Le phénomène de Raynaud - Porphyre n° 515 du 04/09/2015 - Revues
 
Porphyre n° 515 du 04/09/2015
 

SAVOIR

Le point sur…

Auteur(s) : Nathalie Belin

Ce trouble vasomoteur des extrémités se révèle gênant mais bénin. Primaire, le phénomène de Raynaud s’appelle maladie ; secondaire, il se nomme syndrome. Dans ce cas, la recherche étiologique est indispensable pour la prise en charge.

Qu’est-ce que c’est ?

• Le phénomène de Raynaud est un trouble vasomoteur caractérisé par une ischémie (voir Lexique) paroxystique – c’est-à-dire brutale mais transitoire – des extrémités. C’est un acrosyndrome – qui signifie « atteinte des extrémités » – vasculaire paroxystique. Lié à un vaso-spasme des artérioles, le plus souvent déclenché par le froid, il touche essentiellement les doigts.

• La fréquence est élevée en France : 16,8 % de la population générale. Elle serait de 6 à 20 % chez la femme et de 3 à 12,5 % chez l’homme.

Maladie ou syndrome ?

Le phénomène de Raynaud primaire, appelé maladie de Raynaud, se distingue des phénomènes de Raynaud secondaires, appelés syndromes de Raynaud, plus rares et plus sévères.

Maladie de Raynaud

Forme la plus fréquente, avec 80 % des cas, elle touche le plus souvent les femmes. Les crises, bilatérales et symétriques, débutent classiquement avant 30/40 ans et ne s’accompagnent jamais de troubles trophiques à type d’ulcérations pulpaires ou de gangrène digitale.

Syndrome de Raynaud

De survenue plus tardive, après 40 ans, et plus fréquent chez les hommes, le syndrome de Raynaud est la manifestation d’une maladie générale ou locorégionale sous-jacente. Les crises, souvent pluriquotidiennes et unilatérales, tendent à s’aggraver avec le temps et peuvent s’accompagner de troubles trophiques.

On classe également parmi les phénomènes de Raynaud secondaires ceux qui ont une origine iatrogène.

Quels signes cliniques ?

Organes touchés

Le phénomène de Raynaud atteint essentiellement les doigts, mais pas forcément tous et parfois seulement une phalange. Les pouces sont généralement épargnés en cas de phénomène de Raynaud primaire. Les orteils, le nez, les oreilles ou le menton peuvent aussi être touchés mais c’est plus rare, notamment lors d’un phénomène de Raynaud primaire.

Crise

Classiquement, la crise, conséquence d’un arrêt circulatoire transitoire au niveau des artérioles, dure de quelques minutes à une heure. Elle se déroule en trois phases.

• Phase syncopale, matérialisée par la survenue d’une ischémie. Les doigts sont blancs, froids, insensibles.

• Phase asphyxique, caractérisée par une cyanose (les doigts sont bleus, voir Lexique) liée à la stagnation veineuse. Elle s’accompagne de dysesthésies : picotements, fourmillements…

• Phase hyperhémique due à la reprise de la circulation sanguine dans les territoires ischémiques. Les doigts sont rouges, tuméfiés et souvent douloureux.

En pratique, il est rare que ces trois phases soient présentes ; la survenue transitoire d’un changement de coloration des extrémités lors de l’exposition au froid suffit à évoquer le diagnostic.

Quels facteurs déclenchants ?

Les crises sont déclenchées :

• par le froid : un froid modéré mais humide est plus difficilement supporté qu’un froid sec ;

• par une variation brutale de température : passage d’une zone chaude à une atmosphère avec air conditionné, contact avec un objet froid… ;

• par les émotions ou le stress parfois.

Le tabac, qui provoque une vasoconstriction, est un facteur aggravant les crises.

Quelles sont les étiologies ?

Maladie de Raynaud

Des antécédents personnels ou familiaux d’acrosyndrome vasculaire (acrocyanose, voir Lexique, engelures) et/ou de migraines sont souvent retrouvés lors de la maladie de Raynaud.

Syndrome de Raynaud

Les causes à l’origine d’un phénomène secondaire sont nombreuses.

• Pathologies artérielles : cardiopathies emboligènes, artériopathies inflammatoires, pathologie professionnelle à l’origine d’une atteinte localisée aux artères de la main, dite syndrome des vibrations (maladie professionnelle liée à l’exposition à des engins vibrants tels que tronçonneuse, marteau-piqueur…).

• Maladies auto-immunes : sclérodermie systémique (voir Lexique page suivante), lupus érythémateux disséminé, syndrome de Gougerot-Sjögren (voir Lexique page suivante), polyarthrite rhumatoïde…

• Autres pathologies : hypothyroïdie, syndrome du canal carpien.

• Causes iatrogènes et toxiques. Il s’agit des médicaments susceptibles d’induire une vasoconstriction distale : bêta-bloquants même en collyre, dérivés de l’ergot de seigle, clonidine, ciclosporine, interféron alpha, estrogènes, chimiothérapies par toxicité directe sur l’endothélium (bléomycine, sels de platine, vinblastine) ; cannabis, amphétamines, cocaïne, LSD.

Comment se fait le diagnostic ?

Surtout clinique, il est basé sur l’interrogatoire.

Examen clinique

Il s’agit d’une observation des doigts ou des extrémités atteintes à la recherche de signes d’ischémie, de cicatrices de nécrose…, de sécheresse de la bouche, de la peau…, avec palpation des pouls et auscultation vasculaire…

En cas de doute, une photographie prise par le patient ou par son entourage de ses doigts, lors de la survenue d’une crise, peut permettre de visualiser l’état ischémique. Toute ulcération digitale ou nécrose des extrémités nécessite un avis spécialisé afin de rechercher une maladie causale.

Interrogatoire

→ Le recueil de certains éléments oriente vers une pathologie primaire ou secondaire : antécédents familiaux, âge de survenue, atteinte uni- ou bilatérale, présence ou non de signes trophiques.

→ Sont également recherchés la fréquence et l’intensité des crises, la prise de médicaments favorisants ou l’exposition à des microtraumatismes répétés, un éventuel tabagisme ou une toxicomanie (cannabis notamment), des signes évocateurs d’une maladie auto-immune (myalgies, arthralgies, altération de l’état général…) ou d’une hypothyroïdie (frilosité, constipation, prise de poids).

Examens complémentaires

La recherche d’anticorps antinucléaires et la capillaroscopie péri-unguéale sont systématiquement recommandées pour dépister une sclérodermie débutante car les éléments issus de l’examen clinique et de l’interrogatoire ne permettent pas de différencier formellement un phénomène de Raynaud primaire d’un phénomène secondaire.

• Anticorps antinucléaires : auto-anticorps dirigés contre des constituants de nos propres cellules, le plus souvent localisés dans le noyau de ces cellules, d’où le terme antinucléaire (nucléaire = venant du noyau). La présence de ces auto-anticorps est associée à de nombreuses pathologies auto-immunes (sclérodermie, lupus érythémateux disséminé…).

• La capillaroscopie péri-unguéale, réalisée par un angiologue, est un examen simple et non invasif des capillaires à l’aide d’un microscope optique. Il peut mettre en évidence une microangiopathie spécifique, signe précoce et prédictif de la survenue d’une sclérodermie. Dans tous les cas, si ces examens sont positifs, des explorations complémentaires sont pratiquées selon le condiv : bilan immunologique, échographie-doppler artériel des membres supérieurs…

L’évolution ?

• En cas de maladie de Raynaud, les crises régressent sans qu’il y ait de séquelles. « De plus, explique le Dr Fiessinger (voir interview page suivante), avec le temps, il est possible que la maladie s’améliore car, en vieillissant, la tension artérielle tend à augmenter. Ainsi, les artères, plus rigides, sont moins exposées au vasospasme ».

• Lors des phénomènes de Raynaud secondaires, les crises plus sévères peuvent évoluer vers des ulcérations ou des nécroses digitales.

Quelle prise en charge ?

Maladie de Raynaud

• Quand ? La mise en route d’un traitement n’est justifiée qu’en cas de symptômes invalidants chez les patients pour qui les mesures de protection au froid ne suffisent pas.

• Avec quoi ? Les inhibiteurs calciques, qui induisent une vasodilatation, sont la classe la plus utilisée. La nifédipine (Adalate) a une AMM dans cette indication mais expose à des effets indésirables souvent mal supportés : hypotension, flush, céphalées, tachycardie. La prazosine, un alpha-bloquant, dispose aussi d’une AMM mais son efficacité est plus limitée.

Phénomène de Raynaud secondaire

• Quand ? Le traitement de la cause est indispensable et améliore le phénomène de Raynaud. Lorsqu’un médicament est incriminé, c’est l’évaluation du rapport bénéfice/risque qui détermine l’intérêt de le poursuivre.

• Avec quoi ? Les inhibiteurs calciques sont peu efficaces. L’iloprost (Ilomedine, à l’hôpital), une prostaglandine, en perfusion intraveineuse, est un recours dans les formes sévères. En cas de nécrose digitale, le traitement justifie des soins locaux, une antibiothérapie en cas d’infection et un traitement par iloprost.

Conseils autour de la maladie

Rassurer

La maladie de Raynaud est une affection gênante mais bénigne. Les crises s’améliorent en général avec le temps et peuvent disparaître. Dans tous les cas, le patient doit repérer les circonstances de déclenchement, et si possible les éviter.

Limiter les crises

Quelques mesures d’hygiène de vie limitent le déclenchement de crises.

• Se protéger du froid : gants, chaussettes, superposition de couches de vêtements au niveau du corps, bonnet ou chapeau car l’organisme perd beaucoup de chaleur par le cuir chevelu, chaufferettes à mettre dans les poches.

• Éviter le port de charges à la main car le poids entraîne une ischémie locale, les vêtements qui serrent ou les bijoux enserrant doigts ou poignet.

• Expliquer le rôle défavorable du tabac et inciter au sevrage.

• Proscrire la prise de médicaments vasoconstricteurs en automédication comme les médicaments du rhume.

En cas de crise

• Se mettre au chaud ou réchauffer les mains ou les pieds en les plaçant dans de l’eau tiède, ou pour les mains sous les aisselles ou en faisant des mouvements de balancement des bras, ce qui favorise la vasodilatation et le flux vasculaire jusqu’aux extrémités.

• Bouger les parties atteintes et les masser.

Avec l’aimable collaboration du professeur Jean-Noël Fiessinger, service de médecine vasculaire et HTA, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.

Interview
“La maladie de Raynaud est ni plus ni moins qu’une sensibilité très forte au froid”

Docteur Jean-Noël Fiessinger

service de médecine vasculaire et HTA, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.

Que dire aux patients qui ont une maladie de Raynaud ?

Cette maladie est quelque chose de très banal. Ce n’est ni plus ni moins qu’une sensibilité très forte au froid. La difficulté pour le médecin est d’éliminer un syndrome de Raynaud secondaire, et notamment une sclérodermie débutante. Ce doute existe lorsque, par exemple, le bilan biologique montre des anticorps antinucléaires à la limite de la normale. Dans ce cas, on recommande au patient de refaire un bilan au bout d’un à deux ans. Au cours d’une maladie de Raynaud, les mesures préventives de protection contre le froid sont habituellement efficaces et suffisantes. Il faut également, au besoin, encourager l’arrêt du tabac car ce dernier favorise la vasoconstriction des extrémités. Si les symptômes sont gênants, on propose un traitement par inhibiteur calcique type diltiazem, hors AMM, moins puissant mais mieux toléré que la nifédipine, à prendre au coup par coup, par exemple lors d’une semaine aux sports d’hiver.

Lexique

→ Ischémie (de iskein, arrêter, et haima, sang) : diminution ou arrêt de la circulation artérielle dans une région d’un organe ou d’un tissu.

→ Acrocyanose : acrosyndrome vasculaire défini par une cyanose permanente des extrémités, essentiellement mains et pieds, indolore, majorée par le froid.

Lexique

→ Cyanose (du grec kuanôsis, teinte bleue) : coloration mauve ou bleutée de la peau due à la présence d’un taux anormalement élevé d’hémoglobine non oxygénée dans les capillaires cutanés et qui prédomine sur les ongles et les lèvres.

Lexique

→ Sclérodermie systémique : altération des fibres de collagène à l’origine d’une fibrose touchant le derme et différents organes.

→ Syndrome de Gougerot-Sjögren : sécheresse occulo-buccale associée à une sécheresse cutanée et vaginale.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !