L’art et la manière de psy’ causer - Porphyre n° 505 du 02/09/2014 - Revues
 
Porphyre n° 505 du 02/09/2014
 

Exercer

Les mots pour…

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

Aborder les patients souffrant de schizophrénie. Quand les craintes des professionnels se confrontent aux difficultés relationnelles des patients, le dialogue peine à s’établir. Dédramatiser la maladie, intégrer ses particularités et se recentrer sur l’individu sont les leviers à actionner.

Enterrer les préjugés

Largement véhiculés en population générale, les préjugés ne s’arrêtent pas aux portes des professionnels de santé. Combattre les idées fausses et déstigmatiser les troubles schizophréniques sont les premières étapes du changement.

« La schizophrénie est une maladie rare »

Non ! Elle affecte environ 1 % de la population mondiale. Idem en France, soit 600 000 personnes atteintes.

« Elle touche surtout les populations défavorisées »

Non ! La schizophrénie survient sans causes médicales connues dans l’ensemble de la population, indépendamment du niveau socio-économique. L’incidence est d’ailleurs la même dans tous les pays. Certains facteurs environnementaux peuvent néanmoins favoriser ou précipiter la maladie.

« Elle est liée à la consommation de drogues »

Oui et non. Les addictions, en particulier la consommation de cannabis, sont souvent évoquées dans l’apparition de la maladie, mais il n’existe pas de lien causal démontré ; son incidence ne suit d’ailleurs pas la progression constante de la consommation de cannabis. La schizophrénie est par contre un terrain favorable à l’addiction, notamment en réponse au mal-être ou à l’anxiété engendrée, qui est un facteur reconnu de déstabilisation ou de rechute. L’abus de cannabis avancerait de huit ans l’apparition des premiers symptômes de la maladie schizophrénique.

« Les schizophrènes sont dangereux »

Plutôt envers eux. Ils sont plus souvent victimes qu’divs de violences, les comportements agressifs étant surtout observés en cas de toxicomanies associées ou d’arrêt des traitements. La violence est par ailleurs majoritairement dirigée contre eux-mêmes (auto-agressivité). Sujets au stress, aux angoisses et socialement isolés, ces patients sont fragilisés ; 10 à 15 % se suicident, et près de la moitié tente de le faire. Et le risque d’être agressé par un patient présentant un trouble schizophrénique est quatorze fois moindre que de l’être par un sujet « normal ».

« Ils vivent en institution »

Non ! 90 % des patients vivent « en ville » hors institutions, hormis durant les périodes d’hospitalisation éventuelles lors de crises. Souvent, ils ne voient leur psychiatre qu’une fois par mois, pour une consultation de quelques minutes. L’officine est un relais important, et parfois le seul, pour aborder les traitements, leurs effets indésirables et la stricte nécessité de l’observance.

Dominer sa peur

Monsieur Durand franchit la porte de l’officine avec son ordonnance de neuroleptiques et, soudain, c’est l’envolée de moineaux vers le back-office ! La maladie psychotique fait peur. Peur de l’inconnu, de se confronter à un comportement irrationnel, de ne pas savoir y répondre, de s’éloigner des normes relationnelles… Il faut dédramatiser.

Connaître la maladie

→ Se former. Avancer en terrain connu est le meilleur remède pour juguler ses appréhensions, que l’on soit un professionnel, le patient ou la famille, souvent très éprouvée par la maladie et l’incompréhension. Les associations de patients, l’organisme public Psycom (voir www.psycom.org) ou le réseau PIC (Psychiatrie, information, communication) proposent des actions d’éducation thérapeutique ou des formations spécialisées (voir encadré page suivante).

→ Admettre le déficit relationnel. Les éventuels comportements irrationnels des patients ne sont pas dirigés contre leur interlocuteur, mais représentent des symptômes de la maladie. Les troubles schizophréniques engendrent, à divers degrés, une désorganisation de la personnalité, des émotions, des idées… Le rapport à la réalité n’est pas toujours cohérent (rire sans raison, discours discordant…). Les patients peuvent présenter des idées délirantes (entendre des voix, voir des choses que ne voient pas les autres, se sentir persécutés…), se replier sur eux-mêmes (apathie, démotivation…). Les traitements provoquent eux-mêmes un ralentissement physique et psychique. Les troubles cognitifs engendrés altèrent les capacités de communication.

→ Distinguer handicap psychique et mental. Au contraire du handicap mental où la déficience est constante, les personnes qui souffrent de handicap psychique gardent des facultés intellectuelles normales. Néanmoins, l’altération des fonctions cognitives (difficultés à se concentrer, troubles de la mémorisation…) peut entraver leur utilisation optimale. Ces « incapacités » sont très variables selon les patients et les périodes. Ainsi, certains moments seront propices au dialogue, d’autres moins.

Voir l’individu derrière la maladie

Derrière sa pathologie, il y a Monsieur Durand, qui a besoin d’aide même s’il ne l’exprime pas toujours directement (repli, discours incohérent, colère, impatience…). Cesser de réduire un patient à sa pathologie (« le schizo », « le dérangé »…) et s’adresser à l’individu permettent de contourner les éventuelles « bizarreries » et de débloquer le dialogue.

Communiquer

Monsieur Durand, comme Monsieur Dupont

Globalement, le maître mot est d’accueillir et d’informer ces malades de la même façon et avec le même langage que pour tout autre patient. En dépit de réponses parfois inappropriées, efforcez-vous de sourire, de l’appeler par son nom, d’avoir une phrase anodine d’entrée en matière (« C’est une belle journée pour se promener… »), d’analyser et d’expliquer son ordonnance.

Quelques précautions

→ Respecter la confidentialité. Rester à l’abri des oreilles indiscrètes, inutile d’ajouter de l’eau au moulin de la stigmatisation par les voisins ! Par ailleurs, même lorsque la communication est difficile, ne pas impliquer la famille sans le consentement du patient. Seul le médecin doit être averti des difficultés rencontrées.

→ Brider les attitudes négatives. Derrière un détachement apparent, ces patients sont souvent hypersensibles, capables de détecter des signes négatifs chez leur interlocuteur : un regard de travers, un rictus entre collègues, un soupir…

→ Garder le cap « médicament ». L’évolution et le type de troubles étant très variables individuellement, glisser sur le terrain de la maladie ou de ses symptômes s’avère périlleux.

→ Ne pas infantiliser. S’adresser à ces patients comme à des enfants (« Si vous prenez mal vos médicaments, le docteur ne sera pas content… ») est une stigmatisation supplémentaire.

S’adapter

Variabilité

La schizophrénie est une maladie chronique qui évolue par crises, entrecoupées de phases de « stabilisation », elles-mêmes marquées de fluctuations des symptômes déstabilisantes pour les interlocuteurs : périodes de repli, d’aboulie (incapacité à agir), de fatigue, d’hyperactivité…

→ À faire : accepter cette part d’incertitude dans le comportement des personnes malades, rechercher à comprendre la cause d’un comportement modifié (« Quelque chose vous pose problème en ce moment ? »), ressentir si le patient a envie ou non de parler et suivre son intuition.

→ À ne pas faire : insister (« Mais pourtant la dernière fois, vous étiez en forme… »).

Attention : des changements importants ou persistants peuvent être le signe d’une rechute de la maladie ou d’un arrêt du traitement ; il est alors important d’en informer le service qui suit le patient.

Idées délirantes

Il est possible que des idées délirantes persistent malgré un traitement, ou réapparaissent périodiquement (impression d’être un être divin, que la télé s’adresse à eux…).

→ À faire : rester neutre, écouter sans dénigrer les propos, évaluer s’ils sont récents ou s’intensifient et contacter alors le psychiatre.

→ À ne pas faire : rire ou dénigrer, « entrer » dans le délire du patient et rebondir sur les propos incohérents, couper brusquement la parole pour montrer son désintérêt.

Anxiété

Les difficultés psychiques génèrent souvent un sentiment de stress ou même d’angoisse, qui se manifeste de différentes façons : anxiété, phobies (de la foule, des transports…), obsessions (mains propres…).

→ À faire : essayer de ménager un cadre rassurant avec des repères (rendez-vous à la pharmacie à un horaire fixe, même interlocuteur, déroulement identique de la délivrance…).

→ À ne pas faire : minimiser ou dévaloriser les angoisses (« Vous n’avez aucune raison de vous angoisser ici… », « Même mes enfants prennent ce bus »).

Anosognosie

La non-perception des troubles par le patient (anosognosie) et le déni sont fréquents : « Je ne suis plus malade », « Plus besoin de traitement… ».

→ À faire : admettre que le processus d’acceptation de la maladie puisse être long, fluctuant, voire impossible. Suggérer sans imposer votre point de vue : « Vous êtes en droit de penser ainsi, mais mon opinion est que continuer votre traitement est important… ».

→ À ne pas faire : contredire de façon frontale le patient, imposer son point de vue de façon directive (« Vous devez prendre ce traitement »), menacer de prévenir les proches.

Perte d’autonomie

L’apathie (insensibilité, indifférence aux stimuli), la démotivation, l’aboulie et les éventuelles difficultés cognitives (mémorisation, communication…) entravent à divers degrés l’autonomie du patient dans sa vie quotidienne. Organiser son temps, anticiper et gérer son traitement peuvent être très compliqués.

→ À faire : prévoir du temps pour la délivrance, accepter que le patient soit lent, répéter calmement, plusieurs fois si nécessaire. Favoriser la mémorisation et l’organisation : supports écrits, pilulier, alarmes, livraison à domicile…

→ À ne pas faire : s’énerver, accélérer l’entretien par des signes d’agacement, finir les phrases à sa place, penser que le patient met de la mauvaise volonté.

Inobservance

C’est le premier facteur de risque de rechute de la maladie. Or, les effets indésirables des traitements (insomnie, prise de poids, dyskinésie, constipation…) sont des freins majeurs à l’observance et l’officine est sans doute le seul endroit où elle peut être « mesurée » (prise non régulière des traitements, boîtes ramenées non entamées…).

→ À faire : s’enquérir systématiquement des difficultés (« Rencontrez-vous des problèmes pour prendre votre traitement »), chercher des solutions adaptées pour minimiser les effets indésirables (conseils hygiéno-diététiques, sprays buccaux…). Contacter le psychiatre en cas de difficultés majeures. Il peut être proposé au patient de ramener les boîtes non terminées à chaque nouvelle dispensation pour faire le point sur ce qui a été pris (et vérifier par là même l’observance), et éviter ainsi l’accumulation inutile de traitements à son domicile.

Isolement

Conséquence des difficultés relationnelles, la vie sociale et professionnelle des patients est souvent réduite, voire inexistante. L’isolement est un problème majeur, qui touche par rebond les proches (incompréhension de l’entourage, rôle d’aidant à temps plein…).

→ À faire : aiguiller les patients et leur famille vers des associations de soutien. L’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam), présente dans chaque département, propose par exemple des permanences (assistantes sociales, conseil juridique…), des groupes de parole, des formations, des ouvrages et un centre d’appel téléphonique national « Écoute-famille » (au 01 42 63 03 03). En savoir plus : www.unafam.org. Psycom, organisme public d’information, de communication et de formation sur la santé mentale, édite, pour sa part, des documents et met en place des actions de sensibilisation et de formation destinées aux personnes confrontées à des questions de santé mentale.

Tous nos remerciements au Dr Emmanuel Augeraud, psychiatre, Pau (64), et au Dr Claire Pollet, pharmacienne, vice-présidente et présidente du réseau PIC, Armetières (59).

3 questions à

Claire Pollet, pharmacienne hospitalière, présidente du réseau PIC, Armentières (59), www.reseau-pic.info

Qu’est-ce que le réseau PIC ?

Ce réseau Psychiatrie, information, communication (PIC) est animé par des professionnels hospitaliers exerçant en santé mentale. Son objectif est d’informer et de former les patients, leurs proches et les professionnels à propos des maladies psychiatriques et de leurs traitements, plus spécifiquement la schizophrénie.

Quelles sont ses actions ?

Le réseau développe dans les établissements de santé des outils d’information. Notamment des fiches d’information sur les différents médicaments employés en santé mentale, un guide des médicaments psychotropes, plutôt à destination des proches ou des professionnels, et deux programmes d’éducation thérapeutique : l’Atelier du médicament, et le programme Arsimed(1), qui comprend trois modules, deux pour les patients, un pour les familles : « Je reconnais ma maladie », « Je prends un traitement psy », « Aider celui qu’on aime ».

L’officinal peut-il suivre une formation via votre réseau ?

Oui. Notre programme de formation officinale s’intitule « Patients atteints de troubles psychiques : que faut-il connaître ? comment réagir ? quels conseils ? ». Il est proposé plus particulièrement aux pharmaciens, mais pourquoi pas à un préparateur s’il est motivé ! Le programme est animé par des psychiatres et des pharmaciens hospitaliers sur une durée de trois journées. Les deux premières sont consacrées aux connaissances sur les pathologies psychiques et leurs traitements. La troisième, un mois plus tard, permet un retour d’expérience d’après présentation de situations rencontrées par les participants. Cette formation coûte 700 €, repas compris. Elle entre dans le cadre de la formation continue (DPC) et peut donc donner lieu à une prise en charge par les organismes compétents.

(1) Aider à reconnaître les signes de la maladie et des médicaments.

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