Le trouble bipolaire - Porphyre n° 525 du 30/08/2016 - Revues
 
Porphyre n° 525 du 30/08/2016
 

Savoir

La patho

Auteur(s) : Thierry Pennable

Classé parmi les dix pathologies les plus invalidantes par l’Organisation mondiale de la santé, le trouble bipolaire est une pathologie chronique de l’humeur marquée par l’alternance d’épisodes d’excitation et d’épisodes dépressifs. Une bonne connaissance de leur maladie et l’observance sont indispensables à l’amélioration de la qualité de vie des patients.

La maladie

Définition

Le trouble bipolaire est une pathologie chronique de l’humeur alternant des épisodes d’excitation et de dépression.

Le terme « bipolaire » se réfère aux deux pôles entre lesquels fluctue l’humeur de la personne. L’ancienne appellation « psychose maniaco-dépressive » a été remplacée par « trouble bipolaire de type 1 » et différentes formes de trouble bipolaire sont aujourd’hui distinguées (voir « Les différentes formes »).

Le patient présente en alternance :

• des épisodes d’excitation appelée hypomanie ou manie, en fonction de leur intensité (voir plus loin), caractérisés par une augmentation de l’humeur, de l’énergie et des activités ;

• des épisodes de dépression caractérisés par une diminution de l’humeur, et de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités ;

• des intervalles plus ou moins longs dans un état psychique plus stable, proche d’un état « normal », qui peuvent exister entre les épisodes de (hypo) manie et de dépression.

Physiopathologie

Le trouble bipolaire résulterait d’interactions entre :

• des modifications des systèmes de régulation du stress : dysfonctionnement dans le contrôle sérotoninergique des stimuli noradrénergiques centraux ;

• une vulnérabilité génétique : le risque de développer un trouble bipolaire est multiplié par dix lorsqu’un parent du premier degré est atteint, une prévalence de 10 %, contre 1 à 2 % dans la population générale ;

• et des facteurs environnementaux : événements de vie, personnels ou professionnels, positifs ou négatifs (séparation, deuil, promotion professionnelle, déménagement, perte d’emploi…), stress répétés (surmenage, manque de sommeil…) et consommation d’alcool, de tabac et/ou de drogues sont des facteurs précipitants.

Un trouble bipolaire peut également se développer sans ces facteurs.

Signes cliniques

L’intensité, la durée et la fréquence des épisodes varient d’une personne à l’autre. Les épisodes de (hypo) manie et de dépression de la maladie bipolaire sont classés selon leur intensité par les classifications internationales(1).

Trois niveaux d’épisodes maniaques

Peuvent être distingués pour les épisodes maniaques : l’hypomanie (voir Dico+ p. 30), la manie sans symptômes psychotiques et la manie avec symptômes psychotiques.

• Ces trois niveaux d’épisodes maniaques ont des caractéristiques communes : un sentiment intense de bien-être et d’efficacité physique et psychique, une augmentation de la sociabilité, du désir de parler, de la familiarité ou de l’énergie sexuelle et une réduction du sommeil.

• Les épisodes hypomaniaques sont caractérisés par une élévation légère, mais persistante, de l’humeur, de l’énergie et de l’activité.

Les symptômes doivent être présents toute la journée au moins sur quatre jours consécutifs. Les symptômes hypomaniaques ne sont pas assez marqués pour entraver les activités professionnelles ou entraîner un rejet social. Ils ne sont pas forcément ressentis comme pathologiques par la personne atteinte (voir « Diagnostic »).

• Les épisodes maniaques sans symptômes psychotiques sont caractérisés par une élévation de l’humeur disproportionnée au vu de la situation, et vont d’une jovialité insouciante à une agitation pratiquement incontrôlable.

L’augmentation de l’estime de soi est fréquente, accompagnée d’idées de grandeur et de surestimation de ses capacités.

Des conduites imprudentes, déraisonnables, inappropriées ou déplacées dues à la levée des inhibitions sociales normales sont possibles. L’épisode maniaque doit durer au moins une semaine(1).

• Les épisodes maniaques avec symptômes psychotiques reprennent les caractéristiques des épisodes maniaques cités ci-dessus, auxquelles s’ajoutent un ou plusieurs symptômes psychotiques tels que des idées délirantes, le plus souvent « de grandeur », des hallucinations, le plus souvent sous forme de voix parlant directement au sujet, un enchaînement rapide et parfois illogique des idées appelé « fuite des idées ». Ces symptômes rendent la personne incompréhensible ou hors d’état de communiquer normalement.

Trois niveaux d’épisodes dépressifs

• Trois niveaux d’intensité : l’épisode dépressif sera qualifié de léger, moyen ou sévère en fonction du nombre et de la sévérité des symptômes suivants :

→ abaissement de l’humeur, de l’énergie et de l’activité ;

→ perte d’intérêt et altération de la capacité à éprouver du plaisir ;

→ diminution de l’aptitude à se concentrer ;

→ fatigue importante fréquente, même après un effort minime ;

→ troubles du sommeil et diminution ou perte de l’appétit ;

→ diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi ;

→ idées de culpabilité ou de dévalorisation ;

→ ralentissement psychomoteur important ou agitation ;

→ perte de la libido.

Les symptômes sont présents pendant une même période d’une durée de deux semaines(1).

• Présence de symptômes psychotiques. Dans les épisodes dépressifs sévères, la perte de l’estime de soi et les idées de dévalorisation ou de culpabilité peuvent être accompagnées de symptômes psychotiques : hallucinations, idées délirantes, ralentissement psychomoteur ou stupeur empêchant les activités sociales habituelles.

Cas particuliers des épisodes mixtes

Durant ces épisodes, la personne présente à la fois des symptômes d’un épisode maniaque et des symptômes d’un épisode dépressif, et cela presque tous les jours pendant une semaine. Seront par exemple réunies une élévation de l’humeur, de l’énergie et de l’activité (symptômes maniaques) et une diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi, avec des idées de culpabilité ou de dévalorisation (symptômes dépressifs). Pour correspondre aux critères des classifications internationales(1), la perturbation de l’humeur dans les épisodes mixtes doit être suffisamment sévère pour entraîner une altération marquée des activités sociales et/ou professionnelles.

Différentes formes

Trouble bipolaire de type 1

Cette forme est essentiellement caractérisée par la survenue d’un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes. Les personnes présentent souvent également un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs. C’est la forme la plus classique, autrefois appelée psychose maniaco-dépressive.

Trouble bipolaire de type 2

Il est essentiellement marqué par l’apparition d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés d’au moins un épisode hypomaniaque. L’existence d’un épisode maniaque ou mixte exclut le trouble bipolaire de type 2 et signe un trouble bipolaire de type 1.

Autres formes

Les spécialistes décrivent aussi d’autres formes ou types de troubles bipolaires :

• le type 3, pour lequel la polarité maniaque est révélée par la prise d’un antidépresseur prescrit pour ce qui semblait être une dépression ;

• le type 4 correspond au trouble cyclothymique marqué par une variation de l’humeur entre excitation et état dépressif sans toutefois correspondre aux critères diagnostiques d’un épisode de manie, d’hypomanie, ou de dépression majeure ;

• le type 5, pour des personnes qui restent en permanence en état d’excitation mais peuvent à tout moment entrer dans une phase dépressive.

Trouble unipolaire

Il s’agit d’un état dépressif appartenant aux troubles bipolaires, mais dont la cyclicité ne s’exprime cliniquement que dans le versant « dépressif ». De nombreuses dépressions résistantes seraient des troubles unipolaires nécessitant un traitement par un médicament thymorégulateur (voir « Son traitement »).

Complications ou gravité

Risque suicidaire

C’est le risque évolutif majeur du trouble bipolaire, avec un risque suicidaire quinze fois plus élevé que la population générale. C’est la pathologie psychiatrique qui conduit le plus fréquemment aux tentatives de suicide. Selon les études(2), de 25 à 60 % des patients bipolaires feront au moins une tentative de suicide dans leur vie parmi lesquels de 4 à 19 % en décéderont. Ainsi, le risque suicidaire doit être systématiquement recherché chez les patients.

Désinsertion socio-professionnelle

Les modifications de l’humeur et du comportement peuvent perturber les activités scolaires et professionnelles, les relations sociales ou interpersonnelles.

Prise de risque inconsidérée

Abus de toxiques, d’alcool et comportements à risque sont possibles.

Comorbidités

Un diabète de type 2 et des maladies cardio-vasculaires sont parfois associés au trouble bipolaire et peuvent être mis en relation avec des difficultés à respecter les règles d’hygiène de vie et les effets indésirables de certains traitements.

Diagnostic

En pratique, il s’écoule en moyenne dix ans entre le début de la maladie et l’instauration d’un traitement adapté(3). Le diagnostic d’un trouble bipolaire est avant tout clinique et nécessite souvent plusieurs évaluations successives. Un bilan spécialisé dans un centre expert troubles bipolaires permet de faire et de préciser le diagnostic (voir interview p. 35).

• Face à un épisode maniaque. Le diagnostic est plus facile à poser lorsque la maladie débute par un épisode maniaque bien marqué. Sachant que chez l’adolescent, l’humeur n’est pas toujours joviale ou euphorique, et peut être dominée par de l’irritabilité, de l’agressivité ou de la violence. Un épisode maniaque inaugural est une urgence psychiatrique qui nécessite une hospitalisation.

• Face à un épisode dépressif en présence d’un antécédent d’épisode maniaque. Le diagnostic de trouble bipolaire peut être posé.

• Face à un épisode dépressif en l’absence d’un antécédent d’épisode maniaque. Le diagnostic est difficile. Le risque est alors de discerner une dépression et de prescrire un antidépresseur alors que le trouble bipolaire n’a pas été décelé. « L’antidépresseur augmente le niveau de l’humeur et peut faire flamber la note maniaque » prévient le professeur Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du centre expert troubles bipolaires à Marseille (13), avec les risques que cela comporte, y compris un risque suicidaire. Dans cette situation, il est donc recommandé de prendre les précautions suivantes.

→ Rechercher un antécédent d’épisode hypomaniaque, plus difficile à repérer qu’un antécédent d’épisode maniaque, y compris par le patient, car cet épisode est souvent de brève durée, avec des symptômes et des répercussions fonctionnelles plus faibles(3).

→ Rechercher des indicateurs de bipolarité, certains permettant de suspecter une évolution possible de la dépression vers une bipolarité. Exemples(3) : épisode dépressif avant l’âge de 25 ans ; antécédents d’épisodes dépressifs multiples (trois ou plus) ; antécédents familiaux de trouble bipolaire ; épisode dépressif survenant dans le post-partum ; caractéristiques atypiques de l’épisode dépressif (hyperphagie, hypersomnie…) ; réponse atypique à un antidépresseur : non-réponse thérapeutique, aggravation des symptômes, agitation, hypomanie même brève. Un épisode maniaque sous antidépresseur suffit pour diagnostiquer un trouble bipolaire.

→ Rechercher des indicateurs plus spécifiques chez les adolescents. Il s’agit principalement de modifications comportementales en rupture avec le fonctionnement antérieur : prise de substances psychoactives ; conduites à risque telles que fugue, transgressions, notamment sexuelles ; repli sur soi ; décrochage scolaire.

Évolution

L’évolution de la maladie est irrégulière, avec des épisodes qui peuvent se rapprocher, s’aggraver ou s’atténuer.

Une amélioration de la pathologie à la ménopause suppose un lien, indirect et inexpliqué, entre hormones et bipolarité.

Sans traitement, la durée des rémissions entre les épisodes a généralement tendance à se réduire progressivement avec le temps. Les épisodes maniaques tendent à devenir moins fréquents, alors que les épisodes de dépression le sont de plus en plus et durent de plus en plus longtemps.

Suivi médical

Il est assuré par le psychiatre, en collaboration avec le médecin traitant, dans le but d’assurer une continuité des soins, indispensable dans le traitement de la maladie.

Les consultations pluriannuelles sont effectuées à un rythme régulier et peuvent être intensifiées en cas de complications chez le patient : facteurs de stress, effets indésirables liés au traitement, défaut d’adhésion au traitement…

Son traitement

Objectif

La prise en charge vise à :

→ stabiliser l’humeur et prévenir les rechutes ;

→ aider le patient à prendre conscience de sa pathologie, à accepter et observer le traitement ;

→ préserver le fonctionnement social et professionnel, la vie affective et relationnelle, l’autonomie et la qualité de vie ;

→ traiter les comorbidités psychiatriques et somatiques.

Stratégie

• Un traitement à vie. La prise en charge consiste en un traitement médicamenteux des troubles, associé à un accompagnement psychologique. « En général, la prescription médicamenteuse est maintenue à vie car dans 90 % des cas il y a une rechute à l’arrêt du traitement, souvent sur un mode plus sévère que les épisodes antérieurs, prévient Jean-Michel Azorin. Le risque d’une interruption du traitement est pris en fonction de la demande de la famille et du patient, et de l’intensité du trouble ».

• Des médicaments normothymiques. Plusieurs antiépileptiques et antipsychotiques avec un effet régulateur de l’humeur, dits normothymiques, peuvent être utilisés, sachant que(4) :

→ un seul médicament est prescrit, si possible, mais une association est parfois nécessaire ;

→ le médicament met souvent plusieurs semaines à agir ;

→ deux ou trois médicaments peuvent être testés avant de trouver le plus efficace.

• Indication et objectifs thérapeutiques. Les normothymiques visent à atténuer les symptômes d’un épisode maniaque ou dépressif en cours et à réduire le risque de récidive. Ils étaient jusque-là proposés à partir du troisième épisode d’un trouble bipolaire selon les recommandations du lithium, mais ils sont de plus en plus prescrits dès un premier épisode identifié. Surtout si les symptômes ont des répercussions importantes sur la vie sociale et/ou professionnelle.

Médicaments

Régulateurs de l’humeur

Lithium

• Mécanisme d’action : semble agir en mimant les effet du sodium dans plusieurs mécanismes de transport du sodium au niveau des membranes cellulaires.

• Indication : antipsychotique normothymique, le carbonate de lithium (Téralithe) est le traitement le plus ancien et le plus souvent utilisé dans le trouble bipolaire. Son effet se manifeste lentement, l’équilibre est atteint entre le cinquième et le huitième jour. Son mécanisme d’action n’est pas bien élucidé. « Le lithium reste le traitement de référence pour les troubles bipolaires de type 1, associés à des phases maniaques sévères et des phases dépressives sévères. En pratique, dans les autres cas, la gestion difficile du lithium et ses effets indésirables potentiels font discuter le choix du traitement », précise le spécialiste.

• Adaptation posologique : le lithium est un médicament à marge thérapeutique étroite. Les doses nécessaires pour maintenir un niveau de lithiémie active variant selon les individus, la posologie est individualisée selon les concentrations sanguines et la réponse clinique.

La lithiémie minimale efficace recommandée est de 0,5 à 0,8 mEq/l mesurée le matin à jeun douze heures après la dernière prise pour la forme à libération immmédiate et avec une lithiémie efficace de 0,8 à 1,2 mEq/l le soir pour la forme à libération prolongée. Les dosages sanguins sont pratiqués deux fois par semaine en début de traitement. Une fois la lithiémie efficace atteinte, ils sont effectués toutes les semaines durant le premier mois, puis tous les mois pendant le premier trimestre, puis tous les deux mois.

• Effets indésirables : risque de troubles neurologiques, parfois irréversibles si surdosage (voir plus loin) favorisé par insuffisances rénale, déshydratation, régime désodé ; troubles digestifs, endocriniens et métaboliques (hypo- ou hyperthyroïdie, prise de poids…), cardiaques.

• Surdosage : les signes les plus fréquents d’un surdosage sont les nausées, les tremblements, la soif et les troubles de l’équilibre. Ils nécessitent l’arrêt du traitement et l’évaluation en urgence de la lithiémie. Ils sont habituellement réversibles avec une diminution de la dose ou à l’arrêt du traitement.

• Surveillance régulière au cours du traitement des fonctions cardiaques, rénales, thyroïdiennes ; bilan ophtalmologique si céphalées persistantes ou troubles de la vision.

Divalproate de sodium et valpromide

• Mécanisme d’action : agissent sur les canaux sodiques et la voie GABAergique. L’action thymorégulatrice des deux molécules pourrait être liée à un renforcement de la voie GABAergique qui a pour fonction de diminuer l’activité neuronale.

• Indications : le Depakote (divalproate de sodium) et le Dépamide (valpromide), tous deux prodrogues de l’acide valproïque, antiépileptiques et thymorégulateurs, sont indiqués dans les épisodes maniaques du trouble bipolaire en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium. Indiqués dans le traitement aigu des épisodes maniaques en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium, Depakote et Dépamide peuvent être maintenus en traitement de fond chez les patients ayant répondu positivement lors de l’épisode aigu.

• Effets indésirables : la plupart ne sont pas graves et s’atténuent habituellement dès les premières semaines. Les plus fréquents sont : troubles digestifs (nausées, vomissements, troubles gingivaux, stomatite, douleurs épigastriques, diarrhée), prise de poids, troubles neurologiques (tremblements, sédation, troubles de la mémoire, céphalées, nystagmus, c’est-à-dire mouvements involontaires des deux yeux, état confusionnel, hallucinations, troubles extrapyramidaux), perte d’audition, chute des cheveux passagère et/ou dose-dépendante, hémorragie, irrégularités menstruelles, troubles hématologiques (anémie, thrombopénie).

• Surveillance. Entre autres : contrôle biologique des fonctions hépatiques avant le traitement et pendant les six premiers mois ; examen hématologique recommandé avant le traitement, à quinze jours et en fin de traitement, ainsi qu’avant une intervention chirurgicale et en cas d’hématomes ou de saignements spontanés.

• Ces particulier de la grossesse : Depakote et Dépamide sont les plus tératogènes des thymorégulateurs. Ils entraînent également un risque accru de troubles neuro-développementaux chez les enfants exposés in utero. Depakote ne doit être utilisé chez les patientes en âge de procréer ou enceintes qu’en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Les patientes doivent utiliser une contraception efficace pendant le traitement et être complètement informées des risques pendant la grossesse. Chez celles en âge de procréer, prescription initiale annuelle réservée aux psychiatres et devant être accompagnée d’un accord de soins présenté à chaque délivrance. Renouvellement par tout médecin, dans la limite d’un an.

Carbamazépine

• Mécanisme d’action : agit sur les canaux sodiques voltage-dépendants ; effet dépressif sur la régénération de dopamine et de noradrénaline.

• Indications : la carbamazépine (Tegretol), antiépileptique et normothymique, est indiquée dans le trouble bipolaire :

→ en prévention des rechutes dans le cadre des troubles bipolaires, traitement de deuxième intention du fait de ses effets indésirables potentiels et des nombreuses interactions médicamenteuses ;

→ dans le traitement des états d’excitation maniaque ou hypomaniaque.

• Effets indésirables : la plupart ne sont pas graves et s’atténuent habituellement en quelques jours, soit spontanément, soit après une diminution transitoire de la posologie. Certains effets dose-dépendants sont fréquents à l’instauration du traitement, avec une dose initiale trop élevée ou chez les personnes âgées : vertiges, céphalées, ataxie, somnolence, fatigue, diplopie, troubles de l’accommodation, confusion, agitation, nausées, vomissements, diarrhée, constipation, anorexie, sécheresse de la bouche et réactions allergiques cutanées. Autres effets potentiels : hépatiques, hématologiques (leucopénie), métaboliques (prise de poids).

• Surveillance : hémogramme et bilan hépatique avant le début du traitement puis après le premier mois de traitement et devant tout signe d’appel (infections…).

Lamotigrine

• Mécanisme d’action : agit sur les canaux sodiques voltage-dépendants.

• Indications : la lamotrigine (Lamictal) est un antiépileptique indiqué dans la prévention des épisodes dépressifs du trouble bipolaire de type 1 avec prédominance d’épisodes dépressifs. Ses mécanismes d’action thérapeutique sur les troubles bipolaires ne sont pas établis.

• Effets indésirables : la plupart ne sont pas graves et s’atténuent habituellement dès les premières semaines du traitement. Dans le traitement du trouble bipolaire, les effets indésirables les plus fréquents sont : troubles digestifs, rhumatologiques (arthralgies), éruptions cutanées potentiellement graves et pouvant conduire à l’arrêt du traitement (syndromes de Stevens-Johnson et Lyell). Moins fréquemment : troubles psychiques et neurologiques (céphalées, somnolence, vertiges, risque d’idées suicidaires).

• Surveillance : la survenue d’idées et de comportements suicidaires doit être surveillée et prise en charge, particulièrement à l’instauration du traitement ou lors de modifications posologiques. Le traitement est à arrêter en cas d’éruption cutanée, notamment si signes d’hypersensibilité associés (fièvre, adénopathies, œdème de la face…).

Antipsychotiques

Les antipsychotiques – qui sont des neuroleptiques avant tout – indiqués dans les troubles bipolaires ont une action thymorégulatrice (voir tableau p. 32).

• Mode d’action : ces neuroleptiques, dits de deuxième génération ou atypiques, agissent en bloquant les récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques. La plupart de leurs effets indésirables ne sont pas graves et s’atténuent habituellement dès les premières semaines du traitement.

• Effets indésirables les plus fréquents.

→ Augmentation de l’appétit, prise de poids : une surveillance régulière du poids dès le début du traitement est recommandée (une fois par semaine le premier mois, puis mensuellement). Une prise de poids supérieure à 5 kilos après trois mois de traitement, ou de plus de 7 % du poids de départ, nécessite une consultation diététique. Un bilan lipidique et glycémique est recommandé. Conseils hygiéno-diététiques : alimentation équilibrée ; éviter sodas, sucreries et grignotages entre les repas ; pratiquer une activité physique.

→ Somnolence, fatigue, difficultés de concentration. Conseils : prudence avec la conduite automobile. En parler avec le médecin pour ajuster l’heure de prise en fonction de la gêne ressentie (lever difficile…). L’activité physique apporte de l’énergie. À l’inverse, la prise d’alcool va aggraver la somnolence excessive et augmenter les effets indésirables, le mal-être et l’angoisse.

→ Vertiges, étourdissements, hypotension orthostatique. Conseils : se relever lentement d’une position assise, passer par une position assise temporaire à partir d’une position couchée.

→ Bouche sèche. Conseils : boire fréquemment de petites quantités d’eau tout au long de la journée, sucer un glaçon, mâcher des chewing-gums sans sucre, salive artificielle en spray (Artisial, Syaline spray, Aequasyal). Maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire, avec au minimum un brossage des dents par jour, le soir, et visite de contrôle chez le dentiste.

→ Nausées. Conseils : prendre le traitement de préférence pendant un repas. Sauf quétiapine, prise au moins une heure avant le repas.

→ Constipation. Conseils : manger des fruits crus et des légumes verts et boire suffisamment d’eau, en particulier le matin à jeun ; maintenir une activité physique.

→ Troubles hormonaux et sexuels : aménorrhée, petits saignements, galactorrhée chez les femmes, gynécomastie/tension mammaire chez les hommes, diminution de la libido et dysfonction érectile chez les hommes doivent être signalés au médecin pour envisager une amélioration de ces effets.

→ Symptômes extrapyramidaux. Rares aux doses usuelles et plus rares qu’avec les neuroleptiques classiques, des symptômes de type rigidité musculo-squelettique, contractions musculaires involontaires (dyskinésie), tremblement, incapacité de pouvoir se mettre ou de demeurer en position assise ou syndrome des jambes sans repos (akathisie), faciès figé ou spasme facial, doivent être signalés au médecin en vue d’une modification du traitement ou d’une correction de ses effets.

Les médicaments indiqués dans les syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques sont bipéridène (Akineton), trihexyphénidyle (Artane, Parkinane LP), tropatépine (Lepticur).

→ Le syndrome malin des neuroleptiques. C’est un effet exceptionnel mais potentiellement mortel. En cas d’apparition brutale de fièvre (> 38 °C) l’absence de toute autre cause d’état fébrile, associée à des symptômes moteurs (rigidité, myoclonies et tremblements), une hypersudation, une tachycardie, prévenir le médecin en urgence.

• Surveillance.

→ Poids, IMC, pression artérielle : à un mois de traitement, à trois mois puis une fois par trimestre.

→ Tour de taille : une fois par an.

→ Glycémie à jeun : à trois mois, puis une fois par an.

→ Bilan lipidique : à trois mois, puis tous les cinq ans.

Antidépresseurs

« Un antidépresseur peut être prescrit à condition d’être ‘‘couvert’’ par un thymorégulateur ou un antipsychotique avec un effet thymorégulateur », avertit le professeur Azorin.

Ainsi, en fonction des symptômes, un antidépresseur peut être prescrit pour prévenir les rechutes dépressives associé à un antipsychotique qui, lui, préviendra les rechutes maniaques et un éventuel « virage maniaque ». Dans tous les cas, ils doivent toujours être utilisés avec prudence, en étant vigilant sur le risque de réveiller la polarité maniaque du trouble bipolaire.

Traitementsi non médicamenteux

Psychoéducation

Elle fait partie intégrante de la prise en charge du trouble bipolaire et repose sur des programmes d’information adaptés au patient. La psychoéducation s’adresse autant à la personne atteinte qu’aux membres de la famille, en vue, entre autres :

→ d’améliorer la compréhension du trouble bipolaire et l’adhésion au traitement ;

→ de développer la capacité à détecter les signes précurseurs d’un épisode maniaque ou dépressif ;

→ d’améliorer le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie ;

→ d’encourager une régularité des rythmes de vie : régulation du sommeil, vie sociale.

Psychothérapie de soutien

Elle est indispensable pour améliorer l’observance du traitement et lutter contre le découragement et le sentiment d’échec personnel des patients, en particulier lors de rechutes. Elle peut être effectuée par le médecin traitant, le psychiatre ou par le psychologue clinicien.

Autres psychothérapies

D’autres approches psychothérapiques peuvent être envisagées, telles les psychothérapies d’inspiration psychanalytique, comportementales et cognitives ou familiales et systémiques.

Électroconvulsivothérapie (ECT)

Cette pratique thérapeutique issue des anciens « électrochocs » permet d’améliorer rapidement les troubles de certains patients.

L’électroconvulsivothérapie utilise un courant faible et très bref appliqué à la surface du crâne pour provoquer l’équivalent d’une crise convulsive.

Le nombre de séances, sous anesthésie générale, dépend des améliorations observées.

Hospitalisation

Une hospitalisation en psychiatrie(3) est envisagée en cas de :

→ risque suicidaire élevé ;

→ épisode maniaque ou mixte ;

→ agitation violente, troubles du comportement majeurs ;

→ épisode dépressif sévère ;

→ complications médico-légales (vols, escroqueries…) ;

→ isolement social et familial, épuisement des proches.

L’hospitalisation libre est privilégiée mais la non-reconnaissance de ses troubles et de leur gravité par le patient peut nécessiter une hospitalisation sous contrainte.

Conseils aux patients

Observance

La prise régulière du traitement est indispensable pour obtenir une stabilisation de l’humeur et prévenir les rechutes.

L’arrêt du lithium, divalproate de sodium, valpromide, carbamazépine ou antipsychotique doit se faire progressivement sur une durée comprise entre quatre et six semaines. Une interruption brutale de ces traitements expose à un mal-être dans les jours qui suivent et, à plus long terme, à une rechute, souvent plus sévère que les épisodes précédents. « L’observance du traitement est particulièrement problématique dans le cadre d’un trouble bipolaire. L’alliance thérapeutique et les décisions médicales partagées sont fondamentales dès le début de la prise en charge, souligne le professeur Jean-Michel Azorin. L’arrêt du traitement peut être volontaire, ou involontaire lorsqu’une ou deux prises sautées suffisent à faire rechuter le patient ».

Vie quotidienne

Les conseils portent sur l’intérêt d’une bonne hygiène de vie et d’une adaptation du mode de vie où la plus grande régularité est primordiale. Il faut savoir prévenir les risques de récidives lors des changements dans la vie quotidienne ou lors d’un rythme de travail trop intense sur une longue durée. Éviter dans la mesure du possible une vie sans horaires. Une vie quotidienne régulière est un gage de stabilité pour ces patients.

Alimentation

Avertir du risque d’augmentation de l’appétit, avec prédilection pour les produits sucrés, notamment avec l’olanzapine. Conseiller une surveillance du poids mensuelle, voire hebdomadaire. Inciter à suivre les séances d’éducation nutritionnelle des psychothérapies éducatives hospitalières. Une prise de 5 kg dans le premier trimestre nécessite une consultation diététique. Essayer de restreindre la consommation de psychostimulants (alcool, caféine…), licites ou non (cannabis…).

Activités physiques

En raison des effets indésirables des traitements (prise de poids et troubles métaboliques), suggérer une activité physique régulière adaptée aux possibilités de 30 à 35 minutes par jour, comme la marche rapide.

Vie professionnelle

Un rythme de vie régulier s’avère primordial et le stress est incompatible pour une humeur stable, d’où la nécessité parfois d’adapter le poste de travail. Rassurer le patient, il est possible d’aménager son poste par la médecine du travail. Enfin, la plupart des médicaments peuvent entraîner une somnolence à prendre en compte.

Sommeil

→ Respecter un rythme régulier et une durée suffisante de sommeil. Éviter les carences en se réveillant à la même heure chaque matin. En cas d’excès, il faut compenser.

→ Éviter les fêtes à répétition, les nuits blanches… Et les décalages horaires.

Sexualité

Etre vigilant sur une hyper-sexualité qui pourrait signer une crise. Par contre, les médicaments sont responsables de troubles de la libido. Encourager à en parler au médecin.

Vie familiale et sociale

→ Les conduites délictueuses (vol, agression physique dont sexuelle…) ne sont pas rares en accès maniaque. Elles perturbent ultérieurement le patient, et la famille confrontée aux autorités. L’entourage doit aider l’alliance thérapeutique entre le patient et son médecin, participer à la prise en charge et s’informer. Il est primordial que patient et famille aient les coordonnées d’un médecin ou d’un service joignable rapidement.

→ Tout désir d’enfant doit être anticipé et discuté avec le psychiatre pour ajuster si besoin le traitement.

→ Participer à des activités associatives comme des groupes d’entraide mutuelle. Prendre contact avec des associations de patients ou de familles de patients (Argos 2001, voir En savoir + p. 34).

Prévention des crises

Aider le patient et les proches à connaître les prémices d’un épisode maniaque ou dépressif. Avertir le psychiatre.

Avec l’aimable participation du professeur Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du centre expert troubles bipolaires de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille (13).

(1) D’après la Classification statistique internationale des maladies de l’OMS (CIM 10) et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie (DSM, versions 4 et 5).

(2) Troubles bipolaires : repérage et diagnostic en premier recours, Haute Autorité de santé (HAS), juin 2014.

(3) Patient avec un trouble bipolaire : repérage et prise en charge initiale en premier recours, HAS, juin 2015.

(4) « Troubles bipolaires » sur le site www.ameli-sante.fr

(5) Troubles bipolaires, Guide médecin – Affection de longue durée, HAS, mai 2009.

Info+

→ Quand doit-on consulter ? Si les changements d’humeur ou si une excitation ou, au contraire, un ralentissement psychologique empêchent de fonctionner normalement et/ou s’il y a des difficultés à assumer ses responsabilités sociales, professionnelles ou familiales. En parler alors à son médecin ou consulter un spécialiste, psychiatre ou psychologue.

Contre-indications médicales des médicaments

→ Lithium : insuffisance cardiaque.

→ Divalproate et valpromide : hépatite et antécédents d’hépatite.

→ Carbamazépine : bloc auriculoventriculaire, antécédent d’hypoplasie médullaire.

→ Olanzapine : risque connu de glaucome à angle fermé.

Principales contre-indications en cas de grossesse

→ Le valproate de sodium ne doit être utilisé que si absolue nécessité et en l’absence d’alternative.

→ Le lithium augmente légèrement le risque malformatif : il devra être arrêté entre la 4e et la 9e semaine d’aménorrhée. Si cela n’a pas été possible, une surveillance échocardiographique fœtale est nécessaire. Les patientes en âge de procréer doivent recourir à une contraception efficace pendant le traitement.

→ La carbamazépine doit être arrêtée en cas de grossesse en raison de son risque tératogène.

→ les antipsychotiques ne doivent être employés pendant la grossesse que si les bénéfices justifient les risques potentiels.

Cas des personnes âgées

Les principes du traitement d’un épisode maniaque chez une personne âgée sont identiques à celui d’un sujet jeune en prenant en compte l’évolution sous traitement des épisodes antérieurs. Les recommandations prévoient(5) :

→ l’adaptation de la posologie des traitements au patient, notamment au regard de la tolérance cardio-vasculaire et neurologique (risque de chutes) et de la clairance rénale (lithium) et/ou de la fonction hépatique (divalproate de sodium, valpromide) le cas échéant ;

→ la vérification de la présence de comorbidités, notamment une maladie neurologique ou un diabète ;

→ la vérification des interactions potentielles avec d’autres traitements concomitants (AINS, diurétiques) ;

→ la prescription de lithium à des posologies faibles, avec une mesure de la lithémie et de la créatinémie au moins deux fois par an, et systématiquement en cas de déshydratation aiguë ou de confusion mentale.

Info+

→ Pour bénéficier de l’ALD 23 « Affections psychiatriques de longue durée », trois critères médicaux doivent être réunis : diagnostic de trouble bipolaire selon les critères de la classification de l’OMS (CIM 10) ; ancienneté du trouble supérieure à un an au moment de la demande ; conséquences fonctionnelles majeures du trouble (handicap dans la vie quotidienne).

Interview

Les centres experts proposent des outils diagnostiques plus complets qu’une simple intuition clinique”

Professeur Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du centre expert troubles bipolaires à Marseille (13)

Pourquoi diagnostiquer le type de trouble bipolaire ?

En fonction de la forme du trouble bipolaire, de la polarité prédominante, maniaque ou dépressive, le choix du traitement médicamenteux sera différent. Lorsque les épisodes dépressifs dominent, la lamotrigine ou les antipsychotiques comme la quétiapine sont plus adaptées pour prévenir les récidives. Si la polarité maniaque domine, le lithium ou le valpromide seront préférés.

Quel est le rôle des centres experts dédiés aux troubles bipolaires(1) ?

Les neuf centres proposent des outils diagnostiques plus complets qu’une simple intuition clinique. Ils ont été créés par le ministère de la Santé pour aider les psychiatres en charge du patient mais ne s’y substituent pas. Après une première consultation spécialisée, le patient est reçu pour un bilan durant une journée et demie en hôpital de jour par une équipe composée d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un neuropsychologue et d’une infirmière. Ce bilan permet de confirmer ou d’infirmer le diagnostic de trouble bipolaire et surtout d’en préciser le type.

(1) Liste des centres experts sur le site de l’association FondaMental : www.fondation-fondamental.org

À RETENIR

→ Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur chronique et son traitement doit être envisagé à vie.

→ Une bonne compréhension de la maladie et les soutiens non médicamenteux de type psychothérapie, psychoéducation ou groupe de parole, sont une aide précieuse pour l’observance difficile du traitement.

→ Le diagnostic complexe sera de préférence posé par un spécialiste.

→ Les traitements médicamenteux indiqués dans le trouble bipolaire ne doivent pas être interrompus brutalement, au risque d’une rechute plus grave que l’état antérieur.

→ La prise en charge à domicile est la règle, l’hospitalisation peut être nécessaire lors des épisodes aigus.

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