Quand le client est à bout de nerfs - Porphyre n° 544 du 30/06/2018 - Revues
 
Porphyre n° 544 du 30/06/2018
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Christine Julien

Faire face aux comportements agressifs. Refus de délivrer, attente interminable, manquants, les désagréments sont courants au comptoir. Nos conseils pour désamorcer les mouvements d’humeur

L’officine, terre d’émotion

Au contact des autres

Près de trois salariés sur quatre travaillent en contact avec le public(1). Parmi eux, 15,1 % déclarent avoir subi au moins une agression verbale et 1,7 % une agression physique dans les douze derniers mois. Les salariés de la fonction publique, du transport, du commerce et de la santé sont les plus touchés.

À l’officine, les difficultés économiques, des locaux réduits ou bruyants, des temps d’attente importants, la surcharge de travail ou un manque de soutien en interne sont propices aux mouvements d’humeur.

Des motifs bien connus

Refus de délivrance, produit manquant, substitution, déremboursement, voire un temps d’attente jugé inacceptable engendrent des comportements agressifs.

L’agressivité

Elle est multiple

Du latin agressio, l’agression est une tendance à attaquer. Le caractère agressif, ou agressivité, est une énergie disponible qui sert à nous défendre contre une menace. Pour les comportementalistes, l’agressivité est acquise par l’expérience, l’éducation ou l’observation de modèles. Pour les psychanalystes ou les spécialistes du comportement, c’est une pulsion innée pour hiérarchiser un groupe ou faire valoir ses besoins. On peut l’utiliser pour combattre une maladie ou se défendre, mais aussi pour détruire l’autre ou soi-même.

Les motifs d’apparition

→ Son lieu de vie. L’agressivité peut être un moyen de s’affirmer ou d’être reconnu pour celui qui a grandi dans un milieu où seul celui qui est violent et agressif est respecté.

→ L’intolérance à la frustration engendre de l’agressivité pour obtenir ce que l’on veut.

→ Une mauvaise estime de soi ou lorsque ses valeurs personnelles, telle la politesse, sont malmenées… amènent à se sentir plus vite « agressé ».

→ Les dérèglements physiologiques comme des maladies neurologiques, psychiatriques ou hormonales et les douleurs.

→ Le stress. Manque de sommeil, fatigue ou faim, décès, séparation, maladie ou dispute avec le conjoint rejaillissent sur la façon d’être. Plus susceptible et moins patient, l’individu peut se sentir agressé, perdre son calme et mal réagir.

L’art de la gérer

Pas d’emballement

→ C’est lui qui l’est. Arrêter de dire « Le client m’agresse » au risque de vous sentir obligé de vous défendre. Préférez « Il est agressif », pour lui laisser la responsabilité de son émotion et de son comportement.

→ Il a ses raisons. Quand un client exprime un mécontentement, demandez-vous s’il a eu peur de quelque chose, par exemple que vous lui refusiez un produit. Cela minimise l’impact de l’agression chez vous.

Laissez-le parler

→ Écoutez. Laissez le client en colère s’exprimer sans l’interrompre pour créer du lien. Attendez 1 à 2 secondes avant de reformuler et de proposer une solution.

→ Adoptez la bonne attitude. Tenez-vous droit, le regard direct, sans rictus, les bras le long du corps. Montrez votre écoute par de petits hochements de tête. S’il avance, reculez et posez les mains sur le comptoir L’inciter à bouger peut faire retomber l’émotion.

S’excuser, pas se justifier

→ Évitez de vous expliquer. Le client peut être énervé pour des tas de raisons, mais rien ne pousse à se justifier. Le « oui mais c’est parce que… » indique que l’erreur n’est pas reconnue et que l’autre a raison de vous engueuler. Cela conduit à se poser comme la victime d’une agression et le rapport d’égalité n’est plus possible. Une fois son sac vidé, il est fréquent qu’il s’excuse. Discuter chaque point de la plainte fait « monter la mayonnaise ».

→ Présentez vos excuses, que le dommage existe ou pas, que la cause ait été trouvée ou pas. Il ne s’agit pas de reconnaître une faute, mais de s’excuser pour le désagrément ou les inquiétudes subis : « Je comprends votre mécontentement. Cette méprise aurait pu poser un problème, mais heureusement, ça n’a pas été le cas. Je suis désolé et je vous prie de m’excuser ». Vous pouvez aussi le remercier pour sa compréhension et sa confiance maintenue.

Choisir les bonnes paroles

→ Pas de « Non ! » d’emblée. Derrière l’agressivité se cache une peur permettant d’exercer un pouvoir pour obtenir quelque chose. Le « non » accroît cette peur, entraîne un sentiment de rejet empêchant l’échange. Ne tentez pas de raisonner, l’agressivité est un mécanisme émotionnel.

→ Soyez compréhensif. Usez de phrases ouvertes pour installer un climat d’empathie. « Entre le travail et les enfants, j’imagine que devoir revenir est compliqué… »

→ Évitez les réponses catégoriques moralisatrices au risque d’induire des réactions buttées et une escalade verbale.

→ Expliquez en restant ferme mais empathique. « Je vous aiderais volontiers si je le pouvais mais… je ne peux rien faire au risque d’outrepasser mon rôle… »

→ Trouvez un compromis. « Essayez de consulter et revenez, je vous attends »

Du calme et de la fermeté

→ Questionnez clairement : « Comment se fait-il que vous soyez fâché ? »

→ Montrez que la plainte est entendue, « moi aussi dans votre situation, … », tout en posant les limites.

→ Trouvez une solution en l’impliquant : "Voyons ce qu’il est possible de faire… Nous pourrions peut-être… ».

→ Utilisez des arguments santé : « J’ai déjà eu l’occasion de vous rendre service. Ce médicament est très efficace mais il a des effets indésirables, c’est pour cela qu’il nécessite un suivi et une prescription. »

→ Assumez. Ne vous réfugiez pas derrière un « Je n’ai pas le droit ». Dites : « J’aurais aimé vous satisfaire. Je suis désolé mais nous avons des règles déontologiques. Je ne vous rendrais pas service en… ».

S’isoler sous condition

Si le ton monte, vous pouvez proposer d’aller dans une autre pièce en informant un collègue, mais attention ! Le client peut dire « J’ai rien à cacher » et s’énerver de plus belle. S’il refuse, dites : « Je suis obligé d’arrêter, il y a du monde, je ne peux pas m’occuper de vous plus longtemps ».

Soyez solidaires

→ Montrez que l’équipe est concernée. S’approcher du collègue agressé et valider ce qu’il dit en acquiesçant de la tête.

→ Bannissez toute dissension. Si un collègue agit d’une façon inadaptée, ne le montrez pas. Discutez-en après et jamais devant les clients, ce serait du pain béni pour de futurs agresseurs. Évitez de le contredire ou de dire au client : « La prochaine fois, venez me voir directement. »

Apprenez à vous connaître

Un point sur soi

Si vous avez le sentiment que les clients énervés vous en veulent spécialement, si vous perdez votre calme régulièrement, questionnez-vous : « Qu’est-ce que ça provoque chez moi ? Quelle valeur cela bouscule en moi ? » Sur vos attitudes : « Pourquoi suis-je agressif ? », « Qu’est-ce qui, dans mon comportement, a pu engendrer ou aggraver mon agressivité ? » Un regard lucide sur votre vie perso et pro peut déjà éliminer certains facteurs personnels.

Gérer ses émotions

→ Acceptez-les. Colère, agacement, frustration, reconnaissez l’afflux de l’émotion.

→ Ne nourrissez pas « la bête » en vous de pensées négatives. Dites-vous « Oui, il a de bonnes raisons d’être en colère », « Ce n’est pas à moi qu’il en veut », et : « Ce soir, je vais me faire un bon film »

→ Osez dire. Votre client vous a mal parlé, vous a menacé, dites : « La manière dont vous m’avez parlé m’a peiné(e)… ».

Savoir lâcher l’affaire

→ Vous n’êtes pas dans votre assiette, avertissez vos collègues : « Aujourd’hui, j’ai eu ma dose/je ne suis pas très bien, peux-tu me remplacer au comptoir ? » Faites de même si vous voyez un collègue perturbé.

→ C’est trop dur. L’officinal est censé être poli et garder son calme. Si vous êtes incapable de vous dire « OK, ce n’est pas grave, il est malade », si vous avez besoin d’un bonjour systématique, vous devez peutêtre envisager de changer quelque chose. Votre santé importe aussi…

Anticipez

Conforter l’estime de soi

L’agression est davantage ressentie lorsque l’estime de soi est faible, moins si nous sommes en forme, satisfait de notre vie et de nos conditions de travail !

Créer un environnement propice

→ Analysez. Le titulaire est garant de la sécurité. Débriefez en cas d’incident et faites le point en équipe.

→ Élaborez des consignes claires et communes. Que faisons-nous face à une demande de produits sur liste ? En cas d’agression verbale ou physique ?

→ De petits aménagements font tomber la tension. Améliorer l’ambiance sonore, gérer les files d’attente, revoir le planning de présence au comptoir, les manquants, etc. Documents sur www.anact.fr.

(1) « Les risques professionnels en 2010 : de fortes différences d’exposition selon les secteurs », INRS, mars 2013.

Incivilités ou violences ?

• L’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail définit les violences externes comme des insultes, des menaces, des agressions physiques ou psychologiques exercées contre une personne sur son lieu de travail par des personnes extérieures à l’entreprise, y compris les clients, qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou son bien-être. Elles sont à distinguer des incivilités, « actes perçus comme des ruptures des codes élémentaires de la vie sociale ».(1)

Impolitesse, mépris, sous-entendus désobligeants, manifestations d’impatience etc., relèvent de manquements aux règles du savoir-vivre. Bien qu’elles puissent heurter le salarié, elles ne sont pas des infractions à la législation, contrairement aux violences externes pénalement sanctionnées.

(1) « La théorie de la ‘vitre cassée’ en France. Incivilités et désordres en public », S. Roche, Revue française de science politique, 2000. Source : Travail&sécurité, février 2014.

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