Jeunes titulaires : bien armés pour réussir - Pharmacien Manager n° 136 du 25/03/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 136 du 25/03/2014
 

Dossier

Auteur(s) : Fabienne Colin

Avant, les officinaux pouvaient compter sur leur seul diplôme pour exercer en toute prospérité. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, la nouvelle génération doit avoir d’autres armes pour réussir. Découvrez son profil, sondage exclusif Pharmaccess à l’appui.

Quand Romain Filloux s’installe l’année de ses 30 ans, cela ne relève en rien du hasard. Docteur en pharmacie option industrie et diplômé d’un MBA de Sciences-Po, le jeune homme a travaillé pour des cabinets de conseil et il sait ce qu’il veut : piloter sa propre entreprise. Il est titulaire, depuis 2006, de la Pharmacie Filloux Santé, aux Herbiers en Vendée. Au fil des agrandissements de son officine, passée de 100 à 350 m2 de surface de vente, il a développé de nouveaux segments comme la nutrition, la phytothérapie, les prothèses, le MAD… En parallèle, il impose un conseil de qualité à ses équipes. « Ce qui fera la différence à l’avenir, c’est la connaissance des pathologies », souligne le pharmacien par ailleurs créateur du site marchand jevaismieuxmerci.com. A la fois professionnel de santé et commerçant – deux casquettes assumées –, Romain Filloux est le reflet de sa génération comme le montre le sondage mené auprès des titulaires de moins de 40 ans, en exclusivité pour Pharmacien Manager par Pharmaccess, département du cabinet de conseil marketing santé Stethos (voir page 17).

1• Entrepreneurs de santé

Multispécialistes

Selon le sondage, le jeune installé a un profil d’entrepreneur de santé. Pour preuve : 65 % des titulaires interrogés déclarent avoir un projet prioritaire pour leur entreprise, et ces proactifs misent d’abord sur les entretiens pharmaceutiques (43 %). Seuls 2 % des titulaires ont un projet sur la parapharmacie. Les besoins numéro 1 en formation concernent les pathologies (34 %). Comme 40 % des titulaires sondés, Romain Filloux considère que sa pharmacie est « généraliste ». « Les gens doivent y trouver un peu de tout. Nous sommes les polytechniciens de la santé », explique-t-il. Et à y regarder de plus près, ces officines dites généralistes multiplient les spécialités de santé.

Dans sa petite officine parisienne au cœur du XIIIe arrondissement, Romain Hadad joue aussi la carte de la santé polyvalente. « Ici les personnes âgées sont nombreuses. Elles demandent beaucoup d’attention, des livraisons, du dépannage… Elles viennent souvent voir le pharmacien avant le médecin. Je passe beaucoup de temps avec chacune d’entre elles. Ces clients nous appellent souvent. Certains ont même le numéro de mon téléphone portable… Avec les réformes en cours, les pharmacies seront plus axées sur le conseil et le dépistage. Notre rôle ira bientôt bien au-delà de la délivrance », estime Romain Hadad. « Nous sommes des spécialistes du médicament et la pharmacie s’oriente vers le médicament. Pas vers la parapharmacie, mais vers le “soin”, c’est-à-dire la santé globale. Se spécialiser, c’est renoncer. Or il nous faut être partout », explique Grégoire Cuillerier, de la Pharmacie Maginot à Tours. Dans son officine, on fabrique des orthèses thermoformées, on s’est mis à l’herboristerie, on assure la préparation d’homéopathie en sous-traitance… Un tel nombre de spécialisations demande un réel investissement. Grégoire Cuillerier confie volontiers qu’après avoir été associé pendant trois ans à l’ancien titulaire, le départ à la retraite de ce dernier fut bienvenu. « C’est lié à mon caractère. Aujourd’hui mon épouse et moi sommes cotitulaires et propriétaires à 100 % de la pharmacie. »

Les jeunes montrent de la motivation pour leurs entreprises, auxquelles ils donnent une orientation technique. C’est sans surprise pour Joëlle Hermouet, consultante et formatrice en merchandising et stratégie commerciale en pharmacie : « Les officines se doivent d’être multispécialistes. Les jeunes actifs en ont conscience c’est pourquoi ils investissent beaucoup dans des transferts et des travaux pour se positionner en pharmacie de référence au niveau local. Ils savent le poids du médicament dans leur activité, et sont vigilants pour ne rien perdre dans un marché à la baisse. »

2• Maîtres d’un projet

Au service des patients

« Mon objectif est de cultiver l’image de bienveillance, comme l’annonce mon fronton avec les mots “écoute, conseil et bienveillance” », détaille Romain Cuillerier. La conjoncture économique et la loi HPST incitent à exercer autrement. La jeune génération de titulaires semble avoir entendu le message. Elle retrousse ses manches. Elle réfléchit à une véritable stratégie pour son officine. « Un pharmacien qui s’installe aujourd’hui sans se considérer comme un chef d’entreprise fait l’autruche. Il nous faut aussi avoir une ouverture d’esprit, savoir rencontrer des gens en dehors du secteur de la pharmacie », estime de son côté Lionel Bataille, 29 ans, cotitulaire avec Thomas Bien, 27 ans, de la Grande Pharmacie de Livron-sur-Drôme depuis janvier 2013 (CA 2012 : 2,15 M€, en progression l’an dernier). Ce duo-là, membre du GIE Rhône Vallée axé sur l’accompagnement, joue à fond la carte du suivi des patients. « Notre priorité, c’est la prise en charge globale du patient. Nous voulons d’abord exceller dans la délivrance de l’ordonnance. Les gens doivent percevoir la plus-value de notre officine », détaille Lionel Bataille, qui compte bien décrocher la norme ISO 9001 prochainement.

Dans son entreprise de 550 000 € de chiffre d’affaires, Romaric Millot, 35 ans, installé à la Pharmacie Notre-Dame dans le centre-ville de Dijon, aborde l’avenir d’une façon semblable. Son projet prioritaire concerne les entretiens pharmaceutiques et ses besoins en formation d’abord les pathologies. Fort conscient de cet enjeu mais contraint par 40 m2 de surface de vente, il porte une attention particulière au rangement de son bureau, cette pièce étant le seul endroit où il peut mener les entretiens. Alors qu’il aura terminé de rembourser son emprunt dans deux ans, il sait que l’avenir ne sera pas un long fleuve tranquille. Il sait qu’il va devoir, en quelque sorte, tout recommencer. « Pour ma pharmacie, le transfert est la seule solution. Ou la fusion. J’en suis à me poser sérieusement la question. Le but est de pouvoir exercer mon métier correctement compte tenu de la manière dont il va évoluer. Mon objectif est certes de pouvoir en vivre, mais aussi de faire ce qu’on me demande. Si demain je ne peux pas bien mener d’entretiens, c’est inutile. Cette évolution du métier aura l’énorme avantage de valoriser toutes mes compétences. C’est frustrant d’être un bon scientifique et d’être jugé au nombre de boîtes vendues. »

De fait, une large majorité des jeunes titulaires imagine la pharmacie du futur « plus axée sur les services ». « J’espère que nous allons nous concentrer sur notre cœur de métier, sur l’éducation thérapeutique, la lutte contre l’iatrogénie, le but étant de diminuer des hospitalisations… C’est une approche rationnelle de l’économie de la santé. Pour nous, c’est plus sain que d’être rémunérés uniquement sur nos ventes », poursuit Romaric Millot.

3• Plutôt gestionnaires

Bons acheteurs

Fini le temps où les titulaires réalisaient vraiment l’état de santé de leur officine quand le comptable commentait leur bilan annuel. Les moins de 40 ans se montrent plus gestionnaires. Certainement plus habiles en informatique que leurs aînés, 42 % d’entre eux regardent leurs tableaux de bord au moins toutes les semaines. Ils ne se contentent pas seulement de reluquer la courbe du chiffre d’affaires. « Nous observons aussi l’évolution des familles de produits comme la puériculture ou la parapharmacie en termes de ventes, de stock… », explique Lionel Bataille. Surveiller la santé financière devient aussi un mode de management, plus ou moins conscient. « Dernièrement, j’ai vu deux collaborateurs en train de compter le nombre de clients qu’ils avaient servis, dans une espèce de course. Parfois, nous comparons les records, sans objectif particulier », s’amuse Grégoire Cuillerier, satisfait de voir son équipe se prendre au jeu. En bon gestionnaire, il a réussi à faire passer le message qu’une entreprise en bonne santé, c’est aussi une excellente nouvelle pour ses salariés. Encore faut-il que le succès soit synonyme de formation et de montée en compétence pour tous.

C’est le cas à la Pharmacie Maginot, où est notamment organisée une réunion trimestrielle durant laquelle le pharmacien donne une formation sur les pathologies saisonnières. Au contact avec des titulaires toute l’année, Joëlle Hermouet remarque que les plus jeunes d’entre eux connaissent très bien leurs chiffres. « Ils n’ont pas le choix parce qu’ils ont des emprunts. Ils sont très vite inquiets, dès que la fréquentation baisse. Tout comme ils sont très vite contents dès la moindre progression !, relève la formatrice, avant de préciser : Ce sont aussi de meilleurs acheteurs que leurs aînés. Aujourd’hui, ils savent que l’achat est un levier important en termes de rentabilité. Dans le passé, les pharmaciens achetaient davantage pour se faire plaisir, sans trop regarder la valeur du stock. Car ils n’avaient pas trop de problème de trésorerie… »

La donne a changé, mais jusque-là elle n’interdit pas à ceux qui entreprennent de tenter leur chance et de réussir. Sans le sou, Sébastien Mora n’avait pas imaginé s’installer au sortir de ses études. C’était sans compter sur une demande de son maître de stage qui lui confie la gérance de sa pharmacie de huit personnes. Un véritable plongeon dans l’entrepreneuriat ! L’expérience sera suivie par quelques postes d’assistanat forcément frustrants. Et quand Sébastien Mora cherche une officine pour s’installer – petite, faute de moyens –, le hasard a voulu qu’il récupère celle d’un titulaire interdit d’exercice à La Rochelle. « De nombreux confrères la voulaient pour la supprimer, la transférer, mais peut-être attendaient-ils qu’elle soit encore moins chère ! » Et ça marche. Depuis 8 ans, le chiffre d’affaires de l’officine, qui a transféré en temps, progresse.

4• Bientôt managers

Ultra-impliqués

Les moins de 40 ans ont pris conscience que l’actuelle mutation du métier doit s’anticiper. Ils reconnaissent la nécessité d’une formation complémentaire. Le seul diplôme de pharmacien ne suffit plus, semblent-ils dire. En toute logique avec leur vision plus « éthique » de l’évolution de la profession, plus d’un tiers concèdent des besoins de formation complémentaire sur la santé. Mais ils sont également très nombreux à vouloir anticiper le tournant en s’initiant au management.

Comme 23 % de ses confrères interrogés, Sébastien Mora estime que son besoin prioritaire en formation concerne l’encadrement des équipes. Après 8 ans d’exercice, le titulaire de la Pharmacie Mora reconnaît les limites du « management à la papa. J’ai mis beaucoup de temps à déléguer car ma pharmacie, petite au départ, a grandi avec moi. Heureusement j’ai de la chance d’avoir une équipe très réactive », explique-t-il, oubliant, en toute modestie, que c’est lui qui a entièrement recruté son staff, en transférant d’une officine de 30 m2 à un emplacement ce 80 m2. « Aujourd’hui, je montre l’exemple. La prochaine étape passera par la norme ISO 9001. Cela va tous nous obliger à passer un cap, nécessaire à la pharmacie de demain. » Implanté à quelques encablures de deux grosses pharmacies dont une membre du réseau de discount Lafayette Conseil, le pharmacien est conscient de la nécessité de se remettre en cause en permanence et de monter en compétence, tant comme professionnel de santé que comme chef d’entreprise. « Aujourd’hui, on voit moins de disparités de modes de fonctionnement qu’auparavant. Tous les jeunes investissent dans leur outil de travail et les plus actifs d’entre eux essaient d’avoir une formation complémentaire de gestion, en école de commerce », observe la consultante Joëlle Hermouet. A la Grande Pharmacie de Livron-sur-Drôme par exemple, partant du principe que le management ne s’invente pas, les deux jeunes entrepreneurs membres du GIE Rhône-Vallée ont commencé par se former au management. L’un a suivi le module « titulaire manager », l’autre le module « titulaire motivateur » du cabinet Anticip. Tout le monde n’a pas anticipé. Une jeune titulaire pas encore trentenaire reconnaît sous couvert d’anonymat ses lacunes au milieu de son officine de 200 m2. Pour l’instant, elle se fait appeler par son prénom, mais elle a bien conscience que cela ne suffit pas pour être un manager. « Aujourd’hui il faut optimiser les équipes, savoir bien recruter, et demander des tâches de plus en plus diversifiées. Tout cela se manage. Le titulaire doit sélectionner les candidats pour structurer une équipe. C’est un phénomène nouveau », remarque Joëlle Hermouet. A contrario, sur le terrain, elle observe que les groupements et les grossistes concentrent leur budget formation sur les pathologies (en vue des entretiens), et non sur le management.

« Les jeunes titulaires en progression le sont parce qu’ils s’en donnent tous les moyens. Ils ne misent pas seulement sur le fait d’être de très bon conseil, ou très bon gestionnaire, ou très bon manager. Ils jouent sur l’ensemble des actions possibles en termes d’assortiment, de merchandising, de politique de prix, d’agencement, de formation d’équipe, de management…. Ces jeunes travaillent énormément, sont très présents et impliqués dans leur pharmacie et la maîtrisent bien », conclut Joëlle Hermouet.

Sondage exclusif Stethos-Pharmaccess

Des pharmaciens proactifs

Le sondage a été mené auprès d’un échantillon représentatif de 141 pharmaciens titulaires âgés de moins de 40 ans, du 23 décembre 2013 au 13 janvier 2014. Les personnes ayant répondu sont à la tête d’une pharmacie de 1 à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 55 % d’entre eux, de 2 à 3 M€ pour 22 %, moins de 1 M€ pour 14 % et plus de 3 M€ pour 9 %. 67 % sont des femmes. 39 % sont installés dans une agglomération de moins de 5 000 habitants, 27 % de 50 à 30 000 habitants, 23 % de plus de 100 000 habitants et 11 % de 30 000 à 100 000 habitants.

laboratoires

D’abord attendus sur les prix

Avec la prise de conscience de l’importance de bien acheter, 75 % des jeunes titulaires interrogés par Pharmaccess attendent d’abord un bon rapport qualité/prix de la part des laboratoires. Seuls 11 % sont en demande d’outils d’éducation thérapeutique. Et la formation assurée par les labos ne répond aux attentes que de 9 % des sondés. Reste que certains jeunes pharmaciens comptent sur le soutien des laboratoires pour une meilleure qualité de leur exercice. « Je préférerais que les visiteurs médicaux passent moins chez les médecins et viennent nous présenter les nouveautés, les nouvelles AMM », explique Sébastien Mora (installé à La Rochelle).

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