Gardez la patate ! - Pharmacien Manager n° 135 du 20/02/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 135 du 20/02/2014
 

Dossier

Auteur(s) : Yves Rivoal

Chiffre d’affaires en stagnation ou en berne, marges de plus en plus serrées… Votre pharmacie a, comme tant d’autres, besoin de retrouver un peu d’oxygène. Pourquoi ne pas lui offrir une bonne cure de diététique et nutrition ?

De manière générale, les pharmaciens exploitent mal le potentiel du marché de la nutrition, qui pourrait pourtant constituer pour eux une véritable source de revenus », juge Loïc Bureau, directeur d’IFAS, un organisme de formation et de conseil spécialisé dans la diététique et la nutrition. Les officines ont devant elles une opportunité de développer leur marge, leur expertise. A condition d’en prendre conscience ! Diététique minceur, nutrition sportive, nutrition entérale ou micronutrition, quel sera votre choix ?

1• Reprendre goût aux marchés

Gage de réassurance

« Si l’on braque les projecteurs sur la diététique minceur, les pharmacies ne captent que 10 % d’un marché estimé à 120 M€ par an, très loin derrière la GMS (65 %) et les autres canaux de distribution que sont la vente directe, la vente par correspondance et Internet et les magasins spécialisés dans la remise en forme », rappelle Jean-Loup Allain, secrétaire général du Syndicat français de la nutrition spécialisée. Pour comprendre le recul des officines sur ce secteur, il faut selon lui remonter au début des années 2000 : « Les pharmaciens se sont progressivement détournés des substituts de repas et des hyperprotéinés pour se concentrer sur les compléments alimentaires minceur, lesquels ont vu leurs ventes chuter à partir de 2005. » « Ce marché a par ailleurs beaucoup souffert ces dernières années avec les effets de mode de régimes comme Dukan », complète Hervé Davin, directeur général de Diététique et Santé (marques Milical et Vitaflor).

Constat identique du côté de la nutrition clinique qui échappe elle aussi en grande partie aux officines, comme le confirme Loïc Bureau : « Les pharmaciens maîtrisent mal ces produits qui doivent parfois être associés à d’autres prestations comme la fourniture de nutripompes. Ce qui implique d’assurer une maintenance sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Ce n’est donc pas un hasard si ce sont les sociétés de matériel médical qui ont capté la plus grande part de ce business. » Des concurrents, les pharmacies en ont aussi sur la nutrition sportive avec les grandes surfaces spécialisées dans le sport –  qui se sont arrogé, d’après Xerfi, 75 % de parts de marché – et Internet.

Cet état des lieux somme toute assez sévère pour les officines incite pourtant Anthony Berthou, fondateur du laboratoire Effinov, à l’optimisme sur le marché des compléments alimentaires. « La nouvelle réglementation sur les allégations va permettre d’homogénéiser et d’assainir le marché car il ne sera plus possible d’asséner des promesses nutritionnelles sans preuve scientifique à l’appui. » Dans ce condiv de médicalisation croissante, les pharmaciens auront, selon lui, un rôle essentiel à jouer. « Les traditionnels réflexes d’autoconsommation de compléments alimentaires sont en train de céder la place à une demande de prise en charge par des professionnels de santé capables de prescrire des solutions efficaces et personnalisées. »

Plus que jamais, les consommateurs ont besoin de réassurance et d’efficacité. Ce qui fait dire à Loïc Bureau que « si les pharmaciens investissaient sérieusement le marché de la nutrition minceur, ils pourraient enregistrer des croissances de 20 à 30 %, le potentiel étant probablement encore un peu plus important sur la nutrition clinique. Et il est tout à fait possible d’inverser la tendance sur les compléments alimentaires pour espérer renouer avec des croissances de 5 à 15 % par an. Mais avant de récolter, il faut semer… ».

Quels ingrédients ?

Et, avant de semer, il faut choisir un angle d’attaque, lequel est le plus souvent déterminé par une appétence ou la typologie de la clientèle. Ancienne championne de France de tennis et de golf, Laurence Pitet, titulaire de la Pharmacie Centrale à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), s’est tout naturellement lancée dans la diététique sportive, il y sept ans : « Je voulais concilier mon métier et ma passion du sport ; et j’ai toujours considéré que pour se démarquer de la concurrence, il faut proposer des services innovants. » Si Brigitte Châtel, titulaire de la Pharmacie Châtel à Paris (XVIIIe), a elle aussi décidé d’investir dans la nutrition sportive il y a dix ans, c’est sur les conseils d’un stagiaire qui préparait un BTS commercial. « Il a constaté que notre clientèle était dans l’ensemble assez jeune. Après avoir cherché de l’information dans les journaux sportifs, nous avons pris rendez-vous avec trois laboratoires, Equilibre Attitude, Inko et Ineldea. C’est comme cela que nous avons démarré avec sept étagères de produits protéinés. »

Titulaire de la Pharmacie de l’Avenue à Avrillé (Maine-et-Loire), Dominique Callerot a, elle, ciblé la femme enceinte il y a maintenant cinq ans. « Je sentais que le vent était en train de tourner sur les marges et qu’il fallait développer de nouveaux services. Comme dans mon quartier il y a beaucoup de nouvelles constructions, avec des familles et des bébés, j’ai décidé d’investir dans l’accompagnement alimentaire des futures mamans en m’appuyant sur l’une de mes préparatrices qui avait émis le souhait de développer cette activité lors d’un entretien annuel. »

2• Conseiller sans modération

Equipe formée

Le positionnement choisi, il faut obligatoirement passer à l’étape de la formation (voir encadré page 17) de toute l’équipe. Dominique Callerot a ainsi envoyé sa préparatrice référente puis une autre de ses collègues à suivre les mêmes formations qu’elle (accompagnement de la femme enceinte) afin d’instaurer une complémentarité et un roulement au sein de l’équipe. « Et mes deux spécialistes en diététique ont aussi pour mission de former leurs collègues tout au long de l’année. » Cotitulaire avec son mari de la Pharmacie du Bien-être à Pouilly-sur-Loire (Nièvre), Maud Mingeau a, elle, suivi une formation de deux jours sur la micronutrition à l’Institut d’études et de perfectionnement Giphar, pour enchaîner ensuite avec un DU « alimentation santé et micro-nutrition » à la faculté de médecine-pharmacie de Dijon afin d’appuyer son projet de consultation nutritionnelle à l’officine (voir Pharmacien Manager n° 124). « Et comme je voulais que l’ensemble de l’équipe soit capable de délivrer du conseil, nous avons investi dans l’achat d’un e-learning auprès de l’IEP Giphar, en partenariat avec le Scientific Institut for Intelligent Nutrition, afin d’apporter trois quarts d’heure de formation chaque semaine à tous les collaborateurs. »

Consultations à la demande

C’est sur la qualité du conseil que va aussi se jouer le développement du rayon. Toutes les pharmacies interrogées ont d’ailleurs mis en place un dispositif de consultations. Et, sur ce plan, Maud Mingeau a placé la barre très haut. Elle consacre en effet trois jeudis sur quatre à des consultations diététiques facturées aux patients 46 € pour le premier rendez-vous d’une heure et 23 € les séances suivantes de 30 minutes. En un peu moins de trois ans, elle a déjà dispensé 500 consultations qui respectent toujours le même protocole. « Au début de l’entretien, j’essaie de cerner la psychologie de la personne pour ensuite définir avec elle un plan alimentation santé personnalisé. Les dernières minutes sont consacrées aux préconisations produits et à la prise du prochain rendez-vous. »

Laurence Pitet rencontre le même succès puisqu’elle assure chaque jour une dizaine de consultations gratuites sur la nutrition sportive. « Je suis même obligée de limiter à deux par jour les premiers rendez-vous qui durent une heure. » N’arrivant plus à satisfaire la demande – il y a actuellement trois mois d’attente pour obtenir un rendez-vous diététique – elle a initié sur le site Internet de sa pharmacie (www.lapharmaciecentrale.fr) un programme de coaching diététique en ligne. « L’internaute n’a qu’à remplir un formulaire que je m’engage à traiter dans les trois jours. Ce qui me permet de ne pas perdre de clients puisque j’ai aussi mis sur le site un module de vente en ligne. »

Trois ans après le lancement de ce nouveau service, Laurence Pitet gère une trentaine de programmes de coaching en ligne chaque mois.

3• Savoir allécher

Rayon au point

Votre équipe est opérationnelle. Reste à déterminer l’exposition. Maud Mingeau s’apprête à engager une minirévolution sur son point de vente pour faire savoir ses compétences. « Maintenant que mon équipe est au point, je vais déplacer à l’arrière de la pharmacie tout ce qui est dermocosmétique pour mettre en avant la micronutrition, la phytothérapie, l’aromathérapie et l’allopathie. En faisant cela, j’adresse un message clair à mes patients. Je suis un professionnel de santé, pas un vendeur de produits de beauté. »

Positionné sur le segment de la minceur depuis sept ans, Alexandre Lipszyc, titulaire de la Pharmacie du Rond-Point des Champs-Elysées à Paris, a fait évoluer son rayon au fil des soubresauts du marché. « Lorsque j’ai démarré, j’avais jusqu’à trois descentes “diététique” entières près des comptoirs. Le déclin des compléments alimentaires et des produits hyperprotéinés m’a incité à réduire la surface à un seul linéaire. Je mets désormais l’accent sur des compléments alimentaires de la marque Solgar qui ont la particularité d’être des produits simples, très concentrés et sans aucune promesse alléchante sur l’emballage. Ce changement de stratégie a porté ses fruits car les patients reviennent désormais régulièrement pour prolonger leur cure, ce qui n’était plus le cas avec les produits minceur. »

Laurence Pitet consacre, elle, 30 % de sa surface de vente à la diététique et à la nutrition avec trois linéaires au rez-de-chaussée, et pas moins de 18 étagères sur un mur de 12 mètres de long au premier étage, juste à côté de l’espace confidentiel où elle reçoit les sportifs en consultation. Sur cette surface conséquente, elle a fait le choix de ne présenter que deux gammes : Milical pour les régimes hyperprotéinés féminins,et Eafit pour la nutrition sportive. « Dans cet univers, cela ne sert à rien de référencer des milliers de produits, l’important est de travailler un objectif », confie Laurence Pitet. Dominique Callerot a, elle aussi, choisi de se concentrer sur deux laboratoires : Pileje, pour tout ce qui touche à la vitalité, au sommeil et au stress, et Effinov pour les apports nutritionnels pendant la grossesse et après l’accouchement. « Le fait de n’avoir que deux gammes nous permet de bien maîtriser les produits et donc de mieux les conseiller », souligne-t-elle. Se limiter à un choix restreint de laboratoires permet aussi de faire jouer l’effet volume et donc de bénéficier de remises plus importantes… dans un univers très concurrentiel. Cette stratégie de concentration de l’offre est plus difficilement applicable aux régimes hyperprotéinés, comme le rappelle Hervé Davin. « Si vous ne proposez pas du choix et de la variété, la consommatrice risque de se lasser. » Milical, comme ses concurrents d’ailleurs, ne cesse d’innover. Il vient de lancer une nouvelle gamme de substituts de repas Go Minceur. « L’objectif est de redynamiser cette catégorie à l’officine en faisant revenir les clients qui se détournent de l’automédication pour privilégier un accompagnement par un professionnel de santé. » Sur la minceur, l’enjeu passe aussi par la désaisonnalisation. « Les mises en avant ne peuvent plus se limiter au mois de mai qui concentrait autrefois 60 % des ventes, conseille Jean-Loup Allain. Désormais, la demande se retrouve toute l’année, avec un gisement de création de valeurs important du fait du besoin de conseils pertinents de la part des dix millions de personnes qui suivent des régimes chaque année… »

4• Faire recette

Investissement rentable

A l’heure du bilan, tous les pharmaciens interrogés ne regrettent pas leur investissement. Chez Dominique Callerot, la diététique et la nutrition représentent 10 % du CA de l’officine, « et ce n’est pas fini puisque la croissance enregistrée sur le rayon est en moyenne de 25 % depuis cinq ans ». Même Alexandre Lipszyc, qui aurait pu subir de plein fouet la chute des régimes hyperprotéinés et des compléments alimentaires minceur, dresse un bilan plus que positif puisque son rayon progresse en moyenne de 10 % par an. « Je me suis recentré sur le conseil de la gamme Solgar, sur laquelle je parviens à marger à 40 % en pratiquant les prix du marché. » Brigitte Châtel fait le même bilan sur la nutrition sportive. « Lorsque vous prodiguez de bons conseils, le patient ne regarde pas le prix. Il n’y a donc aucune raison d’alimenter la guerre des tarifs sur un segment où je marge à 40 %, sans être plus cher que le site Eafit. »

Pour Laurence Pitet, le coaching du sportif a même changé le regard qu’elle porte sur son métier. « La cosmétique est devenue le cadet de mes soucis. Aujourd’hui, je mise tout sur le conseil et la prestation de services, et ça marche car le rayon nutrition sportive représente 20 % de mon CA sur la parapharmacie et la médication familiale. »

Cap vers la fidélisation

Au-delà des retombées financières sur le CA et la marge, tous les pharmaciens interrogés s’accordent pour dire que la diététique constitue aussi un puissant levier de fidélisation dès lors qu’un accompagnement est proposé aux patients. « C’est bien simple, les sportifs qui nous font confiance sont les clients les plus fidèles de l’officine », confie Brigitte Châtel. Cette fidélité, Dominique Callerot la constate elle aussi avec les mamans que son équipe suit pendant et après la grossesse. « Comme ces femmes apprécient en général notre accompagnement à un moment important de leur vie, c’est une vraie relation de confiance et de proximité qui s’installe dans le temps, et qui nous permet de voir grandir leurs enfants. » Pour Maud Mingeau, qui délivre des entretiens diététiques payants dans son officine, le calcul est vite fait. « Il faut déjà compter entre quatre et six mois pour un programme de rééquilibrage alimentaire, et près d’un an dans le cadre d’un objectif de perte de poids. Lorsque le résultat est à la hdiv des espérances, le patient vous exprime sa reconnaissance sur le long terme » Pour ne pas dire « à vie ».

Micronutrition

Régalez-vous !

Plus qu’un terme marketing pour faire sérieux, la micronutrition vise à rééquilibrer les déficits de l’organisme en micronutriments (vitamines, minéraux, acides gras essentiels, etc.) et à assurer leur meilleur assimilation. Pionnier et vecteur de cette discipline, le laboratoire Pileje en a fait une véritable « médecine de prévention ». D’autres laboratoires comme Effinov (qui propose un logiciel d’aide au conseil nutritionnel) et Nutergia l’ont suivi. Avec le même positionnement : médicaliser l’approche du complément alimentaire. Et ça marche. Le réseau de pharmacies partenaires Pileje gagne un millier de nouveaux membres chaque année. Le succès de la micronutrition est au rendez-vous dès lors que l’équipe est formée. « Quand nous avons lancé la micronutrition il y a cinq ans, nous n’avions qu’une seule étagère où l’on ne traitait que les plaintes majeures des patients comme la fatigue, le sommeil, le stress et la minceur. Aujourd’hui, le linéaire occupe un mur d’environ 4 mètres de long près des comptoirs (avec les marques Arkopharma, Effinov, Nutergia, et Pileje), au cœur de l’espace pharmacie », témoigne Orfia Hamrioui, pharmacienne référente nutrition-micronutrition à la Pharmacie Secrétan à Paris. Une croissance qui n’étonne pas Loïc Bureau. « Si j’étais pharmacien d’officine, je ferais des compléments alimentaires hors minceur ma première priorité car ils deviendront demain un produit basique de première nécessité, un peu comme le dentifrice. » Y.R.

Groupements

Diététiciennes sur un plateau

Présent sur la nutrithérapie avec ses MDD B Concept Nutri et B Concept Minceur, le groupement Plus Pharmacie « vend » aussi l’intervention de diététiciennes aux pharmacies du réseau. « Nous travaillons avec treize professionnelles indépendantes qui se déplacent pour délivrer des consultations gratuites et faire la promotion de nos gammes, confie Stéphanie Folléa, directrice marketing et services de Plus Pharmacie. Et ça marche, puisque nous avons organisé en 2013 pas moins de deux cents journées. Nous avons également deux diététiciennes en interne qui se déplacent tous les jours dans les officines pour former les équipes. » Pionnier, le Groupe PHR permet depuis 2010 à tous les officinaux de disposer de diététiciennes diplômées d’Etat, au travers du groupement d’employeurs Team Pharma (adhésion de près de 300 € par mois). « Les pharmaciens peuvent ainsi répondre aux préconisations de la loi HPST en matière de prévention et d’éducation à la santé », souligne Lucien Bennatan, président du groupe PHR. L’occasion pour les pharmaciens de ne pas s’en tenir à la minceur, mais de proposer aux patients atteints de maladies chroniques des consultations gratuites de diététiciennes et un suivi personnalisé. Y.R.

FORMATION

Les DU au menu

Au-delà des programmes mis en place par les laboratoires et les groupements (comme Plus Pharmacie), les pharmaciens qui souhaitent avoir une formation pointue s’orienteront vers les DU : nutrition et diététique, nutrition et activités physique et sportive, nutrition et maladies métaboliques ou nutrition et vieillissement. « Pour les équipes officinales, ces DU constituent la solution idéale car ils se déroulent en général sur une année et le week-end, explique Michel Narce, responsable du master professionnel nutrition-santé à l’université de Bourgogne. Et même s’ils ne donnent pas droit au titre de diététicien, ils apportent toutes les compétences requises pour délivrer des conseils clairvoyants aux patients et décrypter les arguments des laboratoires. » Y.R.

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