Trop dur de parler aux jeunes - Porphyre n° 517 du 31/10/2015 - Revues
 
Porphyre n° 517 du 31/10/2015
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

S’adresser à un ado. En phase d’émancipation parfois complexe, l’adolescent est perçu comme un patient « ovni ».Des clés pour contacter sa planète, installer la confiance et le guider dans l’autonomie.

Qui est cet ado ?

L’adolescence est une phase du développement transitionnel entre l’enfance et l’âge adulte. Sa survenue entre 11 et 20 ans, sa durée et ses perturbations sont très variables selon les individus.

L’âge du raisonnement

Selon les stades de développement cognitif décrits par le psychologue Jean Piaget, l’adolescent entre dès 11 ans dans le stade des opérations formelles : il est capable de vrais raisonnements et d’une compréhension cohérente de sa maladie, de ses causes physiologiques et interférences psychologiques. Vers 12-13 ans, il acquiert une pensée de type adulte, sans en avoir la maturité, et peut émettre des théories sur sa santé.

La grande transition

L’adolescence est marquée par des modifications physiques (puberté parfois difficile à accepter) et psychiques très préoccupantes : deuil de l’enfance, processus de séparation avec les parents, crise identitaire, accession à l’autonomie… Le besoin d’indépendance se heurte cependant à la dualité « affirmer sa propre identité/ faire partie du groupe ».

Une période à risque

La construction identitaire peut s’appuyer sur l’opposition aux adultes et l’expérimentation des limites, notamment via des conduites à risque : alcool, drogues… mais aussi inobservance thérapeutique. Plus enclin à la récompense immédiate, l’adolescent n’est pas toujours réceptif aux messages de prévention comme « Si tu fais ça aujourd’hui, ta santé sera meilleure demain… »

Il a des besoins

L’adolescent doit être accompagné dans sa quête d’autonomie pour lui permettre de se réapproprier sa maladie/son traitement/sa santé, jusque-là domaine de ses parents. L’enjeu du dialogue est de l’aider à prendre de bonnes décisions sans les lui imposer.

Capter son intérêt

Tu ou vous ?

Cela dépend de l’âge, du fait que l’ado soit connu ou non de l’officine, mais aussi de votre propre aisance. Le plus simple est de le laisser choisir : « Tu préfères que je te dise tu ou vous ? Qu’est-ce qui te met le plus à l’aise ? »

Lui d’abord !

• Quand l’ordo ou la demande concerne l’ado accompagné d’un proche, il est important de sortir de la relation triangulaire parent-enfant-professionnel de santé pour lui donner la première place. Le saluer en priorité et s’adresser à lui directement, si possible en le nommant : « Bonjour, c’est toi Nathan ? Cette ordonnance/demande te concerne, nous allons voir ça ensemble ».

→ S’il reste en retrait, l’inviter à s’impliquer : « Tu peux t’approcher de moi/passer devant, ce sera plus facile pour discuter ».

→ Si le parent vient seul : « Comment se passe le traitement de Théo en ce moment ? Ce serait bien qu’il vienne le chercher le mois prochain pour qu’on fasse le point ».

Qui suis-je pour lui ?

Jusque-là, l’officinal était pour l’ado une « blouse blanche » dont les interlocuteurs privilégiés sont les parents, d’autant plus si la maladie chronique évolue depuis l’enfance. Se présenter et rappeler sa fonction amorce le tournant de l’autonomie : « Je suis Véronique, préparatrice en pharmacie. Je suis là pour t’expliquer ton traitement mais je peux aussi répondre à des questions d’ordre général sur ta santé… »

Ancrer la confiance

Proposer la confidentialité

L’ado peut se sentir gêné d’aborder certains sujets s’il est accompagné et/ou si c’est la pharmacie familiale habituelle.

• Rappeler le secret médical, à l’ado, mais aussi à son accompagnant : « Tu le sais sûrement, comme tous les professionnels de santé, je suis tenu au secret professionnel, ce que tu me dis reste entre toi et moi ».

• Recevoir l’ado seul : proposer un tête à tête, « Je vais d’abord discuter avec toi quelques minutes dans cet espace là-bas ». Inviter les parents à patienter : « Bien sûr, je reprendrai avec vous les points qui vous questionnent dans un deuxième temps ».

Rester ouvert

L’adolescent, parfois réticent à se confier, le sera d’autant plus s’il se sent jugé.

• Éviter les transferts : laisser de côté ses représentations de l’adolescence, et ses convictions qui peuvent gêner la considération de l’ado en tant qu’individu. Éviter : « À ton âge, je gérais moi-même mon traitement/je ne faisais pas une histoire de quelques boutons/j’étais loin de penser à la pilule… »

• Attention aux préjugés qui enferment dans un stéréotype et sont un manque de reconnaissance de l’ado et de ses préoccupations : « À ton âge, on a autre chose en tête/on ne pense qu’à s’amuser… »

Garder de la distance

Bien qu’une part importante d’affectif vous lie parfois à votre adolescence, gardez une place d’adulte neutre, professionnel, bienveillant, sans tomber dans le copinage : « À moi, tu peux tout me dire, je suis passé par là », « À ton âge, j’ai fait les 400coups au collège… »

Lever les freins

S’exprimer avec un adulte n’est pas encore toujours naturel pour l’ado, a fortiori quand il s’agit de questions de santé personnelles : pilule, préservatif, acné…

Fille ou garçon

La question du genre peut avoir une importance cruciale pour dénouer le dialogue : « Te sens-tu à l’aise avec moi pour aborder ce sujet ? Préfères-tu que j’appelle mon collègue/ma collègue avec qui tu parleras plus facilement ? »

Amorcer sur le général

Pour le détendre et montrer son intérêt, il peut être utile d’amorcer le dialogue par des questions d’ordre général : « Ça va bien le lycée ? Tu es en quelle classe ? Tu as pris des options ? Tu fais du sport ?… »

Décrypter

• Un motif caché : il n’est pas rare qu’un motif de visite cache une autre demande. « On a changé mon traitement contre l’acné mais ce n’est pas celui que je voulais… » peut ainsi cacher une demande de contraceptif. Sonder ses préoccupations réelles en ouvrant le dialogue : « À part ça ? Comment te sens-tu en ce moment ? Est-ce que tu voudrais me poser d’autres questions ? »

• Des attitudes : un mutisme, des gestes d’impatience, une agressivité sont des messages cachés sur lesquels on peut rebondir avec « Tu n’es pas obligé de me parler mais si tu veux aborder un autre sujet, je t’écoute… », « On a le droit d’être en colère quand on est malade, est-ce que c’est ce que tu ressens ?… »

Soutenir l’autonomie

Explorer ses représentations

Il est important de sonder ponctuellement la perception qu’a l’ado de sa santé, d’un traitement, de la maladie : « Beaucoup de jeunes disent avoir du mal à suivre ce traitement tous les jours, est-ce difficile pour toi ? », « On dit que le traitement de fond de l’asthme ne doit pas être interrompu. Combien de fois l’as-tu oublié cette semaine ? »

Accompagner ses choix

• Reformuler son point de vue/une difficulté : « Tu penses qu’une prise le midi est trop difficile à gérer au lycée et c’est pour ça que tu risques d’oublier ? »

• Présenter les options : « Il est possible de laisser une boîte à l’infirmerie, de le glisser dans ta poche pour le prendre discrètement à la cantine ou de rentrer chez toi le midi… Et toi, comment penses-tu pouvoir faire ? » Éviter les attitudes trop directives, « Tu dois », « C’est obligatoire de… », l’ado y est déjà confronté quotidiennement à la maison et avec ses profs ! En donnant des choix, on lui permet de devenir acteur et de mieux accepter.

• Guider la réflexion : « Qu’est-ce qui te semble envisageable/le moins contraignant ? » Il faut aussi accepter le conflit ou la critique, mode de construction de l’ado par l’opposition (« Ce n’est pas vous qui prenez ce médicament depuis des mois, je ne suis pas obligé de vous écouter… »). En réponse, ne pas s’offusquer mais signifier son désaccord avec empathie : « Je comprends que c’est parfois décourageant de prendre des comprimés chaque jour mais, en tant que professionnel de santé, je ne suis pas d’accord avec ta décision ».

• Valoriser : « Je te crois capable de comprendre que ton traitement est important pour ta santé et de décider d’une stratégie qui te convient pour le prendre ».

Miser sur les ressources

En plus, et non à la place, du dialogue, l’encourager à trouver des ressources propres d’information. « Peut-être as-tu d’autres problèmes en ce moment, connais-tu ces documents ? » si l’on soupçonne des soucis sous-jacents. Lui remettre Questions d’ados et Comment ça va, disponibles sur le site www.inpes.sante.fr, Et toi, comment tu vas de l’association Sparadrap… Et l’inciter à surfer sur le Net : Fil santé jeune, Drogues info service…

Donner suite

Laisser à l’ado le temps de cheminer et lui montrer votre disponibilité : « Je suis disponible quand tu veux pour en reparler, nous pouvons prendre rendez-vous la semaine prochaine… »

Avec la collaboration du Dr Catherine Devoldère, pédiatre au CHU d’Amiens (80) et présidente de l’association Sparadrap.

Un outil pour vous

→ Entre nous est un guide publié par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) pour les professionnels de santé en situation d’entretien individuel avec les adolescents. Illustré de cas concrets au cabinet médical et à l’officine, il aide à entrer en relation et à créer les conditions favorables à la mise en œuvre d’une démarche éducative autour de l’adolescent. Ses cinq parties (théorie, pratique, illustrations, supports et ressources) sont une base solide de réflexion pour adapter votre dialogue. À télécharger sur http://bit.ly/1QyclnR

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