Mouiller sa chemiseen temps de crise - Pharmacien Manager n° 142 du 30/10/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 142 du 30/10/2014
 

dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

La situation de la pharmacie ne laisse guère le choix au titulaire : être attentiste, ou prendre des risques en augmentant la voilure. Et investir dans un projet de travaux, de transfert, de nouvelle activité… Certains confrères ont bravé la morosité ambiante pour retrouver le cap de la croissance.

Réagencer l’officine, s’automatiser, développer une nouvelle spécialisation ou encore transférer sont souvent les premières actions à entreprendre en temps de crise. Mais les effets escomptés seront-ils à la hdiv des investissements économiques et humains ? Les consultants s’accordent à dire que c’est dans les périodes difficiles que les plus dynamiques initient les plus beaux succès. Ce message, certains pharmaciens l’ont entendu et compris. Malgré le ralentissement de leur activité et le manque de visibilité, ils n’ont pas hésité à mouiller la chemise… pour réussir. Témoignages.

1° Agencement à plein tube

Cathy Willem au-dessus de la vague !

La crise n’a pas fait déjouer Cathy Willem. Exerçant à la Pharmacie des Cottages à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) depuis 2005, la titulaire a remis de l’ambition dans ses projets. « Après une période faste pour le CA durant les cinq premières années, la croissance a chuté et s’est rapprochée de zéro fin 2010 (+ 1,3 %) », explique-t-elle. Plutôt que de réduire la voilure, elle continue à avancer. « Je suis allée voir ma banque, avant que l’évolution de l’activité ne devienne négative, afin qu’elle finance mon projet d’agencement et de rachat des murs en SCI », explique-t-elle. Jusque-là, sa pharmacie n’avait jamais eu de lifting complet. « Ma pharmacie était la moins visible des trois officines du quartier, de plus elle côtoie un Franprix avec un accès donnant sur la galerie marchande qui a mal vieilli, décrit-elle. J’ai décidé de rénover et d’agrandir l’officine dans un souci esthétique et pour procurer un plus grand confort de travail à l’équipe. En centre commercial, les gens sont plus curieux qu’ailleurs et sont attirés plus facilement vers la nouveauté. »

Or, on le sait, un réagencement ne fait pas tout. Il doit être accompagné de mesures managériales voire d’une réorganisation complète de l’officine. Dans son nouvel espace de 110 m2 (dont 35 m2 pour le back-office + mezzanine pour la réserve), Cathy Willem référence de nouvelles gammes, redynamise le conseil, met davantage en avant ses spécialisations en médecines douces, crée une salle d’orthopédie… « Ce nouvel agencement a également eu un effet stimulant sur l’équipe, a instauré une nouvelle discipline dans l’organisation du travail (rédaction de fiches de poste, nouvelles répartitions des tâches) et la gestion des linéaires, des stocks et du merchandising. » Ce faisceau convergent d’actions redynamisantes a porté ses fruits : + 7 % de progression du CA global en 2011 et + 6 % en 2013, + 19 % sur les ventes de parapharmacie la première année.

Philippe Hénon en pilotage automatique

Il n’y a pas que la rigueur dans la gestion comme meilleur allié pour affronter un climat économique inquiétant. Ainsi, Philippe Hénon s’est installé à Rinxent (Pas-de-Calais) il y a 7 ans, et avait déjà en tête de transformer sa pharmacie. Mais pour franchir le pas, il attend le démarrage de plusieurs programmes immobiliers sur la commune. « Les travaux ont été différés jusqu’en 2011, alors même que cette année-là l’évolution du CA des officines était au plus bas depuis dix ans. » Si le réagencement de l’officine était dans ses plans de départ, en revanche, le projet d’automatisation (avec Optima de Mekapharm, un combiné automate et robot) était toujours en ballottage. La raison n’était pas que financière (enveloppe supplémentaire de 120 000 €). « Cette option a été validée avec l’équipe », précise Philippe Hénon, estimant qu’une telle décision concernant l’organisation du travail se prend collégialement. Avec la délocalisation au sous-sol de l’automate et l’agrandissement de la surface de vente (115 m2 contre 60 auparavant), cette pharmacie de 2 M€ de CA a gagné sur tous les plans : en exposition, en visibilité, en fluidité de circulation, en confort de travail, en temps économisé gagné en conseil…

Avec les effets conjugués des travaux et de l’automatisation, les résultats ont été immédiats. « Sur la première année, les CA en TVA 5,5 %/7 % et 19,60 % ont crû respectivement de 25,9 % et 27 % et la part du non-vigneté a grimpé de 18,80 % en juillet 2012 à 27 % en juin 2014 », détaille-t-il. La hausse de la fréquentation rejaillit aussi sur le CA vigneté (+ 2 % en moyenne par an). « Le rythme de progression annuelle du CA global sur les deux dernières années est de l’ordre de 5 % ».

L’optimisation de la masse salariale n’est pas le moindre des résultats : le ratio productivité du personnel, déjà au-dessus de la moyenne avant travaux (384 000 € par salarié équivalent temps plein), est dorénavant à 440 000 € (317 000 € pour 2013 pour la moyenne nationale, source : Fiducial Expertise). Soit un gain de productivité de 15 % ! Cerise sur le gâteau, une partie du temps libéré permet aussi à l’équipe de mieux se consacrer à la certification pour gagner davantage en qualité et en efficience. Grâce au cercle vertueux mis en place, Philippe Hénon devrait rentabiliser plus vite que prévu son investissement.

2° Et vogue le transfert

Olivier Denonain reprend son souffle

Assurer la pérennité de son entreprise peut être à l’origine d’une prise de conscience et d’une prise de décision stratégique d’acquisition ou de transfert. Ce fut le cas pour Olivier Denonain, titulaire d’une officine avenue de Versailles dans le XVIe arrondissement de Paris. Il y a trois ans, il a décidé de transférer son officine juste de l’autre côté du trottoir. Depuis longtemps, il lorgnait de derrière sa vitrine un local informatique plus spacieux et avec un meilleur emplacement commercial. « Au niveau du réagencement de l’officine, je ne pouvais rien faire dans mes anciens locaux, je n’avais que 5 mètres de façade et la configuration de la pharmacie était en couloir », se souvient-il. La baisse d’activité sur le médicament remboursable commençant à devenir préoccupante, il lui fallait donc agir. Même s’il n’a eu qu’à traverser la rue pour s’installer dans son nouveau local, juridiquement, l’autorisation n’est jamais automatique et il a dû respecter l’ensemble des dispositions opposables à tout projet de transfert de pharmacie. La réalisation de son transfert a demandé 1 an et demi et lui a coûté en tout 320 000 € (travaux, droit au bail..). « Il y a toujours des périodes de doute, des questions qui reviennent sans cesse : « Et si je n’avais pas transféré, que serait-il advenu ? »

Aujourd’hui, les résultats, à la hdiv de ses espérances, ont chassé toutes ses interrogations. « J’ai doublé ma surface de vente de 30 à 70 m2 et au prix du mètre carré dans le XVIe arrondissement, ça compte ! » Même si un transfert dans Paris intra-muros n’offre pas le même potentiel de développement qu’un transfert en périphérie dans une galerie marchande de centre commercial, Olivier Denonain ne regrette pas son investissement. « Avec ses 12 mètres de façade et la grandeur de la vitrine, la pharmacie a gagné en clarté et en visibilité, nous avons gagné en clientèle de passage, l’avenue de Versailles étant une artère à grande circulation. Une pharmacie plus glamour donne aussi envie à ceux qui y travaillent de s’investir, elle attire des profils d’assistants et de préparateurs qui présentent un potentiel intéressant. » Ce transfert a complètement modifié la structure du CA. Les ventes de parapharmacie ont augmenté de 20 % les deux premières années après transfert et leur part dans le CA est passée de 8 % à 13 %. La part de l’OTC a grimpé de 14 % à 17 % et enregistré une croissance de 22 % la première année avant de se tasser par la suite. Grâce à ce transfert, la pharmacie est moins dépendante des plans de rigueur des gouvernements successifs et parvient à compenser les pertes de marge sur le 2,1 % dont la part est tombée de 78 % à 69 %.

Luc Foray fait équipe

L’année 2006 est gravée dans toutes les mémoires des pharmaciens, elle marque une rupture définitive avec des croissances d’activité de 5 à 6 % l’an pour l’officine. Pourtant, l’année suivante, Luc Foray, installé à Pujaut dans le Gard, décide de transférer sa pharmacie sur l’axe le plus passant du village et d’y construire également un local où il partagera les murs avec des professionnels de santé médicaux (médecins) et paramédicaux (orthophonistes, infirmières, kinésithérapeutes). « Rien ne m’obligeait à bouger, il n’y a qu’une pharmacie à Pujaut, mais à l’heure où les médecins de campagne dévissent leur plaque, la création d’une maison médicale était un gage de sécurité pour mon fonds de commerce », explique-t-il. Luc Foray fédère assez facilement les différents professionnels de santé autour de ce projet de regroupement. « Ils exerçaient tous dans des locaux vétustes et voyaient également dans ce changement de locaux les moyens de dynamiser leur activité », ajoute-t-il. Financièrement, il assume seul, au travers d’une SCI familiale, la construction des locaux et la création d’un parking privé pour un montant supérieur à 1 M€ (hors agencement de l’officine).

Sur son nouveau « terrain de jeu » de 240 m2, Luc Foray développe de nouvelles activités (matériel médical…) et de nouvelles gammes (aromathérapie, phytothérapie…), recrute un préparateur à plein temps et un adjoint à mi-temps. « De 2007 à 2014, le CA de la pharmacie a progressé de 40 %, soit une moyenne de 5,7 % par an grâce à une hausse de la fréquentation plus que du panier moyen », précise-t-il. Sa situation financière est équilibrée : les loyers perçus par la SCI couvrent intégralement les échéances de remboursement des travaux et son niveau d’endettement a baissé grâce au développement du CA.

3° Formation bien ancrée

Ghislaine Karcher à la barre

Il est toujours plus facile de ne pas subir les événements quand le chef d’entreprise nourrit un vrai projet d’entreprise. Ayant repris la pharmacie de son père avec qui elle a travaillé pendant 8 ans à Schweighouse-sur-Moder dans le Bas-Rhin, Ghislaine Karcher a fait progressivement table rase des gammes que l’on trouve dans toutes les pharmacies. « Mon credo, c’est faire autrement que les autres et le slogan que je rappelle rituellement lors des réunions de formation avec l’équipe est que la compétence fait la différence. » Aussi a-t-elle investi dans la formation de son équipe. Objectifs : assurer la qualité du conseil au comptoir, sur des gammes peu connues mais à forte valeur ajoutée (Pranarôm en aromathérapie, Pileje en compléments nutritionnels) et sur une offre para recentrée sur des gammes thermales. Pour se démarquer, la titulaire mise sur un atout maître. Ghislaine Karcher est formatrice pour des organismes de formation continue et s’absente de la pharmacie 2 jours tous les 15 jours pour former ses confrères en homéopathie, phytothérapie, aromathérapie, allopathie et au conseil associé à l’ordonnance. A chacun de ses déplacements, elle emmène à tour de rôle un membre de son équipe (deux adjointes, six préparatrices et un apprenti) en formation. C’est une occasion en or pour ce pharmacien d’entretenir la motivation de ses collaborateurs à qui elle délègue totalement la responsabilité de rayons (gestion des commandes, réception des délégués pharmaceutiques, actions merchandising…). A l’officine, elle forme son équipe pour qu’elle devienne polyvalente sur le conseil. « Je suis respectée pour mes compétences et non pour mon autorité », explique-t-elle. Parallèlement, Ghislaine Karcher a actionné les autres leviers de motivation (reconnaissance de l’expertise et des résultats de chacun en entretien individuel, primes…). De leur côté, les clients expriment leur reconnaissance à l’équipe pour les conseils prodigués, font part spontanément d’autres besoins de santé. Ce qui génère du CA additionnel. Bilan des comptes : l’activité 5,5 %, - 7 % et 19,6 % progresse et représente maintenant 25 % du CA global. « Elle permet surtout de dégager des marges intéressantes sur des produits qui ne sont pas référencés chez mes concurrents. »

Françoise Lachaux surfe sur les consultations

Des pharmaciens s’approprient les enjeux et possibilités offertes par la loi HPST pour ouvrir de nouveaux horizons, à l’image de Françoise Lachaux, installée à Sauxillanges (Puy-de-Dôme). Passionnée de micronutrition, un segment en plein essor, elle a obtenu son DU à Dijon. Puis elle a investi dans le référencement des gammes Pileje et Nutergia. en parallèle, cette pharmacienne Giphar s’est lancée sur les conseils d’une autre affiliée dans les consultations payantes (en rapport avec certaines pathologies comme le diabète). « Je facture 39 € la première consultation et 23 € les consultations de suivi et me limite à une vingtaine d’entretiens par mois », précise-t-elle. Ces consultations représentent une formidable opportunité de conseils. Ainsi, Françoise Lachaux se rémunère principalement la vente de produits de micronutrition. « J’ai triplé mon CA sur Pileje (15 000 €) et sur Nutergia que j’ai référencé plus récemment, je réalise déjà 500 € par mois. » Une activité spécialisée très rentable qui permet à cette pharmacienne de dégager des marges importantes : de près de 40 % sur les produits. Sans compter la reconnaissance de la patientèle… et sa satisfaction personnelle !

« Je suis allée voir ma banque avant que l’évolution de mon activité ne devienne négative. »

Cathy Willem, installée à Tremblay-en-France

Rachat de clientèle

Virage réussi !

Comme dans l’immobilier, la période actuelle est propice aux acquéreurs. En pharmacie, les cessions de fonds étant loin d’être au meilleur de leur forme, un nouveau marché – le rachat de clientèle – émerge et peut sourire aux plus opportunistes. Avec son épouse, Stéphane Charbonnier a racheté une pharmacie d’1,7 M€ de CA, place Jacques-Froment dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Mais il ne se contente pas de cette seule acquisition. La pharmacie voisine la plus proche est en train de péricliter et, du fait de sa petite taille (700 000 €), elle est vite repérée par les agences de transactions qui proposent en priorité aux titulaires des alentours de racheter la clientèle pour supprimer une licence. Stéphane Charbonnier ne veut pas prendre le risque de voir cette opération de rachat/fermeture lui passer sous le nez. « Il fallait se décider vite ! J’ai racheté la clientèle pour 210 000 €, soit 30 % du CA alors que j’en ai récupéré 60 %, portant en quelques mois le CA de mon officine à plus de 2,1 M€», précise-t-il. En cumulant les prix d’achat de son fonds (près de 80 % du CA) et de la clientèle de son concurrent, le prix d’achat moyen pondéré tombe à 65 % du CA TTC. Ce pharmacien a ensuite entrepris des travaux. Résultat ? L’officine a grimpé à 2,4 M€.

F.P.

« La démarche de transfert suscite toujours des doutes mais le résultat en vaut le coup. »

Olivier Denonain, installé à Paris

« A la campagne, la maison médicale que j’ai financée est un gage de sécurité pour mon commerce. »

Luc Foray, titulaire à Pujaut

Management

Cinq conseils en temps de crise

Les indicateurs de l’officine sont au rouge ? C’est le moment de rebooster ses collaborateurs ! Le consultant Jean-Yves Burel vous confie la marche à suivre.

1. Rester zen en toutes circonstances : c’est dans la tempête que l’on reconnaît un bon capitaine.

2. Ne jamais se plaindre quand les affaires vont mal pour ne pas paniquer les salariés.

3. Ne pas cacher les mauvais résultats à son équipe, les présenter sans les dédramatiser.

4. Responsabiliser l’équipe, plus ça va mal, plus il faut lui donner des prérogatives pour créer ou relancer l’esprit d’entreprise, développer l’action collective.

5. Ne pas tomber dans le piège des compressions de charges de personnel. Le risque ? Entrer dans une spirale négative : moins de personnel au comptoir, moins de disponibilité et de services pour les clients, donc moins de fréquentation de l’officine.

« Je forme mes équipes car mon slogan est le suivant : la compétence fait la différence. »

Ghislaine Karcher, titulaire à Schweighouse-sur-Moder

Rentable

Investir dans la qualité

La démarche qualité est un moyen d’organiser et de mieux structurer les différentes tâches réalisées au sein de l’officine, de rendre les actions plus efficaces, de garantir la satisfaction des attentes clients. Certes, la démarche demande un investissement en temps humain non négligeable. Mais… les process qualité permettent de mettre en place des indicateurs de progrès, de les évaluer régulièrement afin de contrôler leur évolution. Selon Hélène Marvillet, présidente de l’association Pharma Système Qualité. « C’est ainsi que les équipes officinales parviennent à être proactives dans la mise en place de services et de leur suivi, à optimiser la marge et la trésorerie, à lutter contre les coûts cachés de la non-qualité. » Des coûts évalués entre 6 à 8 % du CA.

F.P.

« La face à face avec le client demande du temps mais est propice aux conseils. »

Françoise Lachaux, installée avec son mari à Sauxillanges

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