Quand le français fait défaut - Porphyre n° 543 du 01/06/2018 - Revues
 
Porphyre n° 543 du 01/06/2018
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

Communiquer avec les non-francophones et illettrés. Système D, outils ou recours à un tiers permettent d’assurer son rôle officinal quand les échanges verbaux avec les clients sont difficiles.

Un effort indispensable

Étrangers et analphabètes

→ Environ 5,9 millions de personnes nées de nationalité étrangère vivent en France, soit 8,9 % de la population d’après l’Institut national d’études démographiques(1), et pas loin de 90 millions de touristes étrangers nous rendent visite chaque année. Parmi eux, certains ne maîtrisent pas ou que très peu la langue française.

→ En métropole, environ 7 % de la population est illettrée, ce qui signifie qu’elle a reçu un apprentissage de la lecture mais ne la maîtrise pas assez pour être autonome. Et 1 à 2 % sont analphabètes, c’est-à-dire jamais scolarisés (source : Insee).

C’est leur droit

C’est gravé dans la loi. Doit être garanti « l’égal accès de chacun aux soins nécessités par son état de santé, toute discrimination étant proscrite », selon l’article L.  1110-3 du code de la santé publique. Et toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé, sur les traitements qui lui sont proposés, leur utilité, leurs conséquences et les risques prévisibles. « Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles », selon l’article L. 1111-1 de ce même code.

C’est votre mission

→ Cela conditionne la qualité et l’accès aux soins. Un défaut de communication accroît le risque de mauvaise observance, d’erreurs, de complications, de recours plus fréquent aux services d’urgence… avec des conséquences médicales et économiques, des inégalités de santé accrues et la frustration de ne pas remplir sa mission de santé publique.

→ Pour ne pas interpréter. Certaines cultures considèrent l’obésité comme un signe de bonne santé, certaines femmes africaines pensent que la pilule rend stérile… le défaut de communication peut se compliquer de représentations culturelles de la santé. Sans communication, vous risquez d’interpréter ou de transposer vos propres représentations. Sur ces bases faussées, l’alliance thérapeutique sera compromise.

Les proches, oui mais…

S’appuyer sur un proche qui servira d’interprète confronte à plusieurs problématiques : la qualité de la traduction, ses représentations personnelles, sa disponibilité, la gêne d’aborder des sujets intimes ou sensibles, tels la gynécologie, la contraception, les troubles érectiles… et surtout, le devoir de confidentialité. Le secret des informations concernant une personne est un droit selon l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.

→ C’est possible pour une affection bénigne, ponctuelle, un conseil de médication familiale. Pour cela, préparer une fiche avec une phrase type écrite en plusieurs langues : « Pourriez-vous revenir avec une personne qui parle français ? » Et s’exercer à la prononcer pour les patients qui ne savent pas lire !

→ C’est délicat pour une pathologie chronique, grave et/ou intime, lorsque le traitement impose une compréhension individuelle, des règles hygiéno-diététiques quotidiennes, la maîtrise de dispositifs complexes dans le diabète, l’asthme, pour une aérosolthérapie…

Accentuer le « non-verbal »

Le processus de communication se base à la fois sur une composante verbale, la parole et l’écrit, et non-verbale, vocale par les sons et intonations et visuelle via le langage corporel, souvent inconsciente. La verbale, même mal comprise, doit être maintenue. Elle permet de prendre contact mais sert également de support au non-verbal, que l’on peut volontairement accentuer.

→ La gestuelle : pointer une ligne de l’ordonnance, une partie du corps, compter sur ses doigts pour un nombre de prises, opiner ou au contraire secouer la tête, manipuler les dispositifs, mimer la prise de boisson, la section d’un comprimé, l’instillation d’un collyre… Attention ! Les gestes emblématiques peuvent varier selon les cultures et devenir source d’incompréhension. Ainsi, un pouce levé, signe commun d’approbation, est une insulte au Moyen-Orient, l’index levé signifie le chiffre 1 et non le pouce pour les Asiatiques…

→ La proxémie : cette distance que l’on met avec notre interlocuteur reflète le degré d’intimité du message. L’espace « privé », de 45 cm à 1,20 m est un minimum à l’officine. Entrer dans l’espace intime, de 15 à 45 cm, force l’attention et signe un message important et/ou confidentiel.

→ Le toucher : il sert à prendre contact, rassurer, évaluer une douleur locale, un œdème, expliquer un mode d’application cutané… mais à la condition d’en demander la permission d’un regard interrogateur, en avançant doucement ses mains jusqu’à approbation.

→ La posture : incliner son buste vers l’avant signifie que l’on porte de l’attention. Vers l’arrière, cela manifeste plutôt un étonnement ou une crainte.

→ Les mimiques : écarquiller les yeux exprime la surprise. Froncer les sourcils une désapprobation, les lever un étonnement, grimacer mime la douleur. Sourire rassure et force la confiance…

→ Le regard : le contact visuel prolongé permet la prise de contact et montre l’intérêt au-delà des mots.

→ La voix : son intonation, son volume, son débit sont autant de messages qui seront perçus, même si les mots ne sont pas compris. Chuchoter introduit une notion d’intimité. Forcer le volume et réduire le débit soulignent un message important.

Recourir à des outils

De traduction

Quand les mots sont incontournables, à l’oral ou à l’écrit, selon le degré d’alphabétisation, vous pouvez vous reposer sur une sélection d’outils.

→ Ouvrages de traduction médicale : le plus souvent destinés à la langue anglaise. Exemples : L’anglais à l’officine aux Éditions Maloine, Lexique anglais-français à l’usage des professions paramédicales aux Éditions Ellipse, Lexique à l’usage des professionnels de santé anglais-français aux Éditions Elsevier-Masson…

→ Traducteurs en ligne, type Google Translate . Bien connu des voyageurs, cet outil montre des défauts de précision quand il s’agit de terminologies médicales. Toutes langues confondues, seules 57,7 % des traductions s’avèrent correctes(2).

→ Traducmed. Cet outil de traduction médicale, gratuit sur www.traducmed.fr ou via l’application pour smartphone éponyme, propose des traductions orales en trente langues, classées selon les besoins des professionnels : antécédents, examens, traitements et ordonnances, avec galénique, posologie, heure de prise… C’est l’outil qui parle !

→ Applications pour smartphone de vocabulaire médical multilingue, telle Médiglotte. Elle propose la traduction écrite et la transcription phonétique de termes et phrases toutes faites dans plus de quarante langues et dialectes. Téléchargement gratuit sur l’App Store et Google Play.

→ « Livret de santé bilingue » proposé par les autorités sanitaires et le Comité médical pour les exilés (Comede) se décline en vingt-deux langues. Intéressant pour expliquer par exemple notre système de protection sociale. À lire et télécharger sur http://inpes.santepubliquefrance.fr

Des formations spécifiques

Anglais ou allemand chez Pharmaguideur, anglais professionnel au comptoir au CFA de Marseille… Lire aussi la rubrique Formation de Porphyre et se renseigner sur www.lemoniteurdespharmacies.fr

Utiliser le visuel

Des outils au choix

→ Atlas anatomiques et illustrations médicales diverses pour expliquer un mode d’action ou une cible thérapeutique.

→ Notices de médicaments et de dispositifs médicaux proposent un mode d’emploi en images.

→ Réglettes graduées/smileys/progressives pour évaluer l’intensité de la douleur.

→ Horloge pour indiquer les heures de prise, verre d’eau pour signifier un mode de prise…

→ Pictogrammes des boîtes médicamenteuses pour les mises en garde : conduite automobile, grossesse…

→ Fiches « Santé BD » de l’association CoActis santé. Créées pour faciliter la communication avec des patients déficients ou non-francophones, elles reposent sur des illustrations thématiques : spécialités médicales, pathologies, examens… On y trouve le mode d’emploi illustré des suppositoires, du patch… Gratuites sur le site www.santebd.org ou via l’application éponyme sur l’App Store et Google Play.

Vérifier la compréhension

Ces outils comportent des risques de mauvaise compréhension, les pictogrammes n’étant par exemple pas toujours universels. De plus, ils ne permettent pas de communication bilatérale, ni de vérifier la bonne compréhension du patient par reformulation.

L’interprète professionnel

Inscrit dans la loi

La nécessité de recourir à un interprète professionnel lors des consultations médicales avec des patients peu ou non-francophones a été reconnue et inscrite dans la loi de modernisation du système de santé de 2016. L’article L. 1110-13 du code de la santé publique stipule que « l’interprétariat dans le domaine de la santé d’une part garantit les droits des patients, et d’autre part a montré un impact positif sur la qualité des soins ».

La Haute Autorité de santé (HAS) a élaboré en 2017 un référentiel de compétences, de formation et de bonnes pratiques sur l’interprétariat(3), qui précise « qu’à tout moment, le patient/usager et le professionnel intervenant dans son parcours de santé peuvent, et même doivent, solliciter un interprète s’ils le jugent nécessaire […], à savoir les professionnels médicaux, paramédicaux et les professionnels du secteur social », y compris les officinaux.

Oui, mais qui paye ?

Le référentiel cite neuf associations principales régionales qui proposent ce service. Mais, quid de la prise en charge ? Les documents disponibles n’en parlent pas… L’Inter service migrants (IMS), qui propose un service par téléphone, en présentiel ou vidéoconférence, n’a pas encore été sollicité par un officinal.

(1) Institut national d’études démographiques, données 2017.

(2) Source : BMJ 2014;349:g7392, décembre 2014, Use of Google Translate in medical communication: evaluation of accuracy.

(3) Interprétariat linguistique dans le domaine de la santé, HAS, octobre 2017.

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