Elle est louche cette ordo - Porphyre n° 516 du 03/10/2015 - Revues
 
Porphyre n° 516 du 03/10/2015
 

EXERCER

Les mots pour…

Auteur(s) : Caroline Bouhala

Aborder une prescription suspecte. Analyser sans braquer, refuser si la fraude est avérée et, en cas de mésusage manifeste, notifier aux autorités et accompagner le patient sont impératifs.

Une ordonnance frauduleuse

Qu’est-ce que c’est ?

L’ordonnance frauduleuse a été modifiée ou créée dans un but de revente, de confort, de fraude à la Sécurité sociale ou de satisfaire une dépendance médicamenteuse. Pour la loi, toute falsification est un délit puni d’une peine maximale de trois ans de prison et 45 000 € d’amende (art. 441-1 du code pénal). Néanmoins, au comptoir, notre attitude s’adaptera à la gravité selon la santé publique :

• les fraudes « de confort » : ordonnance photocopiée, scannée ou raturée, par exemple pour ajouter la mention « non substituable » ou une boîte supplémentaire par « peur de manquer » ;

• les fraudes d’abus ou « de trafic » : ordonnance créée ou volée, identité usurpée ou fraude portant sur des produits psychoactifs.

Comment la reconnaître ?

Une fraude est souvent confondue par des écritures différentes, des ratures, des fautes d’orthographe… D’autres signes peuvent mettre la puce à l’oreille :

• présentation : rédaction sur papier libre, absence de numéro RPPS (Répertoire partagé des professionnels de santé) ou de téléphone du praticien ;

• contenu : posologies inhabituelles, absence de logique thérapeutique, chevauchement, médicaments connus pour leur potentiel d’abus et de dépendance ;

• profil patient : inconnu de la pharmacie, présentation au nom d’un tiers, absence de carte Vitale, règlement en espèces, comportement d’évitement, agressivité ou politesse ostentatoire…

Face à une fraude « de confort »

Mener l’enquête

• Un travail d’analyse est nécessaire car une ordonnance suspecte n’est pas forcément frauduleuse. Les outils à utiliser :

→ la fiche informatique : le patient est-il connu ? Sa fiche comporte-t-elle un message ? De quand date la dernière délivrance ? Les scans d’ordonnances permettent de comparer les écritures, les posologies habituelles… ;

→ le dossier pharmaceutique (DP) : s’il existe, il permet de vérifier l’historique.

L’interrogatoire

• Du patient : « Le médecin a augmenté les doses/a ajouté une ligne à la main ? Ne désire pas de génériques ? »… Sa réaction (gênée, fuyante, discours incohérent…) est un signal d’alerte.

• Du prescripteur : selon les bonnes pratiques de dispensation, en cas de doute quant à l’authenticité ou l’intégrité de l’ordonnance, l’officinal doit interrompre la dispensation et prendre contact avec le prescripteur : « Je me permets de vous déranger pour vérifier l’authenticité d’une ordonnance que me présente Mr X… »

Attention à l’attitude ! Le doute profite au patient, dont il faut garder la confiance :

→ rester neutre : éviter les attitudes/questions d’emblée accusatrices type grimaces, froncement de sourcils, « C’est bien votre médecin qui a marqué ça ? » ;

→ argumenter sur le fait d’appeler le prescripteur par des préoccupations sanitaires ou législatives : « Les doses sont plus élevées que les recommandations, j’aimerais vérifier qu’elles sont justifiées… », « Je ne peux pas présenter au remboursement sans confirmation de votre médecin »

Refuser la délivrance

• Un droit et un devoir : l’officinal ne doit délivrer une ordonnance que si elle émane d’un prescripteur autorisé (code de la santé publique, art. 5432) et doit refuser de délivrer « lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger » (art. R4235-61).

• Rester diplomate mais strict en exprimant clairement le refus : « Le médecin assure ne pas avoir augmenté les doses/ apposé cette mention, je ne peux donc pas délivrer l’ordonnance » sans entrer dans les détails ou la négociation.

→ Si le patient est agressif ou tente de négocier : rester calme, ne pas se laisser intimider, éviter de porter des jugements mais répéter fermement le refus ; le fraudeur, qui se sait en tort, n’insistera probablement pas. Si la situation s’envenime, demander au titulaire d’intervenir.

→ S’il minimise son acte – « C’est bon, je connais ce médicament » –, rappeler que toute modification d’une ordonnance est considérée comme un « faux et usage de faux » et puni par la loi.

• Tracer ses actions : le refus de délivrance doit être porté sur l’ordonnance (art. R4235-61), par exemple « Appel prescripteur le XX/XX/XX : refus de délivrance car médicament ajouté par le patient… » Si le médecin est injoignable, noter le problème rencontré : posologie ou prescripteur absent…, date et cachet de l’officine. Et la photocopier pour la traçabilité.

Face à une fraude d’abus ou « de trafic »

Photocopier d’emblée

C’est le bon réflexe pour en garder une trace si le patient refuse l’appel au prescripteur et tente de partir rapidement.

Renforcer l’enquête

• Consulter les alertes « fausses ordonnances » diffusées par l’Assurance maladie, l’ordre des pharmaciens et certaines ARS. La CPAM d’île-de-France propose par exemple sur son site le service Asafo (Alerte sécurisée aux fausses ordonnances).

• Vérifier l’identité : demander des papiers d’identité n’est autorisé légalement que si l’ordonnance comporte des stupéfiants (art. R5132.35 du CSP).

• Rester prudent lors de l’appel au médecin : l’identité peut être usurpée, parler au conditionnel « Si la personne face à moi est bien Mr X… »

Prévenir le titulaire

En cas de faute grave, avertir le titulaire, qui décidera de la conduite à tenir. Dans tous les cas, le refus est ferme mais non agressif : « Il nous est impossible de délivrer cette ordonnance qui n’a manifestement pas été rédigée par un médecin ».

Conserver l’ordonnance

Si possible, garder l’ordonnance présentée, sinon l’annoter : « Refus de délivrance car ordonnance non conforme/falsifiée/identité usurpée… » avec la date et le cachet de l’officine.

Accompagner le refus

Lorsque la fraude révèle un abus médicamenteux, engager le dialogue permet de désamorcer le conflit et d’assurer son rôle de conseil.

• Recentrer sur la santé : « Ressentez-vous le besoin d’augmenter les doses ? », « Votre traitement habituel ne vous convient plus ? »

• Chercher une alternative : « Je vous propose de reconsulter votre médecin/un médicament sans ordonnance en attendant… »

• Orienter : « Il me semble que votre situation requiert une prise en charge spécifique… » Remettre sur une fiche les coordonnées d’équipes d’addictologie (Elsa).

Notifier la fraude

• Au prescripteur : si cela n’a pas encore été fait.

• Aux autorités compétentes : il n’existe pas à ce jour de protocole unique. Selon les cas et leur gravité, on peut prévenir l’Agence régionale de santé (ARS), l’ordre des pharmaciens, l’Assurance maladie, les forces de l’ordre. Le titulaire peut éventuellement déposer une main courante.

Attention ! Lorsqu’il s’agit d’un abus médicamenteux ou d’une dépendance, le cas peut être notifié auprès du Centre régional d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (Ceip-Addictovigilance) du territoire concerné via le système de notification spontané par mail (www.addictovigilance.fr/nots-en-ligne), téléphone, fax ou courrier. La déclaration est obligatoire(1) dans les cas d’abus et de pharmacodépendance graves (susceptibles de mettre la vie en danger, ou d’entraîner une invalidité ou une incapacité, ou provoquant ou prolongeant une hospitalisation).

Assurer la traçabilité

• Sur le logiciel : ajouter un message sous le nom d’emprunt ou non, avec la date, un résumé de la situation et un scan de l’ordonnance.

• Dans un classeur : conserver une copie de l’ordonnance dans un dossier « fraudes ».

(1) Décret n° 99-249 du 31?mars 1999 relatif aux substances vénéneuses et à l’organisation de l’évaluation de la pharmacodépendance.

Bientôt une simplification des démarches ?

Dr Alain Delgutte, président du conseil central de la section?A de l’ordre des pharmaciens et titulaire d’une officine à Nevers (58)

Qui doit-on contacter face à une ordonnance falsifiée ?

Cela dépend des régions. Il n’existe pas d’unité dans le domaine des ordonnances falsifiées car le code de la santé publique n’en fait pas mention. L’ordre des pharmaciens travaille sur le sujet afin de mettre en place des recommandations, qui devraient voir le jour en fin d’année et ainsi permettre une simplification de ces démarches. Le développement de la prescription électronique me semble la piste la plus intéressante. Le médecin pourrait déposer sa prescription sur un serveur sécurisé auquel le pharmacien aurait accès via la carte Vitale. Le patient présenterait néanmoins toujours une ordonnance mais l’officinal pourrait en vérifier l’authenticité beaucoup plus facilement.

Osiap, un outil spécifique pour les psychotropes

→ Les Centres d’évaluation et d’information sur la pharmaco-dépendance (Ceip) organisent chaque année les enquêtes Osiap (Ordonnances suspectes, indicateur d’abus possible) en collaboration avec des pharmaciens volontaires, qui recueillent et leur transmettent de façon exhaustive en mai et novembre des ordonnances falsifiées contenant des substances psychoactives. Selon une enquête de 2013, les cinq substances détournées les plus citées étaient le zolpidem (30,7 % des cas), le bromazépam (10,7 %), l’alprazolam (9,7 %), le zopiclone (8,9 %) et la buprénorphine (8,4 %).

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