La photosensibilisation médicamenteuse - Porphyre n° 524 du 28/06/2016 - Revues
 
Porphyre n° 524 du 28/06/2016
 

Savoir

Le point sur…

Auteur(s) : Caroline Bouhala

Certains médicaments peuvent entraîner des réactions cutanées exagérées lorsque le patient s’expose au soleil. Des conseils adaptés lors de la délivrance sont primordiaux.

Qu’est-ce que c’est ?

• La photosensibilisation médicamenteuse est une réaction cutanée exagérée et/ou anormale à la lumière, liée à la prise d’un médicament. Recherchée dans la puvathérapie, elle reste le plus souvent un événement indésirable pour lequel l’officinal a un rôle important à jouer dans la prévention. La photosensibilité représente environ 8 % des effets indésirables cutanés médicamenteux(1).

• Les médicaments photosensibilisants, ou leurs métabolites, sont des chromophores exogènes, c’est-à-dire qu’ils sont capables d’absorber l’énergie du rayonnement solaire ou photons. La molécule médicamenteuse, dont la structure chimique a des caractéristiques d’absorption particulières, devient alors réactive et cause de façon directe ou indirecte les lésions observées.

• Pénétrant plus profondément dans la peau que les UVB, les UVA sont le plus souvent responsables des photosensibilisations, mais UVB et rayonnement visible sont parfois en cause.

• Deux types de réactions se distinguent selon le mécanisme physiopathologique : la phototoxicité et la photoallergie, mais en pratique, de nombreuses substances photosensibilisantes sont capables d’induire les deux à la fois.

Phototoxicité

C’est le mécanisme le plus souvent en cause.

• Comment ? C’est le résultat de la toxicité propre du médicament activé par le rayonnement solaire qui crée des dommages cellulaires, notamment par la production de radicaux libres conduisant à un abaissement du seuil de tolérance de la peau au soleil.

Elle s’observe chez tous les patients dans les mêmes conditions d’exposition, et ce dès la première utilisation du médicament. Elle est « dose-dépendante » car fonction de la quantité de médicament présente dans le sang et de l’intensité de l’exposition aux UV. Une diminution des doses peut donc réduire la toxicité. À noter : le phototype ou d’autres facteurs environnementaux peuvent influencer la réaction.

• Quels signes ? Après une exposition habituellement bien tolérée, le patient présente la plupart du temps un « super coup de soleil », avec sensation de brûlure, bien délimité aux zones exposées. Il peut aussi y avoir des lésions bulleuses et une grande fragilité cutanée, une onycholyse – décollement distal douloureux de la tablette de l’ongle – ou des dyschromies – colorations anormales de la peau. Une pigmentation résiduelle après l’exposition est possible.

• Quelle évolution ? Guérison en général spontanée en huit à dix jours, sous réserve d’arrêter l’exposition solaire et/ou le médicament, mais elle peut mettre des mois à disparaître.

• Quels médicaments sont le plus souvent impliqués ? Cyclines, quinolones, phénothiazines, AINS, amiodarone, hydrochlorothiazide…

Photoallergie

• Quel mécanisme ? L’activation lumineuse du médicament entraîne sa liaison à des protéines formant un photoantigène reconnu comme étranger par le système immunitaire. Elle se manifeste donc plus tardivement que la phototoxicité lors de la première prise. En revanche, en cas de ré-administration, une réaction peut s’observer rapidement. Une faible exposition suffit.

• Quels signes ? La distinction avec la phototoxicité est souvent difficile. Les lésions sont plus diverses, généralement à type d’eczéma et plus rarement d’urticaire. En cas de traitement par voie générale, les lésions peuvent s’étendre au-delà des zones exposées au soleil, tout en restant prédominantes au niveau des zones exposées avec respect des plis. À noter : le recours répété à un médicament responsable de photoallergie peut conduire, de façon très rare, à une dermatite actinique chronique, forme la plus sévère de photosensibilisation. Persistante depuis plus d’un an, elle est associée à un prurit intense.

• Les plus incriminés ? AINS topiques, fibrates, sulfamides, quinine, chloroquine, etc.

Principaux responsables

• Cyclines : phototoxicité dose-dépendante avec des lésions à types de brûlures solaires et de photo-onycholyse après UVA surtout. Lesquelles ? Doxycycline surtout, quelques photo-onycholyses avec minocycline. À savoir : pour 200 mg de doxycycline, 40 % de réaction de photodermatose sont observés(2).

• Quinolones : réaction surtout phototoxique après exposition aux UVA ou à la lumière visible. Lesquelles ? Loméfloxacine, péfloxacine > ciprofloxacine > enoxacine, norfloxacine, ofloxacine. À savoir : poursuivre l’éviction solaire quelques jours après selon la demi-vie d’élimination de la molécule (deux jours pour lévofloxacine, quatre pour péfloxacine, trois pour loméfloxacine…).

• Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

→ Les topiques sont majoritairement responsables de photoallergie aux UVA. Lesquels ? Kétoprofène surtout. Nécessite une protection solaire pendant et jusqu’à deux semaines après l’arrêt du traitement. Un risque de réactions croisées existe avec des molécules de structures semblables, tels l’acide tiaprofénique, le fénofibrate, les filtres solaires à base d’oxybenzone, mais pas avec les autres AINS. Depuis 2001, un pictogramme d’alerte du risque de photosensibilité a été ajouté sur les notices et conditionnements. Les autres AINS topiques donnent beaucoup plus rarement des accidents allergiques mais des précautions sont à prendre.

→ Par voie systémique. Ils sont plutôt responsables de réactions phototoxiques. Lesquels ? Acide tiaprofénique (Surgam, Flanid…), kétoprofène (Bi-Profénid), piroxicam (Brexin, Feldene) et naproxène. À savoir : risque de réactions croisées entre piroxicam et le thiomersal de structure proche.

• Amiodarone : entraîne très fréquemment une photoxicité, 7 % à plus de 50 % des patients selon les sources. Typiquement, un coup de soleil allant de l’érythème à la brûlure apparaît rapidement au détour d’une exposition solaire habituellement bien tolérée. Survient aussi fréquemment une hyperpigmentation des zones découvertes – brun doré pour des doses faibles, gris ardoise ou mauve pour des doses élevées –, surtout après une longue période, 18 à 30 mois de traitement. Cette dernière est très lentement réversible après l’arrêt, en 10 à 24 mois. À savoir : l’intensité des réactions semblant corrélée à la dose quotidienne et cumulée du médicament, une diminution du dosage peut améliorer la situation.

• Antiacnéiques

→ Topiques (peroxyde de benzoyle, rétinoïdes) : le soleil génère une irritation supplémentaire de la peau déjà irritée par le traitement. Néanmoins, le Pr Bédane, dermatologue à Limoges (87) et expert en photodermatologie rassure : « On peut poursuivre le traitement durant l’été mais avec certaines précautions ». Éviter, dans la mesure du possible, l’exposition au soleil. Lors d’une journée à la mer, par exemple, ne pas appliquer le topique la veille, le jour même et le lendemain du jour en question.

→ Isotrétinoïne par voie orale : malgré la fréquence très rare de photosensibilisation, éviter l’exposition intense au soleil ou aux UV et utiliser une crème solaire à haut coefficient de protection.

• Phénothiazines : le plus souvent phototoxiques avec brûlures, mais aussi photoallergies sous UV A et B. Lesquelles ? Alimémazine, chlorpromazine, prométhazine, etc. La chlorpromazine (Largactil) cause des photodermatoses chez 3 à 25 % des patients. Une pigmentation gris ardoise ou mauve des zones photo-exposées peut apparaître chez ceux traités au long cours par de très fortes doses : > 400 mg par jour durant au moins un an. À savoir : attention aussi aux phénothiazines antiémétiques (métopimazine) et antitussives (oxomémazine).

• Sulfamides : connus pour leur potentiel photo-sensibilisant. Lesquels ? Antibiotiques (Bactrim…), diurétiques de structure sulfamide (furosémide) et hypoglycémiants (glibenclamide, gliclazide…)

• Autres : griséofulvine, antidépresseurs inhibiteurs de la recapture à la sérotonine, antimitotiques (5 FU, etc.), voriconazole, quinine, fibrates, méthotrexate avec cas de réactivation de brûlures solaires chez des patients n’étant plus exposés au soleil, etc.

Diagnostic

• Il repose surtout sur la clinique, avec aspect et topographie des lésions, et l’interrogatoire, qui recherche la prise d’un médicament connu comme photosensibilisant et une exposition solaire sans protection.

• En cas de doute, une exploration photobiologique peut être réalisée dans un centre spécialisé doté d’un simulateur solaire, surtout dans les photoallergies : évaluation de la dose érythémateuse minimale (DEM) pour chiffrer la sensibilité aux UV, phototests itératifs pour reproduire les lésions et éliminer une lucite idiopathique et photopatch tests avec contact du photoallergène suspect puis irradiation UVA et UVB. Cette exploration détermine le mécanisme en cause et la longueur d’onde incriminée afin d’adopter le comportement approprié et de prévenir les réactions croisées.

Mesures de prévention

• Éviter autant que possible les médicaments photosensibilisants en cas d’exposition prévue au soleil pendant l’été, aux sports d’hiver, etc., et encore plus les associations de plusieurs médicaments photosensibilisants.

• Si la prise ne peut être évitée, prévenir mais « sans affoler les patients, qui risquent de ne plus prendre leur traitement », explique le Pr Bédane. « Rappeler simplement les règles de base de la photoprotection : éviter les expositions, particulièrement entre 12h et 16h, privilégier manches longues, chapeau et lunettes, et compléter par un écran solaire présentant une bonne protection contre les UVB et les UVA, c’est-à-dire avec un indice de protection UVB/UVA inférieur ou égal à 3 » (voir encadré p. 43). Ces précautions sont à suivre pendant la durée du traitement et parfois quelques jours après en fonction de la demi-vie du médicament. « Par précaution, dire à tout patient polymédicamenté de faire attention aux expositions solaires trop intenses ».

• Les vêtements sont de meilleurs photoprotecteurs que les crèmes solaires.

• Choisir un indice adapté : « Avec un phototype entre 2 et 4, je conseille une crème avec un indice 30 plutôt que 50 car l’important est d’en mettre en quantité suffisante toutes les deux à trois heures. Or, plus l’indice est élevé, plus il y a de filtres, ce qui rend la crème plus collante. Le patient risque de ne plus l’utiliser. Mieux vaut appliquer correctement un indice 30, qui est déjà un indice fort, plutôt que mal employer un indice 50 », explique le Pr Bédane. Le bronzage est un « assez mauvais photoprotecteur. On considère qu’il équivaut à un indice d’écran solaire entre 4 et 6, ce qui n’est pas suffisant ».

• Se protéger même derrière une vitre car le verre arrête les UVB, mais pas les UVA. À savoir : plus le verre est épais et/ou teinté dans une couleur chaude, plus il arrête les UVA.

• Attention aux sources artificielles d’UV : salons de bronzage, lampes halogènes de forte intensité, lampes des blocs opératoires ou des cabinets dentaires, etc.

Conduite à tenir

• Arrêter le médicament, si possible. Contacter le médecin qui jugera de cette possibilité.

→ En cas de phototoxicité : le médicament peut être poursuivi à condition de diminuer la posologie, d’éviter l’exposition au soleil, d’ajuster la prise, par exemple en prenant le médicament le soir si la demi-vie est courte…

→ En cas de photoallergie : éviter de réutiliser le médicament car, une fois sensibilisé, les symptômes peuvent être importants, même pour de faibles posologie et exposition solaire.

• Proposer si besoin un traitement apaisant

→ En cas de brûlure : « Une fois le coup de soleil installé, on ne peut plus faire grand-chose. Des émollients peuvent être proposés pour adoucir la peau. En cas de brûlure importante, des corticoïdes de niveau faible peuvent être utilisés quelques jours, voire un peu d’aspirine pour son effet anti-inflammatoire », suggère le Pr Bédane.

→ En cas de réaction allergique : antihistaminique et/ou corticoïdes.

• Déclarer l’incident : « Faire une déclaration de pharmacovigilance, même si le risque est connu car cela permet d’avoir une idée précise de l’incidence de ces réactions », recommande le Pr Bédane.

Remerciements au Pr Bédane, dermatologue à Limoges (87), expert en photodermatologie, et au Dr J.-P. Cesarini, fondateur de l’association Sécurité solaire.

(1) Manage drug induced photosensitivity through prevention and discontinuation of the causative agent once an event has occured, drugs ther perspect 2012.

(2) Les photodermatoses dues aux médicaments, La revue Prescrire, n° 205, avril 2010, et Drug Induced Photosensibility, Drug Saf 2011.

Les ultraviolets

Le rayonnement ultraviolet (UV), non visible, fait partie du spectre électromagnétique émis par le soleil avec la lumière et la chaleur. Il est divisé en trois bandes : les UVA (315-400 nm), les UVB (280-315 nm) et les UVC (100-280 nm). En traversant l’atmosphère, seuls les UVA et un peu d’UVB atteignent la terre. → Les UVB sont absorbés surtout par l’épiderme (coups de soleil++). → Les UVA pénètrent plus profondément dans le derme (vieillissement cutané++). → Le niveau d’UV varie selon les saisons (maximal d’avril à septembre) et la couverture nuageuse ; le pic a lieu quand le soleil est au plus haut dans le ciel. → L’indice d’UV ou Index UV est une échelle standardisée internationale (organisations de la santé et de la météo). De 1 à 11, il exprime l’intensité des UV et le risque pour la santé. Plus il est élevé, plus le risque est important.

La protection solaire

→ Le facteur de protection solaire (FPS), ou SPF (Sun protection factor), indique le niveau de protection du produit solaire contre les dommages induits par les UVB, coups de soleil surtout. Il s’exprime avec un chiffre mentionné sur les étiquettes : 6, 10, 25, 50… Ces chiffres expriment une moyenne de niveau de protection à moduler selon le phototype.

→ Chaque catégorie de protection est définie par un FPS et une protection minimale contre les UVA, dont le coefficient correspond au moins au tiers du SPF indiqué sur le conditionnement.

→ Aucun produit solaire ne filtre 100 % des UV. Il reste toujours des UV transmis, même avec un FPS élevé.

Quatre types de protection(1)

→ Faible

6 SPF

10 SPF

→ Moyenne

15 SPF

20 SPF

25 SPF

→ Haute

30 SPF

50 SPF

→ Très haute

50+ SPF

(1) Recommandations de bon usage des produits de protection solaire à l’attention des utilisateurs, ANSM, juillet 2011.

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