées, sueurs abondantes, hypotension artérielle avec tachycardie réactionnelle, malaise ou vertiges. D’autres symptômes plus graves sont possibles : nausées, vomissements, diarrhées, voire confusion mentale, ataxie, convulsions, dépression respiratoire, troubles cardiaques graves ou collapsus.

À RETENIR

SUR LA MALADIE

→ Les nouveaux repères pour une consommation d’alcool à moindre risque sont dix verres par semaine maximum, deux verres par jour maximum et des jours dans la semaine sans consommation.

→ L’usage de l’alcool est dit « à risque » lorsqu’il dépasse au moins l’un des trois nouveaux repères de consommation.

→ Le mésusage est diagnostiqué à partir des conséquences pour le consommateur, et non de la quantité ingérée.

→ Les mésusages de l’alcool représentent la deuxième cause évitable de mortalité par cancer et une des premières causes d’hospitalisation.

→ Les classifications internationales ont réuni tous les mésusages de l’alcool dans le « trouble d’utilisation de l’alcool ».

SUR SON TRAITEMENT

→ Le repérage des consommations à risque avant la survenue de la maladie est un enjeu prioritaire.

→ Le maintien d’une consommation à moindre risque à long terme est un objectif de traitement.

→ Une réduction de la consommation acceptée donne de meilleurs résultats qu’une abstinence imposée.

→ Le médecin généraliste reste le pivot de la prise en charge.

SUR LE PATIENT

→ Au-delà de deux verres par jour, les risques d’hémorragie cérébrale, de cancers et d’hypertension augmentent.

→ À dose consommée et poids corporel égaux, l’alcoolémie est plus élevée chez les femmes que chez les hommes.

→ Le syndrome d’alcoolisation fœtale concerne une naissance par semaine.

→ 0 alcool pendant la grossesse.

→ Par téléphone ou internet, l’aide à distance est un recours pour les personnes qui n’osent pas parler de leur consommation ou estiment que celle-ci ne justifie pas une consultation.

→ Rappeler aux personnes qui refusent l’aide d’un traitement médicamenteux que l’alcool est un produit médicalement dangereux utilisé souvent comme un médicament, par exemple pour ses effets temporairement anxiolytiques.

En savoir +

→ Médicaments et alcool ?

Cette brochure disponible sur le site pharmacie.be, éditée par l’Association pharmaceutique belge et l’association Highway, présente une liste des principaux médicaments concernés par les interactions avec l’alcool, ainsi que les effets d’une consommation d’alcool concomitante.

Avec l’aimable participation de Mickael Naassila, professeur de physiologie à l’UFR de pharmacie de l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens (80), et président de la Société française d’alcoologie, et de Philippe Jaury, médecin généraliste, professeur émérite de médecine générale à la faculté de médecine Paris-Descartes.

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