Les pharmaciens doivent se préparer à devenir des commerçants numériques - Pharmacien Manager n° 155 du 24/02/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 155 du 24/02/2016
 

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Auteur(s) : Fabienne Colin

Ingénieur et énarque, Nicolas Colin est aujourd’hui reconnu comme un éminent spécialiste de l’économie numérique. Une (R) évolution qui, selon lui, n’épargnera pas l’officine. Il explique pourquoi la profession a intérêt à appréhender les nouvelles technologies…

« Pharmacien Manager ». Vous expliquez que nous quittons le paradigme de l’économie de masse pour entrer dans l’économie du numérique. Comment cela se traduit-il en santé ?

Nicolas Colin. La filière de la santé est composée de très nombreux acteurs : la médecine, la pharmacie, l’assurance…) aux métiers très réglementés. Du coup, sa transition numérique progressera certainement avec lenteur et difficulté, jusqu’à ce que le système bascule à un moment, pour des raisons difficiles à prédire aujourd’hui.

P.M. Y a-t-il des signes qui préfigurent ce changement ?

N.C. Dans des pays plus accueillants à l’innovation que la France, de nombreuses entreprises numériques investissent dans la filière santé. Cela crée des précédents pour des entrepreneurs d’ici. Deuxième signe, les patients ont commencé à prendre le pouvoir. Ils s’informent en ligne. Ceux atteints d’une maladie chronique ou rare rejoignent parfois des communautés de patients qui s’assistent les uns les autres dans le suivi de leur traitement. Cela installe les usagers du système de santé dans un continuum d’expériences avec le reste de l’économie numérique. Avec le temps, ces gens vont de moins en moins comprendre pourquoi la fluidité, la transparence et la qualité de l’expérience qu’ils ont dans l’économie numérique et dans cette niche des sites d’échanges entre patients ne se retrouvent pas dans le cabinet du médecin, dans leur pharmacie… Et pourquoi là tout redevient comme au XXe siècle avec des systèmes d’information hors d’âge, beaucoup de papiers, de lenteur, de bureaucratie… ?

P.M. Comment les pharmaciens peuvent-ils anticiper ?

N.C. On peut faire un parallèle entre les pharmacies et les libraires. La librairie est un secteur réglementé, avec des barrières à l’entrée imposées par des éditeurs, dont il faut souscrire aux conditions pour les circuits retour ; il faut respecter la loi Lang sur le prix unique, etc. Aucun libraire en place n’a réussi à transformer son activité. Leurs boutiques ont été balayées par la montée en puissance d’acteurs en ligne, en particulier Amazon. Les libraires, qui étaient comme les pharmaciens, très émiettés, sans grande tradition d’innovation, se sont révélés un maillon faible. Les pharmaciens pourraient subir le même sort. Ils peuvent toutefois mettre à profit le temps qu’ils ont devant eux – car il n’est pas facile de créer l’Amazon du médicament – pour préempter la position et devenir eux-mêmes des commerçants numériques.

P.M. La pharmacie indépendante a-t-elle son avenir en dehors de la révolution numérique ?

N.C. Non. Les usagers ne seront pas tolérants vis-à-vis des entreprises qui ne prennent pas ce train-là. En l’état actuel du droit, on peut imaginer que l’énergie entrepreneuriale et les nouvelles affaires numériques vont prospérer sur les maillons intermédiaires, là où sont les groupements d’achat. De plus en plus de valeur vont s’y concentrer. Mais l’officine aura l’avantage d’être au contact du client final. C’est une opportunité de diversifier ses services et produits, en s’appuyant sur sa connaissance de sa zone de chalandise.

P.M. Le pharmacien est-il menacé par une nouvelle concurrence, celle des startups ?

N.C. Difficile à dire. Il peut se développer une zone grise où certains entrepreneurs vont s’allier avec des utilisateurs très impatients qui vont forcer l’évolution des pratiques de place et du droit. C’est l’exemple des plombiers chauffagistes, métier qui voit poindre une nouvelle menace : de plus en plus, les clients ont déjà acheté la pièce de rechange – notamment chez Amazon – et n’attendent plus que de la main-d’œuvre. Or cela dérègle considérablement le modèle économique de cette profession. Dans le domaine de la santé, il existe déjà des manières de contourner le droit, par exemple lorsqu’on achète des médicaments à l’étranger. Le phénomène peut rester marginal très longtemps mais prendre de l’importance et donner des idées à d’autres…

P.M. Comment voyez-vous le parcours de soins évoluer ?

N.C. En matière de prévention, aujourd’hui Internet est le seul outil vers lequel les gens peuvent se tourner. On y trouve des divs difficiles à interpréter, trier, etc. On peut imaginer que le pharmacien s’équipe pour être beaucoup plus réactif et multicanal dans l’exercice de cette mission de premier recours. Pour cela, il doit être joignable par e-mail, par messagerie instantanée, opérer un réseau social de ses clients, s’appuyer sur un centre d’appels pour éviter de mobiliser les collaborateurs dans son officine… Tout cela peut devenir assez puissant. Dans cette configuration, la vente de médicaments ne deviendrait plus qu’une commodité. Elle serait une ligne de business parmi d’autres. Ce serait aussi une sorte de petite rente, d’assurance que des clients continueront à venir dans l’officine.

P.M. La révolution numérique signifie-t-elle l’explosion du virtuel en pharmacie ?

N.C. Oui. Le numérique bouleverse la relation entre les entreprises et les individus. Il révèle que nombreux sont ceux qui détestent se déplacer, attendre, voire téléphoner. On s’aperçoit qu’il existe plein de moments où on ne peut pas téléphoner : parce qu’il y a trop de bruit, on est dans le métro, on n’a plus de batterie, on n’a pas envie de parler à voix haute en présence d’autres… L’e-mail et les sites web ont été une révolution extraordinaire : ceux qui n’aimaient pas téléphoner ou se déplacer ont trouvé là d’autres moyens de communiquer. Donc les pharmaciens, comme toutes les entreprises, doivent être joignables par d’autres canaux. Surtout que les autres clients plus dociles, ceux qui s’accommodaient des modes de communication traditionnels, vont perdre l’habitude de passer un coup de fil ou de se rendre dans les boutiques. En théorie, notre pharmacie de référence est celle près de chez soi. Mais comme on est de moins en moins chez soi, sinon en dehors des horaires d’ouverture de la pharmacie, il n’y a aucune raison que notre pharmacie ne nous propose pas une autre façon d’interagir avec elle.

L’INVITÉ

Nicolas Colin SPÉCIALISTE DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

→ L’ex-inspecteur des finances Nicolas Colin a laissé sa carrière administrative pour se consacrer à l’économie numérique. Ainsi, il a fondé The Family, une société qui investit dans les startups. Il a publié en automne dernier un essai intitulé « La richesse des nations après la révolution numérique » paru chez Terra Nova et téléchargeable en ligne. Une partie entière de la réflexion est consacrée à la protection sociale des individus.

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