La profession en pleine mutation - Pharmacien Manager n° 146 du 17/03/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 146 du 17/03/2015
 

DOSSIER

STRATÉGIE

Auteur(s) : Fabienne COLIN

Le changement pour la pharmacie, c’est maintenant ! Des titulaires osent changer leurs pratiques pour monter en compétence. Reste à convaincre les patients, peu enclins à voir leur pharmacien évoluer, selon un sondage exclusif OpinionWay pour « Pharmacien Manager ».

Une officine française ferme tous les trois jours. Il y a urgence pour le titulaire à ne pas se reposer sur ses lauriers et à s’interroger sur le cap à donner à son entreprise. La loi HPST sème ses graines – même si les retombées économiques pour l’officine ne fleurissent pas encore –, la nouvelle rémunération à l’acte officinal pointe son nez… C’est bien le savoir-faire qui pourrait différencier demain les pharmacies entre elles et par rapport aux autres circuits de distribution. Seul bémol, les Français sont assez réticents à l’idée de voir leur pharmacie muter et plus encore leur pharmacien remplir de nouvelles missions, selon un sondage OpinionWay réalisé en exclusivité pour Pharmacien Manager (lire page 25). Dans ce condiv, certains titulaires osent changer leurs habitudes, se former pour proposer de nouveaux services, transformer leur pharmacie pour affirmer leur compétence.

Monter en expertise Pôles de compétences

A la Pharmacie Val d’Europe (CA : 9 M€, 350 m2) de Serris (Seine-et-Marne), plus personne n’est surpris quand un client demande Thomas. Ce n’est pas le patron de cette officine pilotée par François Leyravaud – à l’origine du groupement Forum Santé – et Marc Fouré depuis 2004. Ici, c’est le spécialiste de la diététique sportive, et sa réputation est désormais faite. De même, la clientèle appelle directement les orthopédistes pour un conseil ou se dirige vers une conseillère en dermocosmétique certifiée. Car ici on fait le pari de l’hyperprofessionnalisation. L’équipe compte 36 personnes dont sept pharmaciens, quatre orthopédistes orthésistes (l’un d’entre eux va partir en formation pendant un an pour une formation complémentaire), cinq collaborateurs formés aux prothèses mammaires, une nutritionniste (BTS diététique)… « On essaie d’avoir un spécialiste référent et un suppléant. On demande à chacun d’orienter les clients vers les plus compétents. L’idée est d’entrer dans le dialogue et le but c’est de satisfaire », explique Marc Fouré.

Le duo de titulaires aimerait aller encore plus loin dans l’innovation. « Nous voudrions agrandir de 150 m2 pour installer quatre ou cinq bureaux réservés à l’orthopédie (contre un seul aujourd’hui) et une salle d’attente, confie François Leyravaud. Les clients sont de plus en plus éduqués, ils ont besoin de professionnels pointus en face d’eux. Avoir des interlocuteurs de talent, c’est l’avenir de la pharmacie. Nous allons désormais nous faire connaître par nos savoir-faire. L’information sur nos compétences sera colportée par nos clients. Bientôt, de la même manière qu’on peut faire un détour pour une bonne baguette, on ira chercher un bon service dans telle ou telle pharmacie. »

Marc Fouré trouve toutefois compliqué de recruter des personnes diplômées loin de Paris et demande à chacun de suivre au minimum une formation par trimestre. « L’avenir passe par la montée en compétence, c’est une évidence », conclut François Leyravaud, qui admet avoir la chance d’être à la tête d’une entreprise en bonne santé où il peut se permettre de consacrer « un peu plus de 15 % du chiffre d’affaires à la masse salariale ».

OSER LA CONSULTATION

A Montaigu en Vendée, Xavier Reculeau, cotitulaire de la Pharmacie Soulard-Reculeau (CA : 2,2 M€, 100 m2 de surface de vente), propose des consultations payantes en homéopathie depuis septembre dernier. Ce choix ne doit rien au hasard. Installé depuis 2010 et intéressé par les médecines naturelles, il décide de se spécialiser en homéopathie. Une fois son DU en poche en 2012, il passe de plus en plus de temps à expliquer les vertus de cette médecine alternative. « C’était assez frustrant parce que les gens ont du mal à se confier au comptoir. » C’est quand il se met aux entretiens AVK que vient le déclic. « J’ai réalisé que nous, pharmaciens, savions mener des rendez-vous personnalisés. Alors pourquoi ne pas proposer des conseils personnalisés en homéo ?… »

En septembre dernier, il franchit le pas et commence à rédiger une présentation de l’homéopathie avec des mises en garde sur le fait qu’elle ne remplace pas les médicaments prescrits, que sa prestation ne se substitue pas au diagnostic d’un médecin… Il remet cette feuille aux clients qui prennent rendez-vous (en cas de troubles du sommeil par exemple). La première rencontre dure 45 minutes. « Elle est facturée moins chère que la visite d’un médecin. Mais il faut vraiment que mon temps soit rémunéré. » Après le premier entretien, le titulaire revoit en face-à-face le client, en général une à deux fois (le tarif de la consultation est alors moindre).

Xavier Reculeau a reçu 11 patients, pour 23 rendez-vous durant les cinq premiers mois. Certains sont venus de loin. Chacun repart avec un panier moyen « de l’ordre de 25/30 €, mais le but est surtout d’avoir le temps de donner des conseils pointus », insiste le titulaire. Petit à petit, il prend l’habitude de cette nouvelle façon de pratiquer. A tel point qu’il imagine dupliquer l’expérience, par exemple pour le suivi des personnes âgées, pour des bilans de médication…

Capitaliser sur l’interprofessionnalité Vers des actes rémunérés ?

Titulaire de la Pharmacie de la Grange (CA : 1,3 M€, surface de vente d’environ 140 m2) à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), Elisabeth Lemaure espère bien que les programmes de coopération interprofessionnelle vont porter leurs fruits. Et que les titulaires pourront y trouver une nouvelle source de rémunération. « Le chiffre d’affaires des officines va baisser, c’est inéluctable. Il y a plusieurs façons d’y remédier : se regrouper dans certaines villes ou ajouter des actes rémunérés en honoraires, comme la télémédecine. Certaines maisons de retraites sont en train de s’y mettre », avertit la titulaire. Elle sait de quoi elle parle : elle a une importante activité de PDA (préparation des doses à administrer) en lien avec un EHPAD proche, et elle est présidente de l’URPS-pharmaciens du Centre. Son officine est impliquée dans plusieurs expérimentations de coopération en lien avec l’ARS. Depuis 2011, Elisabeth Lemaure prend part également au programme PAERPA (parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie), qui lie le pharmacien, le médecin et l’infirmier. Une fois le patient identifié et avec son accord, l’équipe fait particulièrement attention à lui, selon une grille de fragilité (signes d’amaigrissement, ralentissement du rythme des venues à l’officine…).

Depuis, Elisabeth Lemaure a intégré un programme de coopération concernant les personnes risquant l’insuffisance rénale chronique, qui met en lien le pharmacien, le biologiste et le médecin. « La coopération, c’est l’avenir de la pharmacie si notre rôle est reconnu, insiste-t-elle. L’objectif des programmes pilotes auxquels je participe est de démontrer que le pharmacien fait partie intégrante du premier recours, qu’il est indispensable dans le parcours de santé. Au final, l’officine vivra grâce à la partie classique de son activité (l’ordonnance et le conseil) mais aussi se verra rémunérer pour ses actes de coopération. Il va falloir faire savoir notre savoir-faire. J’ai déjà commencé à éditer des leaflets sur le MAD par exemple. J’ai aussi un système qui permet aux diabétiques d’y déposer leurs piquants. Tous ces services, pour lesquels chaque titulaire doit trouver des financements, sont proposés en complément de l’ordonnance. Leur valeur ajoutée fera la différence. A terme, les gens préféreront aller là où il existe une attention sociale et médicale. Le flux viendra par la compétence. »

Afficher sa différence Hyperspécialisation

A quand une « pharmacie du diabète », « des personnes âgées » ou de la « jeune maman » ? Aujourd’hui, la France compte peu de pharmacies au positionnement clairement revendiqué. Pas celle de Maud Joffre et Muriel Rey. Les titulaires de la première pharmacie à l’enseigne Anton & Willem, installées à Grenoble depuis fin octobre 2014. La pharmacie de la Mauve présente uniquement des produits naturels dans la surface de vente, le reste est en back-office. Maud Joffre a quitté la pharmacie dont elle fut titulaire cinq ans, au moment où éclatait l’affaire du Mediator. Puis elle décroche le DU dijonnais de conseil en nutrition et micronutrition. Ensuite tout s’est enchaîné : la rencontre avec Muriel Rey, qui s’est ouverte aux médecines naturelles à la venue de son premier enfant, et avec les fondateurs d’Anton & Willem. « Ici j’ai le sentiment d’avoir le temps de la prise en charge », explique Maud Joffre après trois mois d’activité dans sa nouvelle officine. « Il existe une vraie complémentarité entre les approches naturelle et allopathique. Or dans une pharmacie classique on a aucun moyen de vraiment développer le naturel », renchérit Muriel Rey.

Installée devant un parking qui accueille un marché bio le samedi, la Pharmacie de la Mauve commence à trouver son public. Le bouche-à-oreille a démarré. « Ici, on touche une population qui ne serait sans doute jamais venue spontanément aux médecines naturelles. » Et les ratios sont pour le moins surprenants pour une officine qui vise un peu moins de 400 000 € de CA en année 1 : le médicament remboursé ne génère que 53 % de l’activité tandis que l’OTC pèse 31 % et la para 15 %. De quoi rassurer ces titulaires pionnières.

COMMUNIQUER AUTREMENT

Quand, en 2013, pour la première fois depuis son installation, la progression de son CA est inférieure à la moyenne nationale, Bertrand Allègre décide d’agir. Le titulaire de la Pharmacie de l’Hôtel de Ville à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) ose alors entreprendre des travaux et rapatrier la phytothérapie et l’aromathérapie devant son entrée principale. Celui qui développe cette activité de produits naturels depuis son arrivée en 2008 a relégué sa parapharmacie au fond. Une décision qu’il a mûrie avec l’agenceur Adam et du consultant George Duarte. Résultat, « la diététique a grimpé de 20 % et l’activité de parapharmacie n’a pas changé », se félicite le titulaire désormais à la tête d’une officine de 80 m2 de surface de vente et d’environ 1,5 M€ de CA. A la suite du réaménagement, le panier moyen hors ordonnance est passé d’environ 15,50 € à 17 €. « Cette valorisation du naturel permet d’augmenter l’activité en homéopathie, autour des mamans… Ce sont autant de gens qui viennent désormais avec leur ordonnance. Ils savent qu’ici on a un accueil particulier. » Ou comment mieux recruter en valorisant son positionnement

Témoignages

Marc Fouré et François Leyravaud

Cotitulaires de la pharmacie du centre commercial Val d’Europe à Serris

Xavier Reculeau

Cotitulaire à Montaigu

Elisabeth Lemaure

Titulaire à Joué-lès-Tours

Bertrand Allègre

Titulaire à Chalon-sur-Saône

Odile Manciot s’inspire de la grande distribution

Au sein du GIE La Rocade, en région bordelaise, on est convaincu que l’avenir du métier appartient aux grandes surfaces de vente. Ainsi, la Pharmacie de Picot à Saint-Médard-en-Jalles s’étend sur 600 m2. La titulaire, Odile Manciot, vient de transférer pour ouvrir en février 2014 dans le centre commercial Les Portes du Médoc. Là, elle applique moult techniques de la grande distribution. Et ça se voit. Les grandes allées sont bordées de linéaires et les espaces bien définis (santé, beauté…). Surtout, trois caisses sont alignées à la sortie, comme chez Auchan ou E.Leclerc. Trois hôtesses assurent donc la totalité des encaissements. Un système centralisé commun à quatre des six officines du GIE. « Nous ne pouvons plus vivre uniquement sur la marge du médicament. Dès lors, nous misons ici sur la surface de vente en développant tout : la contention, l’orthopédie, la micronutrition, l’aromathérapie. Même si l’offre est pléthorique, la pharmacie n’est pas un supermarché. » De fait, une préparatrice et une esthéticienne sont en continu dans la surface de vente pour aiguiller la clientèle. Soit en conseillant, soit en orientant vers les huit pôles d’ordonnance. Chaque salarié accompagne son client jusqu’en caisse. « Même si nous utilisons des techniques des GMS, mon axe de développement repose sur le conseil et la fidélisation », insiste Odile Manciot.

43 %

des personnes appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures – contre 30 % pour la population entière – se déclarent prêtes à voir le pharmacien prendre certaines missions du médecin.

DOMMAGE

Les Français n’ont pas repéré le pharmacien comme acteur de la coordination des soins.

59 %

des 18-24 ans – la clientèle de demain – pensent que les pharmaciens sont compétents pour diagnostiquer un domicile en cas de handicap, contre 37 % pour la population.

L’ESSENTIEL

→ Dans un condiv économique tendu, les titulaires actifs misent sur la formation et la compétence de leurs équipes pour se différencier auprès de leur clientèle.

→ Selon le sondage exclusif OpinionWay « Pharmacien Manager », les Français perçoivent peu l’éventail de savoir-faire potentiel d’une pharmacie.

→ « Concernant l’acquisition des nouvelles missions, les pharmaciens vont devoir se montrer d’autant plus pédagogues qu’ils s’adressent à des personnes âgées peu enclines au changement », analyse Nadia Auzanneau, directrice du département santé d’OpinionWay.

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