Cibler les patients chroniques - Pharmacien Manager n° 145 du 12/02/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 145 du 12/02/2015
 

côté point de vente

Auteur(s) : Fabienne Colin

Au placard la para ! La Pharmacie Tolstoï, à Villeurbanne, a choisi d’attirer les patients chroniques porteurs d’ordonnances. En prenant volontairement tout son temps pour la délivrance et le conseil associé. La sérénité règne et l’officine affiche une rentabilité au beau fixe.

Ce n’est pas parce que nous sommes lents que nous sommes mous », prévient d’emblée Barbara Le Boënnec, titulaire depuis 2011 de la Pharmacie Tolstoï à Villeurbanne. Dans son officine de quartier, la jeune quadra a adopté un parti pris très inhabituel et loin d’être lymphatique. Sa méthode : consacrer du temps aux malades. Le but : attirer les patients aux pathologies chroniques ou lourdes. Autrement dit, ceux qui reviennent tous les mois. Cette stratégie s’inspire de la thèse du pharmacien Jean-Patrice Folco (lire encadré p. 24), selon laquelle la rentabilité de l’officine provient davantage des longues ordonnances. Elle est donc corrélée à l’âge de la clientèle. A partir de ce constat, la stratégie de la pharmacienne consiste à satisfaire le client en tant que patient, en se concentrant uniquement sur son rôle de professionnel de santé. L’idée étant que le comportement de l’équipe va générer une grande confiance et des ventes plus rentables. Voici comment.

Faire savoir qu’on s’adresse seulement aux patients chroniques nécessite de la communication. Et pour attirer les malades, la titulaire de la Pharmacie Tolstoï emploie des moyens inédits et pragmatiques. Pour elle, capter les patients c’est d’abord ne pas capter les autres. Histoire d’éviter que les gens ne rentrent pour acheter une crème ou autre lotion, l’offre de parapharmacie a été drastiquement limitée à deux descentes. « Pour la déco », lâche volontiers celle qui conserve quelques marques de beauté pour éviter de passer pour une illuminée. De prime abord, l’endroit est assez déroutant. La pharmacie ressemble presque plus à une salle d’attente qu’à un commerce. La surface de 50 m2 est débarrassée de tous les meubles, sans présentoirs ni gondoles. Devant les caisses, seuls quatre fauteuils en rotin occupent un peu de l’espace. Sur les muraux, il reste 14 descentes de produits, présentant les quelques marques leaders des principaux segments de marché en OTC et parapharmacie. Quant aux vitrines, elles sont vides et laissent voir l’équipe travailler. « Comme on observe le boulanger pétrir son pain », aime préciser Barbara Le Boënnec, qui veut faire passer le message qu’elle n’a « rien à vendre ». L’objectif est clair : ne pas inciter à l’achat d’impulsion. La feuille de route de l’officine est totalement dévolue au cœur du métier du pharmacien. « Je souhaite que seuls les porteurs d’ordonnances rentrent chez moi », confie la titulaire.

Eloge de la lenteur

Barbara Le Boënnec a la volonté de bien servir ses patients. Pour cela, elle tient à leur consacrer du temps. Mais la pilule a eu un peu de mal à passer au début. Les gens s’impatientaient. Dans la file d’attente, certains se manifestaient volontiers en agitant leurs clés, se souvient la titulaire. Qu’à cela ne tienne, elle est prête à perdre des clients pour conserver uniquement ceux ciblés. Au contraire des stratégies habituelles fondées sur la génération du trafic. A la Pharmacie Tolstoï, à chaque personne qui vient pour la première fois, le staff explique qu’ici on prend volontairement du temps avec chacun et que les médicaments seront toujours en stock pour l’ordonnance suivante. Ces éléments clés du discours de présentation sont consignés dans un livre de bonnes pratiques peaufiné chaque année. L’officine pourrait presque adopter un slogan du genre « Bienvenue à la slow pharmacie » ou « Si vous êtes pressé, passez votre chemin ». Du fait de cette lenteur volontaire, la titulaire a commencé par perdre 17 % de sa fréquentation la première année d’installation.

Depuis, l’hémorragie est terminée. La fréquentation repart, même si elle n’atteint pas celle d’autrefois. Près de 26 000 clients sont venus en 2014, contre 27 300 en 2010. Aujourd’hui la clientèle sait que si elle attend c’est parce qu’elle aura droit à de l’attention et une réponse sur un ton serein à ses questions. Avec un tel trafic, chaque membre du personnel a en moyenne 20 minutes à consacrer à chaque client ! On passe parfois 45 minutes avec un patient. « Ce n’est pas un problème », insiste Barbara Le Boënnec. La titulaire est beaucoup au comptoir. Un endroit idéal pour communiquer ses valeurs par mimétisme et observer le comportement des salariés.

« Je prends mon temps. Et si une nouvelle recrue va trop vite, j’insiste auprès d’elle pour redire qu’on prend volontairement son temps. » Il n’y a pas de pression sur les ventes. La mission de l’équipe est simple : les ventes associées doivent porter uniquement sur les besoins exprimés. « On demande au patient s’il lui reste d’un précédent médicament avant de lui vendre une boîte. Cela génère une grande confiance et du coup le patient demande un conseil supplémentaire pour son mari, son enfant… Dès lors, trois ordonnances sur quatre génèrent des ventes associées. » L’équipe ne pousse pas à la consommation. A l’inverse, on laisse le client se livrer, demander une solution de lui-même. Le principe escompté : la mise en confiance va permettre des ventes supplémentaires ; elles vont générer un revenu additionnel au titulaire, lequel, en ciblant de grosses prescriptions, gagne déjà sa vie en délivrant des ordonnances très rentables.

Stock prévendu

Consacrer tant de temps aux patients nécessite d’avoir l’esprit libre des tracasseries administratives et de trésorerie. Pour cela, la pharmacienne, pourtant titulaire du Financial MBA de la Manchester Business School, s’est dotée d’une organisation épurée et d’un mode de gestion simplifié. Une des clés de sa réussite repose sur une politique d’achats peu banale. Point de palabres sans fin pour grappiller quelques points de remises auprès d’une multitude de marques. A la Pharmacie Tolstoï, 95 % des achats passent par le grossiste (CERP Rouen). La titulaire rencontre seulement une dizaine de laboratoires de para et d’OTC en direct (Urgo, Bayer, Reckitt, Boiron…). Concernant les génériques, elle a choisi Biogaran depuis le début et s’y tient. Là encore, c’est par simplicité et surtout par respect pour le patient, dont la couleur de la pilule reste inchangée au fil des années. « Le grossiste est ravi et les laboratoires aussi parce que j’ai la patate !, sourit-elle. Je pourrais bien vivre même sans la remise du grossiste. » Un discours de sérénité financière rare par les temps qui courent. Le concept repose sur la rentabilité du panier moyen et non sur la remise obtenue. La gestion des stocks de médicaments remboursés est déterminante dans le pilotage de l’entreprise. A la Pharmacie Tolstoï, on s’engage auprès des patients à avoir leur médicament en stock à chaque renouvellement de traitement. Et on s’y tient quel que soit son prix, car l’officine n’a pas de problème de trésorerie (particulièrement peu immobilisé par la para, très limitée). L’équipe se réfère beaucoup au DP et consulte systématiquement les achats précédents des patients. Notamment pour relever les incompatibilités entre des molécules – rôle de professionnel de santé oblige. Mais pas que. Quand la prescription est sur le point d’être renouvelée, le patient est invité à recontacter la pharmacie pour préciser si son traitement est prolongé ou modifié. De même, grâce à une grande écoute de la patientèle, l’équipe peut exceptionnellement bloquer le ré-achat automatique d’un produit face à un client amené à prochainement consulter un spécialiste qui va éventuellement changer son traitement. « Nous avons instauré une relation de confiance avec les patients. Ils nous tiennent au courant des changements de prescription », explique la titulaire. Du coup le stock de médicament remboursé (53 000 € soit 41,3 % du stock total), strictement adapté aux besoins de la patientèle, semble un investissement peu risqué, selon la pharmacienne. « Il est prévendu. » De plus, grâce à la constance de ses relations avec son grossiste, la pharmacienne sait que les éventuels invendus pourraient être repris facilement.

Empathie naturelle

Adopter une posture fondée sur la qualité des réponses apportées à des malades nécessite de la pédagogie et un management réfléchi. Ça tombe bien, Barbara Le Boënnec a rédigé un mémoire sur les ressources humaines dans le cadre de son MBA. De ces 1 000 heures de travail sur un sujet qui lui tient à cœur, elle retient notamment l’importance de l’ambiance, « incopiable ». Tout commence par l’entretien d’embauche durant lequel la titulaire cherche à savoir si la personne a une réelle « fibre santé » et une « empathie naturelle ». En plus du contrat de travail, le recruté signe un contrat moral qui s’appuie sur trois piliers : vouloir se former, assainir la situation en cas d’ambiguïté dans les relations avec les autres ou les patients, et être curieux. Cela va de pair avec un programme de formation consistant. Chaque semaine, les préparatrices et la titulaire suivent pendant les heures d’ouverture un module en ligne de la société Ma Formation Officinale. En toute logique avec le positionnement, l’ensemble du cursus porte sur le médical : diabète, hypertension, système nerveux central, AVK, asthme, contraception… La titulaire suit aussi ces cours. Deux fois par an au minimum, l’équipe entière assiste à des formations proposées par des laboratoires en orthopédie, aromathérapie et phytothérapie. Logiquement, les deux primes annuelles prévues pour l’équipe, équivalentes à un demi-mois de salaire chacune, sont fonction du comportement et non du chiffre d’affaires. Et chacun des deux entretiens annuels est l’occasion de revenir sur le contrat moral.

Emploi du temps de rêve

Aujourd’hui, la quiétude règne dans cette pharmacie. Les clients patientent dans le calme, assis ou debout. Pas de stress non plus chez la chef d’entreprise. Pragmatique, la pharmacienne a même, pour convenances personnelles, réduit les horaires d’ouverture d’une dizaine d’heures par semaine et ferme désormais le lundi matin. Sereine, comme son équipe, cette mère de famille se fait remplacer le mercredi après-midi, le vendredi après-midi et le samedi matin pour avoir du temps pour elle. Elle a aussi pris 11 semaines de vacances en 2014. Un luxe ! Résultat de cette stratégie strictement cœur de métier, il y a peu de clients de passage pour une crème anti-âge ou un dépannage de lait maternel. La clientèle vient essentiellement avec une ordonnance et elle a vieilli au fil du temps. Les six premiers mois le nombre des plus de 60 ans a grimpé de 50 %. Dès la fin de la première année, cette classe d’âge est passée de 26 % à 35 %. Le chiffre d’affaires ordonnances est désormais réalisé à près de 60 % par des 60 ans et plus, contre 20 % autrefois. Dans cette officine que la précédente titulaire avait mis deux ans à vendre, le CA a grimpé de 980 000 € en 2010 à 1,2 million d’euros à 2013. Mais, surtout, le manier moyen client (à 46 € ici contre 35 € en moyenne en France) et la rentabilité par client ont augmenté de 30 % au bout de trois ans. En 2014, le CA et le taux de marge, à 29 %, ont stagné, et ce, malgré les déremboursements et baisses de prix de certains médicaments. « C’est intéressant intellectuellement et financièrement », résume sans détour la titulaire. Avec quatre ans de recul, elle estime le modèle facilement « reproductible » ailleurs.

Pharmacie Tolstoï Villeurbanne (Rhône)

→ Equipe : 1 titulaire, 2 préparatrices

→ CA actuel 2014 : 1,2 M€ HT (stable versus 2013)

→ Taux de marge remise génériques incluses 2014 : 29 % (stable)

→ Surface totale : 70 m2

→ Surface de vente : 50 m2

→ Fréquentation actuelle : 75/80 clients par jour

Panier moyen :

→ Ordonnance : 45,76 €

→ Hors ordonnance : 11,40 €

→ Répartition du CA :

→ Médicaments (2,1 %) : 84,50 %

→ Médication familiale (5,5 % et 7 %) : 10,20 %

→ Parapharmacie (20 %) : 5,30 %

→ Site web : non

→ Groupement : non

Stratégie

Viser les patients âgés

Barbara Le Boënnec a appliqué à la lettre la thèse de son confrère Jean-Patrice Folco. De son analyse de la MDL des officines, il ressort que les personnes de plus de 60 ans porteurs d’ordonnances sont ceux qui génèrent à l’officine la meilleure rentabilité. En résumé, plus le patient est âgé, plus les ALD sont fréquentes, plus les ordonnances sont longues et plus elles sont rentables pour le titulaire. La stratégie de Jean-Patrice Folco est donc de cibler la clientèle de patients âgés. Puis de générer plus de chiffre d’affaires par ventes associées aux ordonnances, grâce à la confiance établie, la clientèle sollicitant d’elle-même plus de produits complémentaires. Les résultats à la Pharmacie Tolstoï sont probants :

→ Une ordonnance rapporte en moyenne en marge brute (hors remise) 11,38 € contre 9,45 € en France et 7,93 € dans la zone de chalandise (sur 12 mois à fin septembre 2014, selon IMS.)

→ La marge brute moyenne par vente (hors remise) se monte à 8,70 € par client, contre 7,42 € en en France et 6,37 € dans la zone de chalandise (sur 12 mois à fin septembre 2014, IMS)

Tableau de bord

L’ordonnance dans le viseur

Pour mesurer sa démarche, Barbara Le Boënnec suit quelques indicateurs économiques bien particuliers. Partant du principe que la marge des médicaments n’est pas liée au taux de TVA mais à leur typologie, elle garde un œil surtout sur trois paniers moyens : par ordonnance, hors ordonnance, et par client. Elle surveille aussi trois ratios : celui du nombre des ventes d’ordonnances sur la totalité des ventes et la part de marché des ordonnances sur la totalité du CA, et, enfin, sur le CA des porteurs d’ordonnance. Tout en imposant de ne répondre qu’aux besoins exprimés, en toute empathie, elle suit aussi pour chaque salarié le ratio qui reflète sa propension à déclencher une vente associée à l’ordonnance.

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