Et si l’herbe était plus verte en Suisse ? - Porphyre n° 512 du 29/04/2015 - Revues
 
Porphyre n° 512 du 29/04/2015
 

Comprendre

Enquête

Auteur(s) : Annabelle Alix

Salaire doublé, métier cadré, environnement diversifié… Exercer son métier en Suisse tout en résidant en France présente des avantages. Retour sur la condition d’un préparateur frontalier.

Certains ont flairé le bon plan. Qu’ils soient Alsaciens, Lorrains, Haut-Savoyards, ces préparateurs quittent la France chaque matin pour enfiler leur blouse de l’autre côté de la frontière, en Suisse. Coût de la vie oblige, les salaires y sont plus élevés et les pharmacies ont leur attrait. Vous laisseriez-vous tenter par l’expérience ? Difficile de franchir le pas sans savoir où vous mettez les pieds. Voici tout ce qu’il faut savoir.

Y a-t-il des préparateurs ?

« Quelques cantons de Suisse avaient créé un diplôme de préparateur pour combler le manque de pharmaciens, explique Gabriel Voirol, titulaire de la pharmacie Ruch à Bassecourt (Suisse). Tout comme le pharmacien assistant – reconnu comme tel après trois ans de formation en faculté de pharmacie –, le préparateur était habilité à remplacer le pharmacien en congés ou en formation, et à réaliser les préparations. Puis la formation a changé. Le statut de pharmacien assistant a disparu, et celui de préparateur aussi ». Le diplôme a été supprimé en 2001.

Qui remplace le préparateur aujourd’hui ?

En l’absence de préparateur, les membres de l’équipe habilités à servir au comptoir se résument aux pharmaciens et aux assistants en pharmacie, à ne pas confondre avec les anciens pharmaciens assistants en France !

Titulaires d’un certificat fédéral de capacité (CFC), ces assistants se sont formés durant trois ans en alternant cours et pratique. De niveau bac, le CFC s’élève au même rang de qualification que le brevet professionnel (BP) français. Les assistants en pharmacie sont privés du droit de remplacement et ne peuvent pas effectuer de préparations.

Le préparateur formé en France peut être embauché en Suisse sur un poste d’assistant en pharmacie. Il est donc soumis à ces interdictions.

Quelles sont les missions et les responsabilités de l’assistant en pharmacie ?

Ses missions se rapprochent de celles du préparateur français : conseil, préparation d’ordonnances, livraisons, gestion d’un rayon (stocks, commandes)… Ses responsabilités trouvent en revanche leur limite dans la mise en œuvre d’un véritable contrôle effectif. « Mes délivrances sur ordonnances sont systématiquement vérifiées par un pharmacien, qui signe la prescription médicale pour attester de son contrôle », explique Sophie, préparatrice française occupant la fonction d’assistante en pharmacie dans le canton de Genève. Loin de souffrir d’un manque de crédibilité, elle considère cet impératif comme un gage de confiance pour le patient : « Il est même fréquent de voir les pharmaciens se contrôler entre eux par sécurité même s’ils n’y sont pas obligés ». Gabriel Voirol, qui exerce dans le canton du Jura, la rejoint : « Les contrôles sécurisent la délivrance car personne n’est à l’abri d’une erreur. Dans mon officine, les délivrances des pharmaciens sont soumises au regard extérieur d’un collègue ou d’un assistant ».

Le conseil a-t-il sa place ?

Le rôle de conseil est important au comptoir, notamment dans le champ de la prévention. « Certains patients se rendent spontanément en pharmacie pour nous demander conseil lors des changements de saison, ou lorsqu’ils sentent qu’ils sont en train de tomber malades, développe Sophie. Ce comportement me semble plus fréquent qu’en France ».

En Suisse, mieux vaut prévenir que guérir car se soigner peut coûter très cher : « Les patients ont une franchise à payer sur les dépenses remboursées. Elle s’élève au moins à 300 francs suisses (soit environ 288 €) et peut atteindre 2 500 francs suisses (environ 2 400 €) en fonction du contrat d’assurance et du montant des cotisations mensuelles ». Les patients sont remboursés à 90 % hors franchise et les dépenses inférieures au montant de la franchise ne sont pas remboursées.

Quid des médecines dites « naturelles » ?

Phytothérapie, aromathérapie, homéopathie ont le vent en poupe en Suisse. « Les clients sont friands de ces produits, confirme Gabriel Voirol. Certaines pharmacies se sont spécialisées dans l’automédication et réalisent des préparations maison. Les souches homéopathiques unitaires sont d’ailleurs remboursées par les assurances ». Un attrait pour les médecines alternatives est parfois apprécié des employeurs. Les offres d’emploi présentes sur le Net en témoignent. Y être hermétique serait même un frein à l’embauche dans certaines officines. Pas besoin pour autant d’être un as du conseil en la matière. De son côté, Sophie s’est familiarisée avec les produits référencés dans sa pharmacie au fil des formations proposées par les laboratoires.

À quoi ressemblent les officines suisses ?

Le pays compte un peu plus de 1 700 pharmacies. Beaucoup sont indépendantes mais les sociétés (ou chaînes) de pharmacies (Amavita, Coop vitality, Sun Store, etc.) sont nombreuses et leur taille, conséquente. Elles vendent des produits « vraiment plus diversifiés qu’en France, note Sophie, et beaucoup possèdent un rayon parfumerie. Certaines vendent même des accessoires comme des porte-monnaie ». La dermo-cosmétique est aussi très présente. Certaines offres d’emploi vantent même le positionnement de l’officine sur le rayon beauté ! « La Suisse est un pays assez libéral, explique Gabriel Voirol. Si le pharmacien souhaite vendre des chaussures, rien ne l’en empêche. Mais son image pourrait en pâtir. En s’éparpillant dans la vente de produits trop diversifiés, certains se sont exposés à de nombreuses critiques ».

Le service au patient a-t-il intégré les pharmacies ?

La pénurie de médecins ou leur concentration dans certains endroits favorise la délégation. « Les pharmaciens sont ainsi autorisés à vacciner et à délivrer des médicaments normalement soumis à prescription médicale dans le cadre de certaines pathologies chroniques chez des patients suivis, ou encore en cas d’infection urinaire sous réserve d’un test et de critères favorables (âge, pathologies associées, etc.), explique Gabriel Voirol. Dans ces cas-là, la personne n’est pas remboursée ».

Quel est le rapport avec le patient au comptoir ?

La diversité des langues offre une touche d’exotisme au quotidien. « Les clients sont nombreux à parler anglais ou allemand mais le fait de ne parler que français n’a pas gêné mon embauche car il y a toujours un collègue pour prendre le relais », témoigne Sophie. Habitués à payer tout ou partie de leurs dépenses de santé, les clients sont par ailleurs moins réticents qu’en France à mettre la main au porte-monnaie. Tous ne bénéficient pas non plus du tiers payant. Le passage à la caisse est donc moins problématique…

Les offres d’emploi sont-elles nombreuses ?

Les offres sont présentes sur le Web. Pour autant, « il y en a moins qu’avant, le marché de l’emploi devient plus difficile », note Sophie. Tout dépend aussi du canton d’accueil. Celui de Genève semble cosmopolite : 25 % des frontaliers travaillant en Suisse exercent dans ce canton (voir encadré p. 22). D’autres sont plus réticents à embaucher des étrangers. « Si les postulants français font un effort d’intégration en venant vivre en Suisse, pourquoi pas ? Mais le concept du frontalier n’est pas très bien perçu dans le canton du Jura, confie Gabriel Voirol, qui privilégie les candidatures locales. D’une part, les assistants suisses sont très bien formés au regard de nos attentes. D’autre part, ils sont nombreux et la mobilité et le turn-over sont de plus en plus faibles. Ils pourraient donc en pâtir si les pharmaciens suisses embauchaient des frontaliers à leur place ».

Quel serait mon contrat de travail ?

En Suisse, le contrat de travail peut être oral. L’employeur doit toutefois communiquer par écrit au salarié le nom des parties, la date de début du contrat, sa fonction, son salaire et sa durée hebdomadaire de travail. À défaut d’accord écrit contraire, la période d’essai dure un mois. Comme en France, chacun peut rompre le contrat durant ce temps d’essai, en respectant un préavis de sept jours. Passé ce délai, le contrat peut être rompu par l’une des parties à l’issue d’un préavis d’un mois la première année d’exercice, de deux mois entre la deuxième et la neuvième année, et un préavis de trois mois au-delà. Le droit du travail suisse est plus libéral que le nôtre et donc moins protecteur du salarié. L’employeur peut ainsi se séparer de son collaborateur sans avancer de motif spécifique et sans lui verser d’indemnités.

Et mes horaires de travail ?

La durée maximale du travail en Suisse varie entre 45 et 50 heures par semaine, selon les secteurs, mais de nombreuses conventions collectives la réduisent. La durée moyenne est actuellement de 42 heures par semaine. Par exemple, la convention collective de la pharmacie du canton de Genève la plafonne à 40, 30 heures pour un assistant. Cette convention s’impose aux membres de l’association des pharmaciens du canton de Genève. Dans le canton du Jura, Gabriel Voirol limite la durée hebdomadaire de travail de ses assistants à 41,5 heures. Quant à l’amplitude horaire des officines suisses, elle est sensiblement la même qu’en France.

Aurais-je droit à des congés payés ?

Tous les salariés suisses ont droit à un minimum de quatre semaines de congés payés par an. Une cinquième semaine est prévue pour les moins de 20 ans. La convention collective de la pharmacie du canton de Genève accorde aussi cette cinquième semaine aux assistants après douze ans d’ancienneté chez le même employeur, et à ceux âgés de 45 ans et plus qui bénéficient de cinq ans d’ancienneté. L’absence de convention collective dans d’autres cantons ne se traduit pas systématiquement par des situations abusives. Dans le canton du Jura, Gabriel Voirol offre une cinquième semaine de congés payés à ses salariés, et une sixième à partir de 50 ans.

Quel serait mon salaire ?

Contrairement à la France et à son salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), la Suisse n’impose pas de salaire minimum légal. Là encore, des minimums peuvent figurer dans les conventions collectives. Celle de la pharmacie dans le canton de Genève impose par exemple aux employeurs qui y sont soumis de verser un salaire brut mensuel minimal de 4 060 francs suisses brut (soit 3 900 € brut) à leur assistant en première année d’exercice (voir encadré p. 23). La convention prévoit également une majoration de salaire de 50 % pour les heures réalisées avant 7 h 30 et après 19 heures. Une majoration de 100 % s’applique les dimanches et jours fériés travaillés. Toutes les officines ne sont pas soumises à cette convention mais, selon Gabriel Voirol, « un assistant en pharmacie débutant touche en général entre 3 600 et 4 000 francs suisses brut tous les mois ».

Oui, mais en net ?

Sur ce salaire sont prélevées les cotisations qui couvrent les traitements et pertes de gains en cas d’accident (professionnel ou non) et de maladie professionnelle, l’assurance vieillesse et survivants (AVS), qui donne droit à la rente de vieillesse (retraite à l’âge de 64 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes), l’assurance invalidité et l’assurance chômage.

À noter, l’assurance perte de gains – qui couvre les indemnités en cas de congés maladie et maternité – est généralement conclue par l’employeur. C’est un point à aborder au moment de la signature du contrat.

Par ailleurs, en cas de chômage total, la France vous indemnisera comme si vous aviez travaillé en France. La Suisse indemnise en revanche le chômage partiel.

Le cumul de l’ensemble de ces cotisations représente environ 8 % du salaire brut.

Et les cotisations santé ?

S’ajoutent à ces cotisations, celles de l’assurance maladie, qui couvrent le remboursement des soins en cas de maladie ou de maternité. Les préparateurs qui travaillent en Suisse et résident en France bénéficient d’un droit d’option : ils peuvent choisir d’être affiliés à la Sécurité sociale française ou suisse (LAMal). Les travailleurs frontaliers qui optent pour le système français sont systématiquement affiliés au régime de la couverture maladie universelle (CMU) de base. Le régime des frontaliers est actuellement en cours de réforme. Au 1er janvier 2016, la CMU ponctionnera 8 % du salaire fiscal de référence, déduction faite du plafond d’exonération fixé à 9 601 € par an. Une fois toutes ses cotisations payées, un assistant en pharmacie débutant qui perçoit un salaire brut mensuel de 4 060 francs suisses empoche donc environ 3 400 € net.

Quelles sont les perspectives d’évolution ?

La diversité des rayons offre quelques opportunités de spécialisation. « Le certificat fédéral de capacité d’assistant en pharmacie permet aux assistants d’exercer dans tous les cantons de Suisse, alors que les législations cantonales sont généralement très cloisonnées », précise Gabriel Voirol. La porte est donc ouverte aux voyageurs qui souhaiteraient changer d’air. Quant à ceux tentés par une sortie du métier après quelques années d’exercice, « ils se tournent généralement vers la délégation médicale, les services de facturation au sein des nombreux cabinets d’assurances de santé, ou bifurquent vers une formation courte en “nursing” : le diplôme d’infirmier, l’éducation, la petite enfance… »

En bref

→ La Suisse est divisée en 26 cantons.

→ 1 franc suisse = 0,96 euro environ.

→ Il n’y a pas d’ordre des pharmaciens en Suisse.

Les frontaliers investissent la Suisse

En 2013(1) :

→ 278 500 frontaliers étrangers actifs étaient recensés aux côtés de ses 8 139 631 habitants.

→ 75 % des frontaliers étaient embauchés dans le secteur tertiaire, principalement le commerce de détail, l’hébergement-restauration et le commerce de gros.

→ 25 % des frontaliers travaillaient dans le canton de Genève.

→ 86 900 personnes étrangères à la Suisse y étaient titulaires d’un permis frontalier et 69 200 d’entre elles y travaillaient réellement.

→ 75 % des frontaliers exerçant dans le canton de Genève vivaient en Haute-Savoie et 19 % dans l’Ain.

(1) Source : Office cantonal de la statistique, Genève (http://bit.ly/1Inmsuw).

Le salaire d’un assistant en pharmacie(1)

Ces salaires minimums en francs suisses concernent les assistants en pharmacie titulaires du certificat fédéral de capacité (CFC) du même nom, ainsi qu’au personnel de bureau titulaire du CFC d’employé de commerce.

Au 1er janvier 2015, ils s’imposent aux membres de l’association des pharmaciens du canton de Genève.

1re année : 4 060 francs suisses

2e année : 4 120

3e année : 4 180

4e année : 4 259

5e année : 4 385

6e année : 4 510

7e année : 4 636

(1) Source : le syndicat Unia sur www.service-cct.ch/Contract.aspx?stellaNumber=710002&versionName=2#DokumenteLinks

Où payer ses impôts ?

Vous êtes imposé en Suisse, si…

– Votre domicile est situé en France et vous travaillez dans le canton de Genève. Vous êtes alors prélevé à la source (tous les mois, sur votre salaire brut).

– Votre domicile est situé en France, vous travaillez dans un autre canton frontalier que celui de Genève et ne revenez qu’une fois par semaine à votre domicile français. Vous devez alors vous déclarer auprès de la commune de votre lieu de résidence en Suisse.

Vous êtes imposé en France, si…

Votre domicile est situé en France, vous travaillez dans un autre canton frontalier que celui de Genève et rentrez tous les soirs chez vous.

Vous devez alors transmettre à votre employeur dès l’embauche le formulaire 2041 AS dûment rempli (disponible sur le site www.frontalier.org, http://bit.ly/1FWVMh5).

Attention : même si vous payez vos impôts en Suisse, vous devez vous enregistrer auprès du fisc français et déclarer vos revenus en France.

En cas de compte bancaire ouvert en Suisse, vous devez par ailleurs en faire mention sur votre déclaration de revenus, et remplir l’imprimé N3916 (disponible sur le site www.impots.gouv.fr, http://bit.ly/1FWWZEQ).

Démarche à suivre pour travailler en Suisse

Le permis G est le Graal qui vous ouvre les portes de la pharmacie suisse. Il est nécessaire pour exercer lorsque la durée du contrat de travail est supérieure à trois mois.

Depuis le 1er juin 2002, les frontaliers n’ont plus l’obligation de résider en zone frontalière depuis six mois pour pouvoir demander leur autorisation de travail. Il leur suffit de trouver un emploi en Suisse.

À noter : la priorité des travailleurs nationaux à l’embauche et les contrôles des conditions de salaire et de travail ont été supprimés en 2004.

Différents documents sont à faire parvenir à l’autorité cantonale compétente :

→ formulaire dûment rempli, disponible ici : www.ge.ch/etrangers-confederes/fr/doc/f4-1-formulaire-frontalier.pdf ;

→ contrat de travail ou lettre d’engagement ;

→ photocopie de la carte d’identité ou du passeport ;

→ deux photos d’identité ;

→ attestation de résidence en zone frontalière (justificatif officiel de domiciliation original) ;

→ 65 francs suisses.

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


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