Les toxidermies - Porphyre n° 523 du 27/05/2016 - Revues
 
Porphyre n° 523 du 27/05/2016
 

Savoir

Le point sur…

Auteur(s) : Florence Leandro

Les toxidermies sont des réactions cutanées aux médicaments dont les formes sont très variées. Des classes thérapeutiques et des patients sont plus à risque que d’autres, mais l’essentiel est de rester en alerte et de savoir repérer l’urgence.

Définitions

• Une toxidermie correspond à l’ensemble des atteintes et complications cutanéo-muqueuses provoquées par la prise d’un médicament par voie systémique.

→ Sont des toxidermies : les alopécies sous AVK, les atteintes unguéales sous tétracyclines, les effets indésirables cutanés des thérapies ciblées anticancéreuses, tels le syndrome mains-pieds et les folliculites, l’aggravation ou l’induction médicamenteuse de dermatoses telles que l’acné ou une rosacée sous corticoïdes…

→ Ne sont pas des toxidermies : les effets indésirables cutanés dus à des médicaments topiques tels qu’un eczéma de contact sous antibactérien local, une photosensibilité sous AINS topique, des vergetures sous dermocorticoïdes à fortes doses et au long cours…

• C’est un accident iatrogène fréquent : 1 à 3 % des utilisateurs de médicaments courants, dont l’expression et la gravité sont très variables.

Situations à risque

• Les personnes les plus à risque : les sujets âgés polymédiqués, insuffisants rénaux et/ou hépatiques et les immunodéprimés. Les femmes sont plus touchées que les hommes. Les toxidermies sont rares chez l’enfant mais possibles (photo). Des facteurs intrinsèques peuvent être en cause, notamment une prédisposition génétique, mais l’atopie n’est pas un facteur favorisant.

• Principales classes médicamenteuses impliquées : anti-infectieux (bêta-lactamines, fluoroquinolones, sulfamides, macrolides…), AINS et notamment les oxicams (piroxicam…), anti-épileptiques (carbamazépine, acide valproïque…), anticancéreux, l’allopurinol… En fait, tout médicament peut être impliqué. Les professionnels de santé doivent rester vigilants, notamment face à de nouveaux tableaux cliniques susceptibles d’apparaître avec des molécules récentes.

Physiopathologie

Les mécanismes en cause ne sont pas entièrement connus. Environ 20 % des toxidermies seraient dues à des mécanismes immunologiques dose-indépendants, telle l’anaphylaxie (voir lexique). La plupart des toxidermies résultent donc de mécanismes non immunologiques ; ce sont des réactions :

→ prévisibles pharmacologiques ou toxiques doses-dépendantes : surdosage, intolérance, toxicité cumulative ou retardée, effet secondaire connu, tel le caractère photosensible de certaines molécules ;

→ imprévisibles : réaction idiosyncrasique (voir lexique) ou anaphylactoïde, c’est-à-dire mimant le mécanisme allergique de l’anaphylaxie mais sans mise en jeu d’immunoglobulines E.

Toxidermies bénignes

Elles représentent 90 % des cas.

• L’exanthème maculo-papuleux (EMP) ou rash : appelée « érythème du neuvième jour », cette éruption souvent prurigineuse est associée à des lésions très polymorphes (photo 2).

• L’urticaire : papules mobiles, fugaces et prurigineuses.

• L’érythème pigmenté fixe (EPF) : début brutal avec prurit et brûlures, puis apparition de plaques arrondies infiltrées et douloureuses. L’EPF est la seule maladie dont la cause est exclusivement médicamenteuse.

• La photosensibilité : distinguer phototoxicité avec brûlures, « coups de soleil » limités aux zones exposées, et photoallergie, dont eczéma, urticaire et avec possible extension aux zones couvertes (à lire dans notre prochain numéro).

Toxidermies graves

Il s’agit principalement de :

• l’angio-œdème, ou œdème de Quincke, et du choc anaphylactique : stades avancés de l’anaphylaxie. L’œdème de la glotte peut entraîner une mort par asphyxie ;

• la pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG) : début très brutal et fébrile, avec érythème étendu qui se recouvre de petites pustules ;

• le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms (Dress) : tableau tardif (deux-six semaines) caractérisé par des lésions très étendues, de la fièvre, adénopathies et œdème du visage ;

• la nécrolyse épidermique toxique (NET) : toxidermie la plus grave, marquée par des décollements bulleux, une nécrose de l’épiderme et des atteintes muqueuses importantes, notamment des yeux. L’étendue finale des lésions cutanées, évaluée en pourcentage de la surface corporelle, permet de classer la maladie comme syndrome de Stevens-Johnson (< 10 %), syndrome de Lyell (≥ 30 %, voir photo 1) ou forme de transition (10-29 %) ;

• l’érythème polymorphe majeur : proches des syndromes bulleux précédents, les lésions présentent des zones concentriques plus ou moins rouges et un aspect typique en cible ou en cocarde, principalement sur les extrémités et le visage. Cette maladie peut aussi être d’origine infectieuse, notamment chez l’enfant.

Diagnostic

• Essentiellement clinique. Des examens complémentaires biologiques, histologiques, allergologiques sont parfois réalisés mais permettent rarement de confirmer le rôle d’un médicament.

• La démarche d’imputabilité consiste à établir l’éventuel lien de causalité entre une prise médicamenteuse et la survenue d’un effet indésirable. Elle comporte des arguments issus de la littérature, du tableau clinique et de la chronologie. En général, les médicaments impliqués ont été débutés dans les trois semaines précédant l’accident ; les signes disparaissent à l’arrêt du traitement et sa reprise fortuite entraîne un tableau plus sévère.

• Le diagnostic différentiel est essentiel : par exemple, les médicaments ne sont impliqués que dans 10 % des urticaires aiguës, toutes les autres causes possibles sont à rechercher.

Prise en charge

• L’arrêt du médicament responsable est la mesure principale, avec éventuellement anti-histaminique pour une urticaire, adrénaline et corticoïdes pour un choc anaphylactique, soins « grands brûlés » pour une NET…

• Si le traitement incriminé doit être repris, sa réintroduction se fera sous contrôle hospitalier. Si le traitement est indispensable – anticancéreux –, des mesures symptomatiques sont prises pour maîtriser au maximum cet effet indésirable.

Rôle de l’équipe officinale

• Prévenir la photosensibilisation avec : amiodarone, tétracyclines, fluoroquinolones, rétinoïdes oraux, alprazolam, furosémide… Conseiller crème solaire haute protection, vêtements couvrants, chapeau et lunettes.

• Une vigilance accrue : prendre conscience du risque de toxidermie et l’inclure dans l’acte de dispensation. Pour cela, renforcer la surveillance des interactions, notamment celles susceptibles d’entraîner un surdosage, et favoriser l’observance – éviter qu’un patient renouvelle son ordonnance de tétracycline en plein été.

• En cas de toxidermie : conseiller de prendre des photos de l’éruption tant qu’elle est présente ; aider à lister tous les médicaments consommés lors des dernières semaines.

• Repérer les signes de gravité et orienter vers une consultation médicale en urgence : généralisation de l’éruption, lésions bulleuses et/ou douloureuses, signes d’atteinte des muqueuses, notamment oculaires, signes généraux avec fièvre, altération de l’état général, polyadénopathies, patients fragilisés.

• Si nécessaire, déclarer le cas à la pharmacovigilance (voir encadré). Si le rôle d’un médicament est avéré, cette molécule – et éventuellement sa classe – sera contre-indiquée par écrit par le médecin et notée dans le dossier patient.

• S’informer. Skin Drug Reactions Base est une application gratuite qui répertorie plus de 250 toxidermies. Elle permet une recherche par DCI (environ 1 500) ou par symptôme (environ 3 000). Conçu par Pierre Fabre Dermo-cosmétique mais co-construit et mis à jour toutes les semaines avec des dermatologues, cet outil est en lien direct avec les sites de formation continue en dermatologie Club Dermaweb (médecins) et Club Pharmaweb (officinaux). Elle est aussi disponible hors connexion.

Avec l’aimable relecture du Dr Stéphanie Mallet, dermatologue, praticien hospitalier à l’hôpital de la Timone, Marseille (13).

La pharmacovigilange

→ La pharmacovigilance surveille les médicaments et vise à prévenir le risque potentiel ou avéré d’effet indésirable (EI) résultant de leur utilisation dans la « vraie vie », où des EI rares et non repérés lors des essais cliniques peuvent survenir.

→ Elle dépend de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

→ Elle repose entre autres sur la notification spontanée des EI, par les professionnels de santé et notamment médecins, pharmaciens, sages-femmes, dentistes, pour lesquels cette obligation est légale, les patients et les associations de patients, via des documents spécifiques.

→ Les toxidermies graves ou non connues doivent être notifiées à l’un des 31 centres régionaux de pharmacovigilance (www.ansm.sante.fr, rubrique « Déclarer un effet indésirable »).

→ Les exanthèmes maculo-papuleux représentent 40 à 60 % des notifications de toxidermies, les urticaires 20 à 30 %(1)

(1) Collège des enseignants en dermatologie de France, 2012.

Lexique

→ Anaphylaxie : ensemble des symptômes liés à une libération spécifique d’histamine chez un patient préalablement sensibilisé, des troubles cutanéo-muqueux (urticaire) à une atteinte multiviscérale (choc anaphylactique) mettant en jeu le pronostic vital.

→ Idiosyncrasie : chaque individu réagit différemment selon ses caractéristiques, notamment des anomalies génétiques particulières.

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