Mon collègue boude la savonnette - Porphyre n° 534 du 28/06/2017 - Revues
 
Porphyre n° 534 du 28/06/2017
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Catherine Piraud-Rouet

Tabou mais légitime

Vêtements froissés, tachés, cheveux gras, forte odeur de transpiration, de tabac froid, haleine chargée, ongles en deuil… outre le désagrément « physique », la négligence d’un collègue en matière d’hygiène peut nous indisposer profondément. Pourtant, c’est l’un des sujets les plus délicats à aborder.

Un sentiment d’agression

Le manque d’hygiène est vécu inconsciemment par l’interlocuteur comme une situation d’agression instantanée. Une réaction directement issue de notre cerveau reptilien, explique Alexandre Dubarry, chercheur en psychologie sociale(1). Dans la chaîne de l’évolution, les mauvaises odeurs servaient de signaux. Face à elles, il fallait fuir ou se battre. Un sentiment renforcé quand l’intéressé évolue dans notre « bulle de proximité », à savoir la plus faible des distances sociales, moins d’une trentaine de centimètres. À la clé, l’impression d’être piégé.

Une blessure narcissique

Le sujet demeure tabou car il appuie sur la blessure narcissique. Il altère le sentiment d’estime de soi. On a peur de heurter l’interlocuteur, a fortiori dans le cadre d’une relation quotidienne, parfois amicale. Mais aussi parce que la définition d’une bonne ou mauvaise hygiène ou odeur reste très subjective.

Les raisons d’en parler

→ Une gêne croissante. Plusieurs raisons justifient néanmoins d’aborder la question à l’officine. Dans une petite équipe, la gêne ressentie, quotidiennement et de façon durable, peut très vite altérer la collaboration et l’ambiance professionnelles, avec mise à l’écart, railleries, rejet… L’hygiène est une obligation professionnelle (voir encadré).

→ Un lieu de soins. La pharmacie est par ailleurs un lieu de soins et d’accueil du public où les professionnels ont un devoir de présentation, mais aussi un lieu de commerce dans lequel il faut éviter aux autres clients d’être incommodés… voire de déserter les lieux.

Avant de se lancer

Trois mois que Pierre se néglige et cela ne fait qu’empirer… C’est décidé, vous allez lui en parler avant de le prendre vraiment en grippe, non sans observer quelques précautions.

Un climat bienveillant

Pour ne pas le braquer, gare à l’attitude ! Bannissez les comportements qui induisent un jugement, vous n’êtes pas dans une cours d’école ou de justice. Évitez de vous boucher le nez, d’ouvrir la fenêtre, de vaporiser du spray désinfectant en sa présence… Évitez aussi de vous esclaffer ou de prendre à témoin l’entourage, les collègues ou les clients : « Ça sent bizarre, vous ne trouvez pas ? » Abandonnez aussi les messages subliminaux indirects comme le cadeau d’une savonnette ou un parfum laissé dans son casier. Au mieux, c’est incompris, au pire, c’est humiliant.

En tête à tête

Pour créer une critique constructive sans stigmatisation, pas question d’aborder ces questions devant tout le monde. Encore moins de faire une réunion collective. Proposez à la personne de se rendre dans un coin isolé, lors d’une pause par exemple : « Je voudrais te parler tranquillement quelques minutes… on s’isole un instant ? » Attention de ne pas se cacher derrière le groupe « On voudrait te dire quelque chose… », ce qui signe une coalition, humiliante également.

Sans fausse-route

Vérifier avant tout que le manque d’hygiène n’est pas l’arbre qui cache la forêt. Il ne relève pas toujours d’une simple négligence mais peut être le symptôme :

→ de difficultés sociales : rupture, problèmes financiers… ;

→ d’un problème médical : troubles hormonaux, alimentation inadaptée, reflux, dépression…, voire un effet indésirable médicamenteux tel que apathie sous neuroleptiques, hyperséborrhée…

Les premières questions doivent s’en assurer : « Tu rencontres des difficultés actuellement ? », « Comment tu te sens ? Tu ne sembles pas en forme », « Comment ça se passe avec ton nouveau traitement ? Il te cause des problèmes de digestion ? De peau grasse ? », etc.

Aborder directement

Pas de détours

C’est difficile à dire, inutile donc d’ajouter de la gêne en tournant autour du sujet : « J’adore ce nouveau shampooing, tu le connais ? », « Mon fils m’énerve, c’est la croix et la bannière pour qu’il aille à la douche le soir »… Allez-y franco mais avec technique.

Utilisez le « DESC »

Utile dans cette situation, cet outil de communication repose sur le concept « d’affirmation de soi », ou comment dire ce que l’on pense à quelqu’un tout en maintenant avec lui une relation constructive.

→ « D » pour décrire. Il s’agit de dépeindre de façon simple la situation en s’appuyant sur des faits : « J’ai remarqué que tu avais une forte transpiration depuis quelques mois », « Tes vêtements présentent de plus en plus souvent des taches », « Tes cheveux manquent de soin »

→ « E » pour exprimer. Exposez vos sentiments et la gêne que vous ressentez : « Pour être honnête, cette odeur me dérange », « Cela me met mal à l’aise… »

→ « S » pour solution, en restant positif. Proposez sans imposer une modification qui pourrait résoudre le problème, par exemple, « Un déodorant plus efficace pourrait être utile »

→ « C » pour conséquences. Mettez en avant les résultats positifs à venir – « Cela serait plus agréable pour moi/pourrait te servir dans d’autres circonstances/Tu es bien placé pour savoir que ça favorise les mycoses »… – et négatives dans le cas contraire : « Sinon, cela pourrait te desservir face à nos clients »

Adoptez la positive attitude

→ Évitez tout comportement ou expression qui implique un jugement : « Je trouve que… », « C’est sale… », « Ça sent mauvais… » Cette technique de communication non violente a fait ses preuves.

→ Gardez un ton bienveillant. Bannir le ton moqueur avec « Tu sais, l’eau ça ne tue pas », agressif avec « Ton odeur est désagréable… » ou condescendant « Je sais, ce n’est pas inné pour tout le monde, mais… »

→ Privilégiez les mots consensuels : tenue négligée/hygiène pas assez soutenue… plutôt que « sale », « crasseux »…

→ Jouez l’empathie et la compréhension : « Moi aussi, j’aurais aimé qu’on me le dise, on est suffisamment proches pour que je te rende ce service », « J’ai eu moi-même à régler un problème de pellicules, d’haleine… », « Ce qui est bien avec notre profession, c’est qu’on connaît des solutions pratiques… »

Rebondir selon la réaction

Pour sonder la réaction sans laisser la gêne s’installer, demandez simplement : « Es-tu conscient de cette situation ? » Deux cas de figure peuvent se présenter.

Le collègue admet le problème

→ Accompagnez. Si la « pilule passe » et qu’il reconnaît le problème (« Oui, c’est vrai, tu n’es pas le premier à me le dire », « Je ne pensais pas que tu étais gêné mais j’entends ta demande »…), ne pas hésiter à accompagner le changement : « Je peux t’aider à trouver une solution ? », « Tu veux qu’on regarde ensemble les produits de la gamme X que tu pourrais essayer ? »

→ Encouragez les efforts futurs, toujours de façon discrète : « Je dois dire que tu es en forme, ça te va bien cette nouvelle coupe, ce nouveau déo est efficace, j’apprécie tes efforts… »

Il se bloque

Malgré toutes ces précautions, le collègue peut se sentir agressé dans son intimité en disant « Ça ne te regarde pas… »

→ Justifier votre démarche : « Nous sommes collègues depuis X années, c’est aussi mon rôle de m’intéresser à toi. »

→ Ne pas insister mais s’excuser sans laisser le problème s’enliser : « Excuse-moi sincèrement si je t’ai importuné, ce n’était pas mon intention. » Même s’il a du mal à passer, le message est entendu et peut faire son chemin.

→ Déléguer au titulaire. Si aucune solution n’est trouvée, le mieux est d’informer le titulaire de notre gêne. Attention de ne pas amalgamer avec d’autres conflits professionnels (« En plus, il arrive en retard tous les matins… », « Il n’a pas fini la commande hier »). Pour que la demande soit entendue, s’en tenir au souci d’hygiène et présenter la demande d’arbitrage comme une nécessité pour l’entreprise : « Pierre se néglige. Pour le bien-être de tous et la bonne marche de l’officine, vous pourriez l’inciter à prendre davantage soin de lui ». C’est maintenant à lui de jouer son rôle de manager et de se mouiller !

Merci à Alexandre Dubarry, chercheur en psychologie sociale, cofondateur et dirigeant du cabinet de conseil et de formation Quatre épices, à Marc Aulard, directeur du cabinet Westpoint carrières management, et à Christine Marsan, psycho-sociologue.

Un motif propre de licenciement

• Le Code du travail (article L. 4122-1) est clair : « … il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail… » L’hygiène n’est pas explicitement citée mais est contenue dans la notion de santé. En cas de gêne occasionnée sur le lieu de travail, liée à une insuffisance de mesures d’hygiène corporelle (douches, changement de vêtements…), une procédure de licenciement pour motif personnel est envisageable, mais elle doit rester un ultime recours après plusieurs essais d’amélioration : entretiens avec tact, discrétion et respect de la dignité pour ne pas tomber dans la critique vexatoire, recherche de solutions, éventuellement avec le médecin du travail, et surtout la conviction d’un manque évident d’hygiène. Attention ! Si le problème a une cause médicale, l’employeur risque la douche froide devant les prud’hommes puisque le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. Dans tous les cas, les remarques puantes sont à laisser au placard.

Fabienne Rizos-Vignal

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !