À l’insu de leur plein gré ! - Pharmacien Manager n° 234 du 01/06/2023 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 234 du 01/06/2023
 

RÉFLEXION

Auteur(s) : Yves Rivoal

La pénurie d’adjoints fait que certaines pharmacies n’arrivent plus à respecter le nombre minimal requis en fonction de leur chiffre d’affaires. Que risquent ces titulaires « hors la loi » ? Pour endiguer ce problème qui menace la sécurité et la poursuite de l’exercice pharmaceutique dans ces officines, faut-il revoir le cadre juridique ou attendre que les candidats reviennent en force ?

Sur le plan statistique, tout va bien. « Lorsque nous analysons l’évolution des entrées et des sorties des pharmaciens adjoints dans les officines, nous retombons sur le chiffre d’1,3 par pharmacie, ce qui correspond à peu près au ratio qui impose aux titulaires de se faire assister par au moins un pharmacien par tranche révolue de 1,3 M€ de chiffre d’affaires (CA) HT », précise Jérôme Paresys-Barbier, le président de la section D (adjoints) du Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Sur le terrain, la réalité semble tout autre. « Nous sommes régulièrement interpellés par nos confrères qui nous confient être en recherche de pharmaciens adjoints et de préparateurs, mais qui n’arrivent pas à trouver de candidats, reconnaît Bruno Maleine, le président de la section A (titulaires). Nous sommes même confrontés à une situation sans précédent. La pharmacie est aujourd’hui le deuxième secteur d’activité qui connaît le plus de difficultés de recrutement, juste après les couvreurs. »

La tolérance est de mise.

En tant que président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo), Pierre-Olivier Variot avoue avoir visité de nombreuses officines « où il manquait un adjoint 11 ou 24 heures par semaine. Dans certaines d’entre elles, c’était carrément un adjoint à temps plein. » Bruno Maleine préfère, lui, insister sur le fait que « ces pharmaciens-là ne sont pas sciemment hors la loi. Au contraire, ils mettent tout en œuvre pour recruter de nouveaux collaborateurs. » Dans ce cas, la consigne à donner aux titulaires concernés est claire : « Avertir l’ARS [agence régionale de santé, NdlR] afin de prouver leur bonne foi. Ce défaut étant lié au fait qu’ils n’arrivent pas à trouver de candidats », souligne Laurent Filoche, le président de l’Union des groupements des pharmacies d’officine (UDGPO). La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) est sur la même longueur d’ondes. « Mieux vaut prévenir que guérir, confirme son vice-président, Philippe Denry. Un pharmacien qui se retrouve dans ce cas doit constituer un dossier pour prouver qu’il cherche activement à recruter l’adjoint qui lui manque. Il faut donc garder la trace des annonces postées sur les sites de recrutement et des contacts pris avec les facultés de pharmacie ou les associations d’étudiants… » Pierre-Olivier Variot l’assure, il suivra attentivement ce dossier dans les mois qui viennent, tout en invitant les ARS au discernement. « Les inspecteurs doivent faire preuve de tolérance lorsque des titulaires rencontrent un problème ponctuel qu’ils cherchent activement à régler. Alors que ceux qui sont borderline en permanence méritent, eux, d’être signalés au conseil régional de l’Ordre, et sanctionnés. » Une invitation au discernement qui semble d’ailleurs avoir été entendue par les ARS. « À ma connaissance, aucun président de conseil régional de l’Ordre n’a, à ce jour, reçu de plaintes avec pour seul motif un défaut d’adjoint », confie Bruno Maleine. « À chaque fois qu’un titulaire envoie un courrier aux ARS pour indiquer qu’il ne respecte plus le quota, ce courrier reste en général sans réponse, ajoute Laurent Filoche. Ce qui laisse à penser que les ARS ont pris conscience du problème et font preuve d’une certaine tolérance. » Tolérance qu’il sera toutefois difficile de maintenir sur le long terme. « C’est souvent pour rester dans les clous que de plus en plus de titulaires font le choix de réduire l’amplitude de leurs horaires d’ouverture », constate Alain Grollaud, le président de Federgy, le syndicat des groupements et enseignes de pharmacies.

Vers un nouveau cadre juridique.

Lorsqu’on leur demande s’il faut faire évoluer le cadre, les avis des représentants de la profession sont partagés. « Nous l’avons déjà fait il y a deux ans en retirant tous les produits chers des déclarations du CA, rappelle Philippe Denry. Faut-il encore aller plus loin ? Je ne le crois pas, car ce serait prendre le risque d’abaisser la qualité du service pharmaceutique. » Laurent Filoche, lui, ne ferme pas la porte à une éventuelle réforme : « La situation va encore s’aggraver dans les années à venir, craint le président de l’UDGPO. Si l’on veut que toutes les officines puissent continuer de fonctionner dans la légalité, il faudra aligner la réglementation à la réalité du terrain. Je suis plus favorable à une augmentation des tranches de CA, qu’au retrait des produits de parapharmacie du CA. Cette solution mettrait en péril l’unicité des officines et avantagerait celles qui vendent beaucoup de parapharmacie. »

Pour Philippe Denry, une partie de la solution pourrait passer par la réforme de la sixième année d’études en pharmacie qui devrait aboutir dans les mois à venir. « Les étudiants souhaitent faire évoluer le stage de pratique professionnelle en officine de six mois, rappelle le vice-président de la FSPF, en demandant d’obtenir un statut d’interne ou de résident qui leur permettrait d’être mieux rémunérés, et de se voir confier davantage de responsabilités. Cette réforme pourrait notamment permettre à un titulaire qui a du mal à remplir son obligation en nombre d’adjoints d’intégrer ce jeune interne ou résident à son quota pour une durée limitée, le temps que celui-ci passe sa thèse. » La proposition du député Renaissance du Val-d’Oise, Guillaume Vuilletet, de permettre à certains préparateurs de remplacer un pharmacien trois heures par jour, trois fois par semaine, est en revanche unanimement rejetée. « Je suis résolument contre cette solution qui mettrait en danger la profession. Considérer qu’un préparateur peut faire le travail d’un pharmacien reviendrait à ouvrir la porte à des acteurs comme Amazon », estime Laurent Filoche. Pour beaucoup, la solution passe surtout par l’amélioration de l’attractivité des métiers de la pharmacie. « Les réformes Pass et LAS [des études de santé, NdlR], entrées en vigueur en 2020, n’ont fait qu’aggraver le problème, considère Philippe Denry, qui ne comprend pas pourquoi la filière pharmacie n’est à aucun moment proposée sur Parcoursup. Un constat que rejoint également Alain Grollaud : « Il faut sensibiliser les collégiens et les lycéens à la richesse des métiers de la pharmacie d’officine qui ont profondément évolué ces dernières années, avec des nouvelles missions qui placent le pharmacien au cœur des parcours de soins. Ce travail a d’ailleurs commencé puisque nous avons déjà eu des réunions avec des représentants de l’Ordre, des chambres syndicales et de l’Anepf [Association nationale des étudiants en pharmacie de France, NdlR], afin de préparer une grande campagne de communication autour des métiers de la pharmacie. »

Revoir les paies

La quête d’attractivité des métiers de la pharmacie d’officine suppose aussi de donner un coup de pouce aux rémunérations. Philippe Denry en est persuadé. « C’était d’ailleurs le sens de la proposition de travailler sur une refonte de la grille des qualifications que nous avons formulée lors de la dernière commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), rappelle le vice-président de la FSPF. L’objectif étant d’aligner les niveaux d’entrée avec ce qui se pratique dans les autres secteurs d’activité. Et de proposer à nos collaborateurs des évolutions de carrière accélérées. Nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas être en phase avec la réalité du terrain. »

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