L’officine doit devenir un espace santé avec des écrans interactifs - Pharmacien Manager n° 174 du 22/01/2018 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 174 du 22/01/2018
 

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Auteur(s) : Fabienne Colin

Joël de Rosnay est convaincu que le pharmacien va devenir un conseiller de vie et l’officine un lieu de services et d’informations à forte valeur ajoutée, en proposant desabonnements personnalisés.

« Pharmacien Manager ».Vous avez travaillé sur la question du vieillissement, en quoi les objets connectés peuvent-ils aider au « bien vieillir » ?

Joël de Rosnay. Pour bien vieillir, ce qui est différent de « vivre plus vieux », il faut être en contact avec les objets connectés. Les progrès des technologies du numérique vont tellement vite qu’on s’oriente vers des tableaux de bord santé personnalisés. Ces applications ne réalisent pas qu’une seule mesure comme la pression artérielle, le rythme cardiaque, etc. Elles peuvent même intégrer le résultat de l’analyseur de sang, dont on dispose chez soi et qui fonctionne à partir d’une micro goutte prélevée au bout du doigt avec une petite aiguille. Ces outils vous conseillent sur votre état de santé, en cas d’allergies, d’intolérances, de mauvais sommeil, etc. Il est important pour les personnes âgées de privilégier ce type d’objets connectés. Ensuite, il faut en discuter avec son médecin, son pharmacien, sur les réseaux sociaux, pour appréhender les notices de ces appareils. Une prévention mesurable qui va transformer le rôle du médecin et du pharmacien en conseillers de vie. D’ailleurs, l’industrie s’oriente déjà vers la maintenance de la santé !

P.M. Quelles sont les conséquences de la vulgarisation des objets connectés sur la pharmacie ?

J.de R. L’officine doit devenir un espace santé, comme une mini exposition, tel que nous en présentons à la Cité des sciences, avec des écrans interactifs. Dans la pharmacie, les gens doivent pouvoir faire un bilan de santé, poser des questions sur des médicaments, regarder des vidéos, s’asseoir et discuter tranquillement avec d’autres en attente de leur traitement… Cela ne coûte pas cher : il suffit de deux écrans et d’un abonnement à Internet. La pharmacie ne peut plus être seulement un comptoir, où on achète ses médicaments avec son ordonnance et sa carte vitale en main.

P.M. Dans ce condiv, le pharmacien « conseiller de vie » doit donc être capable d’orienter sur une activité physique, un mode d’alimentation, etc. ?

J.de R. Oui. On voit déjà ce phénomène dans les hôtels par exemple, où des conciergeries numériques existent. L’établissement vous offre des produits personnalisés dans votre chambre, des tours pour visiter tels quartiers, des massages, cours de yoga… Petit à petit, le pharmacien devra, lui aussi, inventer une sorte de conciergerie. Par abonnement, on pourra bien sûr obtenir ses médicaments et compléments alimentaires, mais aussi d’autres services comme de l’aérobic, des vélos d’appartement, des vélos elliptiques qui permettent de bouger bras et jambes, etc.

P.M. Vous préconisez cinq comportements à chacun : une nutrition équilibrée, de l’exercice modéré, le management de son stress, le plaisir de ses activités et l’harmonie du réseau social, familial et professionnel. Sur lesquels le pharmacien peut-il agir ?

J.de R. Sur ces cinq critères, les pharmaciens doivent notamment être capables de donner des conseils sur les produits naturels, en synergie les uns avec les autres. Cela peut souvent réduire la prise de médicaments. […] Je sais que le pharmacien dispose de peu de temps, mais il doit s’informer davantage, aller sur les réseaux sociaux, être abonné à Twitter, pour suivre l’actualité médicale sur des revues comme Science, Nature, Lancet … ou, en français, sur Futura Sciences.

P.M. Vous anticipez un monde avec moins de médicaments, mais plus de suivi. Comment le pharmacien peutil éviter d’être “ubérisé” dans ce condiv ?

J. de R. Le risque, c’est Amazon, car on s’oriente de plus en plus vers la télémédecine. On va pouvoir réaliser de plus en plus de consultations à distance. […] Déjà, aux états-Unis, il existe des sortes de Uber de la santé, comme Oscar Health ou Heal.com. Sur simple appel téléphonique, on vous repère par GPS, on vous envoie une équipe à domicile pour pratiquer des analyses, un diagnostic très rapide et la préconisation de médicaments ou une attitude sportive, nutritionnelle, etc. Ensuite, pourquoi pas se faire livrer des médicaments par Amazon, chez vous ? Et si vous êtes sur un bateau, pourquoi pas une délivrance par drone ? Je plaisante ! Mais, dans ce condiv, on va vers l’ubérisation des pharmacies classiques. Il ne faut pas lutter contre ça, mais s’ubériser de l’intérieur. C’est-à-dire être capable de créer une relation rapide entre l’offre et la demande, via des algorithmes. Le succès des Uber, Airbnb ou Netflix repose sur le fait qu’ils donnent instantanément la possibilité de comparer les offres, les prix et d’obtenir en un clic le service demandé. C’est la vitesse qui permet aux gens de consommer beaucoup. Par ailleurs, ces sociétés privilégient des systèmes d’abonnements à la vente de produits. Aujourd’hui, les pharmacies gagnent de l’argent sur la marge des produits vendus, l’industrie pharmaceutique sur la marge des médicaments. Or, il est plus intéressant d’inventer un métier de rente. Il est devenu plus rentable de vendre pas cher un abonnement à beaucoup de monde, que de marger sur des produits !

P.M. Quelle est votre définition du patient augmenté ?

J. de R. Le patient augmenté, c’est celui qui va sur Google et s’informe sur Internet sur l’intolérance au lactose, l’arthrite, etc. Il est devenu impatient, mais malgré cela, les médecins me disent qu’ils préfèrent discuter avec un patient augmenté, car c’est un atout pour le professionnel de santé qui sait l’écouter et dialoguer.

P.M.Comment l’intelligence artificielle peutelle impacter la pharmacie ?

J. de R. L’intelligence artificielle a deux impacts majeurs, sur le dialogue avec les patients d’une part, et sur la gestion des données d’autre part. Si la pharmacie devient un assistant de vie, il lui faudra dialoguer davantage. Certains robots, appelés chatbots, comme Alexa et Google Home, font ça très bien. Le pharmacien pourra remplacer le dialogue avec sa clientèle par un chatbot, tels que les call centers les utilisent. Ces derniers s’appuient sur l’intelligence artificielle et plus précisément “le deep learning”, qui étudie l’intonation de la voix. En fonction de la tonalité détectée (la bienveillance, l’agressivité, la bêtise, la douceur…), l’intelligence artificielle renvoie vers un robot parlant adapté. L’intelligence artificielle aiderait aussi le pharmacien à vérifier les interactions entre médicaments… L’intelligence artificielle irait même beaucoup plus vite que lui. Et plus la pharmacie va se transformer en espace santé, plus elle va accumuler de l’information sur les gens. L’intelligence artificielle pourra croiser toutes ces données beaucoup plus vite que l’humain.

→ Docteur en sciences, biochimiste, prospectiviste, écrivain… Joël de Rosnay est à la tête de la société Biotics depuis 1992, qui distille du conseil stratégique sur les nouvelles technologies, notamment dans les secteurs de l’Internet et des biotechnologies. Ce qui lui a valu d’être élu « Personnalité numérique de l’année 2012 » par l’Association pour l’économie numérique (l’Acsel). Désormais, cet octogénaire pédagogue vulgarise la science à la Cité des sciences et de l’industrie dont il est également conseiller du président.

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