Vis ma vie chez un sous-traitant - Porphyre n° 525 du 30/08/2016 - Revues
 
Porphyre n° 525 du 30/08/2016
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

De toutes les matières, c’est la prép’ qu’elle préfère. Entre comptoir et mortier, le cœur de Khristina n’a jamais balancé : « Durant l’alternance du BP, j’ai été très déçue de ne pas fabriquer davantage de médicaments, mais aussi de mon passage au comptoir. Les patients qui savent tout et qui exigent, ce n’était pas mon truc ». Diplôme en poche au CFA parisien rue Planchat, pas question de se satisfaire de quelques préparations hebdomadaires. Khristina postule illico à la pharmacie Delpech à Paris, temple de la sous-traitance en île-de-France. Trois ans et demi plus tard, elle y est toujours. Préparatrice, responsable adjoint de secteur, membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)(1) et un enthousiasme intact.

Au mortier

Paris, 8h30, VIe arrondissement. L’historique quartier Latin ne fourmille pas encore de touristes ni d’étudiants quand Khristina franchit les portillons du métro Saint-Michel. Direction la rue Danton, où se trouve l’entreprise familiale Delpech. C’est une petite officine qui jouxte la prestigieuse bibliothèque universitaire santé. Difficile d’imaginer qu’elle est adossée à l’un des plus grands préparatoires de sous-traitance français. Derrière, en dessous, à côté, les locaux s’étendent, labyrinthiques. Bureaux, vestiaires, échantillothèque, salles de préparation…, plus de 95 salariés – dont 60 préparateurs – se relaient sur place pour réaliser 1 500 préparations quotidiennes en moyenne.

Khristina s’arrête devant un premier porche, pianote un code, distribue des bonjours, enfile sa blouse puis ressort d’un pas dynamique vers le préparatoire, situé quelques numéros plus loin, et pointe. Aujourd’hui, elle est affectée à un poste des « externes » qui concerne toutes les formes galéniques destinées à la voie cutanée, mais aussi les suppositoires et ovules. Au préparatoire, pas de poste fixe. Ici, les salariés sont polyvalents sur les postes administratifs comme dans les quatre secteurs de fabrication (voir infographie p. 24). Chaque jour, vers 16 heures, les responsables se réunissent pour attribuer les fiches de poste du lendemain en fonction des commandes reçues : saisie, téléphone, préparations externes, paquets, homéopathie, gélules, pédiatrique, vétérinaire, expédition… on tourne ! Seul le secteur pédiatrie est réservé aux préparateurs volontaires, justifiant de plusieurs mois d’expérience, d’une formation supplémentaire et d’un test de compétences spécifique. Équipée de surchaussons et coiffée d’une charlotte, Khristina rejoint son terrain de jeu du jour, première salle du labyrinthe en sous-sol.

À la question…

Lumière artificielle, ronronnement des hottes couvert par un fond musical, l’espace est exigu mais organisé. Ici, on travaille côte à côte, chacun son poste, chacun sa hotte. Seules les préparations contenant des toxiques sont réalisées dans un box à part. L’ambiance est bonne, les bises d’usage mais on ne se perd pas en palabres, la cadence de travail est soutenue. Les premiers gestes sont pour Easyprep, le logiciel développé par Delpech.

Après identification par code et mot de passe, il faut répondre à dix questions pour le déverrouiller. Aléatoires, elles ciblent le poste et la personne et concernent aussi bien les préparations que la culture générale. Pourquoi le 8 mai est-il férié ? Qui est ce Danton qui a donné son nom à la rue ?… « Ce n’est pas une interro, le logiciel s’ouvrira quand même, mais c’est une façon de maintenir ses connaissances à flot. Des statistiques individuelles de réussite sont réalisées », explique Sébastien Bertin, préparateur, co-responsable du préparatoire depuis 2005. C’est parti ! Khristina récupère un lot de panières d’ordonnances préalablement saisies et commence ses préparations selon un code couleur qui dicte l’ordre de priorité. Elle scanne la première, récupère les produits, scanne un produit, le pèse… Les gestes sont précis, rapides et la traçabilité, palpable à chaque étape. Dans Easyprep, même la pesée est tracée par un code couleur. Trop peu, la ligne est orange, trop, elle passe au rouge et le responsable secteur est alerté.

Concentration maximale

Mélanger, dissoudre, conditionner, étiqueter, chaque étape suit scrupuleusement les procédures à portée de main pour chaque poste en cas de doute. On échange peu. La concentration est tangible pour enchaîner les préparations, en moyenne cinquante par jour et par personne sur le secteur des externes. La soirée de la veille, on se la racontera à la pause. Dix minutes vers 10h30, souvent sur le trottoir, pour retrouver la lumière du jour. Conversations qui se poursuivront à midi, pendant la pause d’une heure, le temps d’avaler un sandwich ou une salade au bureau, dans le quartier, en petits groupes, par affinités, mais jamais sur un coin de paillasse… Avant de reprendre le mortier pour l’après-midi.

Répétitif ce boulot ? Pour Khristina, c’est doublement non. Grâce à la diversité des préparations, au roulement par secteurs, mais aussi parce que, régulièrement, elle troque sa charlotte contre la casquette de responsable adjointe de secteur. Quatre responsables et leurs adjoints se relaient chaque jour pour chapeauter les différents secteurs du préparatoire. Obtenue au mérite, et non à l’ancienneté, cette promotion interne est une opportunité pour se diversifier.

En alternance

Le responsable dispatche les panières de préparation par poste selon leur nombre et leur complexité, veille à l’ordre de priorité des commandes. Il répond aux questions des préparateurs en interne ou à celles des clients par téléphone sur le mode opératoire complexe, les incompatibilités… Il débloque un poste et remet en étape précédente en raison d’une erreur de principe actif, de date de péremption courte, etc. C’est lui qui resaisit une préparation en cas d’erreur, revoit la formule d’une prép’ qui déphase, cherche un principe actif qui n’est pas à sa place, bâtit les plannings du lendemain, surveille informatiquement les préparations anciennes dites « J-1 » et « J-2 » et les suit jusqu’à libération. Et parfois, il donne un coup de main quand c’est la course. « Responsable ou à la préparation, j’aime l’alternance des deux, c’est complémentaire », explique Khristina.

Son implication chez Delpech ne s’arrête pas là. Comme toute entreprise de plus de 50 salariés, le préparatoire est doté d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, animé par Fabien Bruno, le pharmacien titulaire, et trois salariés responsables élus pour un mandat de deux ans. Depuis juin 2014, Khristina est de ceux-là, nommée par les membres du comité d’entreprise au CHSCT.

Lors des réunions trimestrielles, chacun apporte sa contribution pour améliorer les conditions de travail et diminuer les risques : suivi des accidents du travail, aménagement de l’escalier avec bandes anti-dérapantes, mise à disposition d’un défibrillateur semi-automatique, élaboration du listing et des précautions pour les produits CMR (cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction)… « Ici, on met la barre plus haut. Le listing comprend en plus des CMR les ACD, ou agents chimiquement dangereux. On va plus loin que les BPP, on a mis en place des procédures depuis 2000 et on continue de les améliorer. Les référentiels sont perchés ! », témoigne Khristina.

Même désir d’amélioration dans le secteur qualité. À côté des postes de libération des préparations, où se relaient huit pharmaciens qui vérifient la saisie, le procédé de fabrication, l’aspect et l’étiquetage avant délivrance, la quasi-totalité des préparations étant testée en conformité (100 % des gélules pédiatriques). C’est volontairement plus que les exigences légales. Des pharmaciens officinaux, industriels, hospitaliers animent aussi un poste « des projets ». « L’idée est de mettre en réseau les connaissances pour améliorer nos méthodes, mener des enquêtes, évaluer les besoins en formation… », précise Sébastien Bertin.

À la pointe

« En sortant de l’école, on a une vision de stress vis-à-vis des préparations. On les envisage dans les conditions de l’examen, qui exige d’en réaliser trois avec peu de pratique », constate Khristina, qui pointe un gros décalage entre son métier et ce que l’on apprend à l’école. La carte à jouer en lieu et place d’un matériel en plastique réutilisable, par exemple, souvent décriée dans les CFA, est ici largement employée pour éviter les contaminations croisées. Le passage des poudres en éprouvette est remplacé par un verre en plastique jetable sur lequel des gabarits prédessinés déterminent le numéro de gélule à utiliser. « Tout en respectant les BPP et sans dénaturer le produit final, nous cherchons à adapter les modes opératoires pour qu’ils soient plus rapides, mais surtout pour limiter le risque de manipulations, et donc de contaminations », explique Sébastien Bertin. Les préparateurs qui arrivent ne savent pas faire la majorité des préparations demandées : « Beaucoup d’entre elles ne sont pas réalisées durant les études, d’autant que le BP ne dure plus que deux ans et que l’on ne fait de la pratique que la deuxième année dans certains CFA ».

Parmi les qualités requises au préparatoire, il faut bien sûr de la rigueur, de l’organisation, une bonne capacité de jugement, de questionnement, de logique, « et aimer tripatouiller, produire une matière, ajoute Sébastien. Sans perdre de vue que la préparation a une incidence, une finalité de soin pour une personne ou un animal ».

Pas de panique ! Les nouveaux arrivants ont droit à une formation. En interne d’abord, avec les quatre préparatrices formatrices du préparatoire. Globalement, il faut deux ou trois jours sur un même poste. D’abord, un enseignement global sur le préparatoire, les protocoles, le poste lui-même, puis la manipulation, dès le deuxième jour, sous le regard des formatrices, puis des responsables de secteur, qui assurent un suivi rapproché durant plusieurs jours. « En moyenne, une quinzaine de jours sont suffisants pour être autonome mais c’est très variable selon les personnes et les postes », précise Khristina. Le deuxième axe de formation « préparations » est assuré en externe par l’organisme Prepa’ Forma. Tous les salariés suivent a minima la formation sur les BPP et la manipulation des produits dangereux et 90 % celle de sauveteur-secouriste adaptée au préparatoire (voir interview p. 26). Sans oublier des formations plus généralistes : certification électrique, management, communication au téléphone…

Sans regrets

« Il y a du stress, la charge de travail est importante mais j’aime ça. Quand j’arrive au boulot, j’ai la banane », assure Khristina. Pour elle, la sous-traitance est une solution pour quitter le contact client ou une officine en vase clos. « Dans un milieu presque exclusivement féminin comme ici, on pourrait s’attendre à des frictions, mais finalement il y en a peu. C’est comme une grande famille, il n’y a pas trop d’animosité, ni de jalousie ». Sa liste d’avantages ne s’arrête pas là : horaires cool (8h45-17h45 avec une heure de pause et 9h-17h un samedi sur deux), évolution continue des connaissances, possibilités d’avancée de carrière, responsabilité d’un secteur, voire du préparatoire… « Les responsabilités, c’est seulement si on veut. Certains sont faits pour ça, d’autres non, c’est fonction des motivations, des envies de chacun », précise Sébastien Bertin, devenu responsable du préparatoire après cinq ans. Ici, on avance au mérite. Le salaire de base est plus élevé que la grille et les possibilités d’augmentation sont réelles avec les échelons, le statut, mais aussi les primes. À celles de sous-sol et de préparation, prévues dans la convention collective, peuvent s’ajouter celles de performance, de régularité, d’intéressement. « Le salaire des préparateurs est de 1 846 € brut à l’entrée et le salaire moyen est de 2 200 € brut hors primes, avec des tickets restaurant et des avantages du comité d’entreprise, chèques vacances, cadeaux, sorties… », précise Sébastien.

« C’est du bonus. On a signé un contrat avec un salaire de base, mais si on s’en donne la peine, on peut arriver facilement à l’équivalent d’un treizième mois. En effet, nous avons des évaluations trimestrielles et annuelles. Les primes sont versées à l’issue des évaluations, c’est motivant », assure Khristina. Côté inconvénients, Sébastien souligne un boulot physique, assez fatigant, surtout au début quand on manque d’organisation. « Et il ne faut pas être claustro, on travaille en sous-sol. Mais, on est tellement concentré qu’on ne s’en rend plus compte ». Les jambes lourdes sont évoquées, surtout sur certains postes, dont les pommades où on piétine davantage, mais « comme au comptoir », remarque Khristina. Les deux salariés s’accordent néanmoins sur l’inconvénient majeur de se fermer une partie de la profession : « C’est un autre métier. Très vite, on perd de la performance pour le conseil au comptoir. Il faut une remise à niveau pour retourner en officine, ce qui peut défavoriser une candidature », avoue Sébastien. « Sauf en hôpital, où le passage dans un préparatoire de sous-traitance est une excellente carte de visite », tempère Khristina.

Tirer vers le haut

Les anciens salariés, partis par choix ou pour déménager, expriment souvent leur regret de Delpech. « On dit entre nous qu’on est ‘‘delpechois’’ pour toujours », plaisante Sébastien. Khristina a conscience d’être dans une entreprise à part : « Ici, la direction a une éthique particulière. Elle fait les choses avant tout pour nous protéger ». La sous-traitance n’est pas une micro-niche (voir encadré p. 22) : environ 70 pharmacies en France, sans compter les « gros faiseurs » qui ont une activité intense au préparatoire. Rien que chez Delpech, dix-sept embauches cette année, la moitié d’une promotion de CFA ! Pourtant, Sébastien est formel, la profession n’a pas intérêt à faire réaliser toutes les préparations par les sous-traitants : « Au contraire, s’accaparer le monopole serait la mort de la préparation, qui reste d’un intérêt primordial ». Quand aucun dosage n’existe en pédiatrie, en cas de rupture comme ça a été le cas pour les lotions contre la gale… D’ailleurs ici, on ne refuse pas le partage du savoir. Certains clients viennent de temps à autre se remettre à niveau sur un tour de main, faire une préparation pour s’entraîner. « Notre idée, c’est aussi de tirer les préparateurs vers le haut, de faire progresser leur métier, qu’ils travaillent chez Delpech ou à l’extérieur ».

(1) Constitué dans tous les établissements occupant au moins 50 salariés, le CHSCT a pour missions de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail. Composé notamment d’une délégation du personnel, il dispose d’un certain nombre de moyens (information, recours à un expert…) et les représentants du personnel, d’un crédit d’heures et d’une protection contre le licenciement. Ces moyens sont renforcés dans les entreprises à haut risque industriel. En l’absence de CHSCT, ce sont les délégués du personnel qui exercent les attributions normalement dévolues au comité.

Fiche d’identité

Nom : Yap Larioui.

Prénom : Khristina.

Date de naissance : 6 août 1985.

Lieu de naissance : Aubervilliers (93).

Études : licence de chimie à l’université Pierre et Marie Curie (Paris) en 2010, brevet professionnel de préparateur en pharmacie au Centre de formation professionnelle de la pharmacie (CFPP) à Paris en 2012.

Carrière professionnelle : préparatrice à la pharmacie Delpech depuis août 2012, responsable adjoint de secteur depuis avril 2015. Nommée par le CE au comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) depuis juin 2014.

Formation continue : bonnes pratiques de préparation, produits toxiques, sauveteur-secouriste du travail, communication et management, prévention secourisme incendie, formations à l’entretien téléphonique et au CHSCT.

Journée 1 Khristina prend son poste de préparatrice

La sous-traitance en chiffres

• Environ 70 officinaux sous-traitants en France, dont 26 adhèrent à la Société des officinaux sous-traitants en préparations (SOTP), dont le but est de structurer et fédérer l’activité de la sous-traitance.

• 2 à 3 officines se lancent dans l’aventure de la sous-traitance chaque année.

• Plus de 200 préparations doivent être réalisées par jour par une officine pour une activité rentable.

• Moins de 10 préparateurs sont en moyenne exclusivement affectés à la préparation dans une officine de sous-traitance.

Pour en savoir plus : www.preparationmagistrale.fr

Journée 1 Elle interrompt ses préparations pour la réunion du CHSCT

Une fois le produit fini, vérification attentive de son aspect…… et de son étiquetage, avant l’étape du conditionnement.La préparation finie est collectée par la responsable de secteur. Khristina passe illico à la suivante.Libérées, les préparations sont envoyées au donneur d’ordre via les grossistes au Chronopost.10h30. Dix minutes de pause pour retrouver la lumière du jour et papoter entre collègues.Retour au travail jusqu’à la pause déjeuner.13h. Pause repas. Aujourd’hui, c’est salade dans le bureau.On décompresse, on plaisante, on parle un peu boulot, pas trop, avant de rejoindre son poste.15h. Khristina, en tant qu’élue du personnel, part à la réunion trimestrielle du CHSCT.Avec Angélique, autre élue, direction les bureaux de Fabien Bruno, le titulaire.L’ambiance avec la direction est bonne ! Une bise avant un petit café…Détendu, l’échange est néanmoins sérieux. Comment améliorer la sécurité des salariés…

Journée 2 Khristina est responsable

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