Médicaments chers : démêler le vrai du faux - Pharmacien Manager n° 187 du 01/05/2019 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 187 du 01/05/2019
 

NEWS

Auteur(s) : François Pouzaud

L’essor des médicaments chers est une tendance structurelle en officine. Ils contribuent à la stabilisation de la marge, mais induisent des effets pervers et situations à risque sur lesquels les pharmaciens doivent se montrer vigilants.

Lors du premier bilan de la rémunération entrée dans sa deuxième année de réforme, en janvier 2019, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), a reconnu que la progression du C.A (+ 3,44 % par rapport au même mois de 2018) était liée aux médicaments chers, puisque dans le même temps les unités ont diminué (- 0,89 %). De plus, la rémunération du pharmacien sur le médicament remboursable a progressé (+ 3,60 %), grâce aux effets amortisseurs de la réforme sur les baisses de prix, mais aussi aux médicaments chers. Mais, de l’avis des experts, les pharmaciens doivent se méfier de cet effet d’aubaine qui s’avère, en réalité, un trompe-l’oeil. Les médicaments chers entretiennent l’illusion d’une reprise de la croissance, qui plus est, inégalement répartie entre les officines. « Ces médicaments très spécifiques ne sont pas dispensés par toutes les pharmacies, seulement trois quarts d’entre elles en ont vendu au moins une unité dans l’année », souligne Denis Millet, président de la commission économie de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).

UNE CROISSANCE à relativiser.

En 2018, l’afflux de nouveaux médicaments chers (près d’une quarantaine) a mécaniquement engendré un fort effet structurel (déplacement des prescriptions vers des médicaments plus chers) sur le C.A à TVA 2,1 %, qui a atteint 73,49 % du C.A global en 2018 (versus 73,24 % en 2017, source : FSPF d’après IMS). Commentant cette évolution, Claude Le Pen, professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine, qualifie « 2018, d’année en trompe-l’oeil ». Avec + 2,1 % de croissance, dont + 2,6 % pour les médicaments remboursables, le marché officinal français a connu l’an dernier sa meilleure performance depuis près de dix ans. Mais, si on enlève les nombreux produits sortis de la réserve hospitalière en 2018, soit environ 510 M€ en PFHT, l’évolution du marché du médicament remboursable est tombé à - 0,3 % et le marché total à - 0,6 %. Pas de quoi inverser les tendances de fond, ni effacer les baisses de prix ! Toujours selon des données de la FSPF, les ventes de médicaments chers en officine se sont élevées, en 2018, à 618 444 unités (+ 36,8 %) et à 2,17 Mds € en C.A PPTTC (+ 52,3 %), procurant au réseau une rémunération mixte (marge + honoraires) de 60,8 M€ (+ 37,1 %). Corrélativement, « le taux de marge brute globale de l’officine moyenne a baissé de 31,81 % en 2018 », indique Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet Lecoeur Leduc et Associés.

UN SURCROÎT de médicaments chers.

Les moyennes professionnelles 2018 du cabinet AdequA permettent d’appréhender, à partir d’un panel de 152 officines « traditionnelles », l’évolution en C.A des médicaments chers (+ 19,5 %) et leur contribution au C.A des médicaments remboursables (27,6 % en 2018, versus 23 % en 2017) et au C.A global (19,2 % en 2018, versus 16,3 % en 2017). Sur la marge dégagée par les produits chers au sein de cet échantillon, les composantes sont les suivantes : + 20,1 % d’augmentation de marge et une contribution à la marge globale de l’officine passant de 3,9 % en 2017 à 5 % en 2018. « Ce trend sur les médicaments chers va se poursuivre, les boîtes de médicaments à 20 k € ou 30 k € seront de plus en plus courantes à l’ave nir », estime Laurent Cassel, expert-comptable du cabinet AdequA.

LES INDUS sont insupportables !

Revers de la médaille : l’augmentation de la délivrance des médicaments chers entraîne une recrudescence des litiges entre pharmaciens et caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), le poids des recouvrements trop bureaucratiques des indus notifiés par les caisses devenant insupportable économiquement pour les officines. « A mon grand désespoir, le problème de la gestion des indus avec l’adoption de règles nationales opposables aux CPAM n’est toujours pas réglé », se désole Philippe Gaertner, ex-président de la FSPF. La coupe est pleine : en région Auvergne-Rhône-Alpes, les pharmaciens, victimes à nouveau de récupération d’indus notamment sur les médicaments chers, ont décidé de ne plus participer aux commissions paritaires avec les caisses primaires d’assurance maladie. Lorsqu’elles estiment que les factures du pharmacien ne sont pas conformes, parce qu’il n’a pas appliqué à la lettre la réglementation au moment de la délivrance ou exécuté une ordonnance qui ne comporte pas toutes les mentions obligatoires, les caisses réclament des indus portant sur la totalité du prix du médicament concerné. Une première réunion du groupe de travail (réunissant des représentants de la profession et de l’Assurance maladie) sur la gestion des indus s’est tenue à la CNAM au premier semestre 2018, mais depuis, plus rien. Laissant les pharmaciens livrés à eux-mêmes et bataillés individuellement pour récupérer plusieurs dizaines de milliers d’euros.

LES RISQUES et les pièges à éviter.

Autre point de vigilance : « Il faut faire attention à leur encaissement, en cas de baisse de prix ou de TFR, si le pharmacien tarde par rapport au délai légal d’écoulement des anciens stocks (50 jours à compter de l’application de la mesure), il perd de la marge et vend à perte, met en garde Laurent Cassel. Le contrôle du pharmacien et la mise à jour des prix ne sont plus un réflexe depuis la suppression de la vignette, ce qui peut peser sur sa trésorerie. » Enfin, autre effet pervers, le C.A augmentant artificiellement, « pour 20 dispensations par an, 600 pharmacies franchissent le seuil d’embauche obligatoire d’un adjoint supplémentaire, sans contrepartie de marge qui permettrait d’en assumer le coût », expose Gilles Bonnefond. Un non-sens économique qui s’accompagne d’un risque pour la santé publique. « Pour éviter de franchir un seuil, un pharmacien va refuser des patients sous médicaments chers », explique-t-il. La proposition d’amendement portée par l’USPO et la FSPF dans le projet de loi de santé est de ne plus comptabiliser dans le calcul du seuil d’embauche la partie du C.A ne donnant pas lieu à rémunération (ce qui est le cas au-delà d’un PFHT de 1 600 € en 2019 et de 1 930 € en 2020).

MESURES D’ACTIVITÉ

La vente d’une unité à 17 000 € par mois correspond à un C.A artificiel et volatil, car le patient atteint d’une pathologie grave voit souvent son protocole thérapeutique changer ou stopper en fonction de l’évolution de sa maladie.

L’ESSENTIEL

→ Le C.A de l’officine est dopé par les sorties de la réserve hospitalière qui s’accélèrent.

→ Malgré un taux de marge faible, en valeur la manne des médicaments chers consolide le redressement de la rémunération des pharmaciens sur le médicament remboursable.

→ Les pharmaciens paient un lourd tribut à la gestion des indus sur les médicaments chers.

→ Les baisses de prix sur les médicaments chers font courir un risque de revente à perte. Le pharmacien doit être très vigilant sur ses commandes et l’écoulement de ses stocks.

Médicaments chers

Un calcul de la marge favorable

Même si la marge est capée à 98 €, vendre un médicament cher reste intéressant. Pour s’en convaincre, il suffit de calculer le nombre de boîtes de Doliprane que vous devez vendre pour récupérer une marge équivalente à celle d’une unité d’un produit cher. Pour 90 boîtes au prix d’achat labo à 1,06 € (prix facturé par Sanofi en direct), la marge applicable est de 10 % sur le prix d’achat labo, soit 1,06 × 10 % × 90 = 9,54 €. Les 90 boîtes rapportent 90 € liés à l’honoraire à la boîte de 1 €, soit au total (9,54 + 90) = 99,54 €, soit la marge d’une unité d’un médicament cher de PFHT > 1 600 €. « En 2018, la contribution des médicaments chers dans la stabilisation de la marge se situe à hdiv de 14 M€, soit moins de 10 % du gain de marge récupéré (158,92 M€) grâce à la réforme du mode de rémunération », estime Gilles Bonnefond.

Pourrez-vous respecter la minute de silence en mémoire de votre consœur de Guyane le samedi 20 avril ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !