Bulles de comptoir

« Bonjour, je voudrais un ovule à usage unique ! » Difficile de ne pas sourire en entendant la requête de cette cliente au comptoir. « On arrive à comprendre ce qu’elle souhaite mais, un instant, on se demande quand même ce qu’elle en fait, de ses ovules ! » Amusé et taquin, Boris, préparateur, a voulu rendre ces anecdotes de comptoir publiques. Comme si son quotidien lui offrait un spectacle hilarant qu’il devait partager. Boris aime dessiner. Le dessin était donc un moyen facile, ludique et parlant de mettre en scène ses clients. « J’aime l’humour de Caméra Café ou celui des séquences La Connasse diffusées à la télévision ». C’est sur le même ton qu’il relate en images, depuis février, les perles de ses patients sur son « Tumblr »(1).

Histoires vraies au mot près

À l’officine, le bloc de Post-it n’est jamais loin. Deux mots suffisent à résumer la scène qui s’impose à lui. Ce sont parfois des bribes de conversation entre deux patients dans la file d’attente qui l’inspirent. « Vous comprenez, mon fils a atteint tel degré de bipolarité sur l’échelle de Richter… » Ou une confidence argumentée qu’un client lui livre avec conviction : « J’ai compris que les mycoses de ma femme étaient liées à son passé amoureux de quand elle était jeune… »

À l’officine, il reste droit et professionnel. Le soir venu, c’est en dessinant qu’il se lâche. Il retranscrit ses émotions du jour, Post-it à l’appui de sa mémoire. Il crayonne un visage déconcerté, aux traits bien choisis, avec une bulle en suspension au-dessus de la tête où il écrit : « Le passé de votre femme n’a rien à voir avec ses mycoses d’aujourd’hui… Vous ne vous êtes pas plutôt demandé ce qu’elle fabrique en ce moment ? »

Sans fioritures, les nombreux dessins de Boris regorgent de détails bien trouvés. « Mais je n’invente rien, toutes ces histoires sont vraies et relatées au mot près », assure-t-il avec une pointe de cynisme dans la voix. Jamais méchants pour autant, toujours anonymes, ses croquis sont faits à la main, scannés, puis coloriés. « Un logiciel m’a permis d’entrer deux décors perpétuels en fond et un poste de travail, que je réutilise. À chaque nouvelle scène, j’intercale simplement mes nouveaux personnages entre ces décors », explique Boris. Pratique, efficace, il ne consacre pas plus de cinq à dix minutes par dessin, un temps qu’il trouve le soir ou le week-end.

Efficace et sans chichis

Sa page « Tumblr » est sobre. Boris ne cherche ni la publicité, ni la gloire. « Je veux juste amuser. J’en parle aux personnes de mon entourage, quand je les croise, et beaucoup me donnent leur avis. Ils me disent souvent avoir ri ou souri ». Quant aux clients, aucune crainte qu’ils ne se reconnaissent : « Ils sont plutôt âgés et ne vont pas sur Internet », lance le préparateur décontracté.

Boris dessine au gré de ses rencontres et des événements qui font son quotidien. C’est d’ailleurs ainsi qu’il avance dans la vie : « Après un IUT d’informatique et une première année ratée en faculté de physique-chimie, on m’a parlé du métier de préparateur, se souvient-il. L’apprentissage étant rémunéré et la formation, scientifique, j’y suis allé sans vraiment savoir à quoi m’attendre… » Un peu par hasard finalement.