La dispensation à l’unité est-elle applicable ? - Porphyre n° 559 du 20/01/2020 - Revues
 
Porphyre n° 559 du 20/01/2020
 

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Décryptage

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

La possibilité d’une dispensation officinale à l’unité a été adoptée fin 2019 dans le cadre du projet de loi « anti-gaspillage ». Les contours restent à définir mais la profession est partagée quant aux difficultés d’application.

Que dit le projet de loi ?

Inscrite dans le programme présidentiel, la dispensation à l’unité (DAU) figure dans un amendement additionnel au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, adopté par les députés le 19 décembre 2019. Cet amendement modifierait le Code de la santé publique, rendant possible, mais non obligatoire, la DAU officinale de certains médicaments.

Quels sont les médicaments concernés ?

Ceux dont la forme pharmaceutique le permet et inscrits sur une liste fixée par les ministères en charge de la Santé et de la Sécurité sociale. Ils seront, « dans un premier temps, limités à quelques antibiotiques, pour lesquels l’intérêt d’une dispensation à l’unité est le plus évident ». La Direction générale de la Santé (DGS) précise que les médicaments indiqués sur de courtes durées et dans plusieurs pathologies avec des posologies variables sont des candidats potentiels.

Pour quelles raisons ?

La mesure entend limiter le gaspillage de médicaments et son impact environnemental : emballages plastique ou aluminium non recyclés, médicaments jetés dans les poubelles ou les toilettes… S’appuyant sur l’expérimentation de DAU de certains antibiotiques en 2014(1), son développement est aussi un outil de lutte contre l’antibiorésistance.

Comment et quand ?

Un décret en Conseil d’État doit fixer « les modalités particulières de conditionnement, d’étiquetage, d’information de l’assuré et de traçabilité pour ces médicaments » et l’entrée en vigueur, au plus tard le 1er janvier 2022.

Comment réagit la profession ?

La FSPF, syndicat de titulaires, opposée à la généralisation de la DAU, prend acte(2) de cette décision mais réclame un modèle économique : « Aucun pharmacien ne pourra s’engager sans contrepartie financière ». Selon la DGS, cette problématique sera à l’étude. Campant sur son opposition ferme à la DAU, l’USPO(3), autre syndicat, la juge préjudiciable à la sécurité, ces médicaments étant stockés en vrac chez le patient et sans notices ni pictogrammes d’avertissement. Pour pallier cette absence, la DGS avance la possibilité que le pharmacien remette aux patients des notices reçues des laboratoires ou qu’ils les consultent sur la base de données publique des médicaments. Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies s’interroge(4) sur l’acceptation du temps d’attente supplémentaire pour les patients (de 20 à 50 % selon l’expérimentation de 2014) et pense que « la dispensation à l’unité ne renforcera pas l’adhésion du patient à son traitement, c’est une évidence ». Le Leem parle, lui, d’un dispositif polluant car les blisters prédécoupés, plus grands que les classiques(5), « seraient susceptibles de générer 30 % de déchets en plus ».

Techniquement, est-ce possible ?

Pour l’USPO, la Federgy et le Leem, la DAU est incompatible avec la sérialisation basée sur un identifiant unique et un dispositif d’inviolabilité par boîte et non par unité pour vérifier l’authenticité du médicament et son intégrité (voir Porphyre N° 543, juin 2018). Or, la sérialisation devra être aménagée de la même façon que pour déconditionner les stupéfiants. C’est d’ailleurs prévu par l’article 28 du règlement européen(6), indique la DGS. Lorsqu’une partie seulement de la boîte avec identifiant unique est fournie, « les personnes autorisées […] vérifient les dispositifs de sécurité et désactivent cet identifiant unique lorsque la boîte est ouverte pour la première fois ». Le Pr Aulagner (voir experts), qui a mis en place la dispensation nominative automatisée aux Hospices civils de Lyon (69), s’interroge : quel surconditionnement et quelle traçabilité? quelle assurance de la stabilité des comprimés en vrac ou en blisters non pré-découpables ? où et comment stocker les boîtes entamées qui ne devraient pas être réutilisées ?… « Je ne dis pas que la DAU est impossible à l’officine, mais cela demanderait une réflexion poussée et des réorganisations. En l’état, elle est inapplicable ». D’un autre avis, Christian Sauné, titulaire à Toulouse (31), affirme que son officine, rompue à la PDA (voir Porphyre n° 553, juin 2019), peut assurer une délivrance à l’unité : « Sortir un traitement de sept ou quatorze jours ne pose aucun problème et prend moins de 2 minutes avec un robot qui assure la traçabilité ». Il rappelle que cela fonctionne depuis des années dans d’autres pays d’Europe.

NOS EXPERTS INTERROGÉS

→ Direction générale de la Santé (DGS).

→ Philippe Gendre, chef de projet France MVO, organe de gouvernance de la sérialisation.

→ Pr Gilles Aulagner, pharmacien, chef de service à l’hôpital neuro-cardiologique de Lyon (69).

→ Christian Sauné, titulaire à Toulouse (31).

Repères

→ 2015-2016 : expérimentation de DAU de 14 substances antibiotiques sous forme orale sèche dans 100 pharmacies françaises volontaires, à la demande du ministère de la Santé. 1 185 patients concernés.

→ 2017 : l’Inserm publie les résultats(1) de l’expérimentation après enquête téléphonique : réduction de 9,9 % du nombre d’unités délivrées, acceptabilité de 80 % des patients, adhésion stricte améliorée de plus de 25 %, mais moins de 40 % des patients ont répondu.

(1) Les bénéfices de la vente d’antibiotiques à l’unité , Inserm, 3 ct. 2017.

(2) Il n’y aura pas de dispensation à l’unité sans modèle économique , FSPF, 13 déc. 2019.

(3) L’USPO s’oppose à la dispensation à l’unité , 28 nov. 2019.

(4) Non à la dispensation à l’unité !, Federgy, 29 nov. 2019.

(5) Dispensation des médicaments à l’unité : attention aux fausses bonnes idées !, Leem, 9 déc. 2019.

(6) Règlement délégué (UE) 2016/161 de la commission du 2 octobre 2015 fixant les modalités des dispositifs de sécurité figurant sur l’emballage des médicaments à usage humain.

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