L’Intervention Pharmaceutique - Le Moniteur des Pharmacies n° 3441 du 26/11/2022 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3441 du 26/11/2022
 

Cahier Formation

CONSEIL

Auteur(s) : Julien Gravoulet*, Felicia Ferrera Bibas**, Sandrine Masseron***, Eric Ruspini****, Jean-Didier Bardet*****, Guillaume Gory-Delabaere******, Cécile Bourrier*******, Stéphanie Satger********

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Principes généraux

Les interventions pharmaceutiques (IP) font partie intégrante de la démarche de pharmacie clinique et sont issues de l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance. La structuration des IP réalisés à l’officine est indispensable pour assurer leur traçabilité. Par ailleurs, la documentation et l’analyse des IP est un enjeu majeur pour la reconnaissance du travail du pharmacien d’officine, tant par les patients que par les autres professionnels de santé et la collectivité.

DÉFINITION

• Selon la Société française de pharmacie clinique (SFPC), une intervention pharmaceutique (IP) est une proposition de modification de la thérapeutique, faite à l’initiative du pharmacien, en lien avec un ou des produits de santé. Elle comporte l’identification, la prévention et la résolution des problèmes liés à la thérapeutique chez un patient donné.

• La formalisation de ces interventions, ainsi que la standardisation de la grille d’analyse et le recueil des IP contribuent à une mise en sécurité du patient, à maintenir une continuité de soins et participe à la démarche d’assurance qualité.

TRACER L’INTERVENTION PHARMACEUTIQUE

• La SFPC recommande que chaque intervention pharmaceutique soit tracée dans le dossier du patient et/ou sur la prescription. Par ailleurs, le recueil et la centralisation des IP est une démarche promue par la société savante avec pour buts :

- d’obtenir une base de données individuelle propre à chaque officine, mais aussi collective afin d’évaluer qualitativement et quantitativement les interventions recueillies de façon anonyme ;

- de contribuer au bon usage du médicament et de faciliter les échanges pluriprofessionnels par constitution d’un observatoire des pratiques pharmaceutiques. Cet observatoire permettra de contribuer à la meilleure connaissance des pratiques pharmaceutiques et à une valorisation de cette activité auprès des décideurs.

• Dès 2003, la SFPC a créé en milieu hospitalier un outil de codification des IP, adapté par la suite à l’officine. A l’origine, le renseignement des IP se faisait sur papier. Depuis le 1er janvier 2022, une plateforme de recueil en ligne par les pharmaciens d’officine, Act-IP officine, élaborée par la SFPC associée à l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens Grand-Est, est accessible gratuitement : actip-officine.sfpc.eu.

POURQUOI DOCUMENTER LES INTERVENTIONS PHARMACEUTIQUES ?

Valoriser l’activité pharmaceutique

Les interventions pharmaceutiques sont le reflet de l’activité d’analyse d’ordonnance au cours de la dispensation. En les comptabilisant, les officinaux démontrent qu’ils réalisent des IP quotidiennement. Le recueil des IP permet également de quantifier et de qualifier le travail intellectuel de dispensateur. Les données documentées dans Act-IP officine constituent un observatoire de santé publique soutenu par la SFPC qui permettra la réalisation de larges analyses et études sur les pratiques pharmaceutiques à l’officine pour promouvoir la reconnaissance de ces activités auprès des décideurs ainsi que des organismes payeurs et de tutelle (ministères, agences de santé, mutuelles, etc.).

Améliorer ses pratiques professionnelles

• Documenter et analyser les IP réalisées par l’équipe officinale permet d’améliorer le service rendu au patient. Il est ainsi possible d’identifier les classes thérapeutiques les plus génératrices d’IP et de mettre en place des actions de formation spécifiques.

• Ces actions contribuent aussi à la démarche qualité. Elles concourent à améliorer l’examen des problèmes rencontrés et des actions mises en œuvre pour les résoudre.

• Cette analyse permet aussi d’identifier des situations à risque : un patient est-il plus fréquemment associé à certains problèmes liés à sa thérapeutique ? Un prescripteur rencontre-t-il des difficultés avec certaines classes thérapeutiques ? Repérer ces situations permet de mettre en place des actions plus systémiques telle qu’une information aux prescripteurs.

Soutenir l’interprofessionnalité

L’analyse des IP déjà réalisées et acceptées par les prescripteurs permet de travailler avec ces derniers sur un livret thérapeutique local et concerté ou un protocole de coopération afin de proposer de façon plus efficace des solutions face à une situation récurrente. Par exemple, un accroissement des ruptures d’approvisionnement étant actuellement à craindre, l’analyse des IP liées aux indisponibilités est une opportunité pour prévenir les ruptures dans la continuité de soins.

FREINS À LA DÉMARCHE

Certains freins au déploiement massif des IP en officine ont été identifiés. Néanmoins, la plupart disparaissent avec la pratique ou seront levés grâce à des améliorations à venir.

Complexité

Le renseignement des IP s’appuie sur une grille de codification validée par la SFPC (voir page 5). S’il est nécessaire de l’utiliser pour renseigner efficacement ces IP, la pratique régulière de la codification permet de la mémoriser rapidement sans avoir besoin de se référer systématiquement à la documentation. Les nombreuses formations dispensées aux pharmaciens et aux étudiants en pharmacie montrent qu’en se confrontant à la codification d’une vingtaine d’IP types, il est possible de s’approprier l’outil avec succès. En outre, il n’y a pas véritablement d’erreur de codification. Il peut arriver qu’un même problème soit codé de manière différente. La grille a été validée pour que plus de 90 % des utilisateurs enregistrent un problème de la même façon.

Chronophage

Si, dans un premier temps, saisir des IP peut paraître un peu long, avec l’expérience, cette activité ne mobilise que quelques minutes. La plateforme de recueil en ligne Act-IP officine facilite cette tâche, puisqu’il est possible notamment de renseigner les médicaments à partir de la base de données Thériaque et de récupérer les données déjà saisies pour un patient lorsque plusieurs IP sont à identifier sur une même ordonnance. Le temps consacré à ce stade en fait gagner lors de la prise de contact avec le prescripteur.

Rémunération

A l’heure actuelle, le fait de renseigner les IP n’est pas spécifiquement rémunéré. Des pharmacies ont déjà reçu, dans le cadre d’expérimentations, une compensation financière pour la saisie et la remontée d’informations. En fonction de l’engagement de la profession dans cette pratique, il est possible qu’à l’avenir une rémunération puisse être perçue dans le cadre de la démarche qualité ou dans le cadre conventionnel.

Compatibilité avec les logiciels

• Le site actip-officine.sfpc.eu fonctionne avec n’importe quel navigateur internet et n’importe quel système d’exploitation. Il suffit de rentrer les identifiants de connexion pour saisir des IP en parallèle de la facturation.

• Si, à l’heure actuelle, aucun des logiciels d’aide à la dispensation n’intègre dans ses fonctionnalités les IP, le site Act-IP officine permet, via une interface de programmation d’application (API), à n’importe quel éditeur de logiciel métier qui le souhaite, d’intégrer les IP dans son interface de facturation. Cette fonctionnalité devrait sans doute rapidement être mise en place puisqu’il s’agit d’un critère du nouveau référentiel de certification des logiciels d’aide à la dispensation de la Haute Autorité de santé (paru le 25 janvier 2022) et que la grille de codification des IP fait partie des éléments techniques prévus pour la e-prescription.

Act-IP officine : mode d’emploi

La plateforme Act-IP officine est accessible gratuitement à toute pharmacie souhaitant documenter ses interventions pharmaceutiques.

INSCRIPTION

• Sur le site actip-officine.sfpc.eu, l’inscription se fait en trois étapes :

- cliquer sur Act-IP version officinale ;

- sur la page « Inscription », saisir les informations relatives à la pharmacie et au pharmacien administrateur ;

- noter l’identifiant et le mot de passe choisi.

• La création du compte est validée par un administrateur du site (la démarche peut prendre un peu de temps). Un e-mail de confirmation est envoyé (vérifier les spams). Cliquer sur le lien et remplir les dernières informations demandées, puis finaliser l’activation du compte.

• Il est possible d’ajouter des utilisateurs. Seul le pharmacien administrateur peut réaliser cette action :

- cliquer sur « Paramétrage/Utilisateurs » ;

- sélectionner « Inviter un utilisateur » ;

- entrer l’adresse e-mail de l’utilisateur. Celui-ci reçoit un message comprenant un lien d’activation pour compléter son inscription. Un même utilisateur peut être rattaché au compte Act-IP de plusieurs officines. Il devra sélectionner le bon établissement avant de renseigner ses interventions pharmaceutiques.

RENSEIGNER UNE INTERVENTION PHARMACEUTIQUE

• Cliquer dans le bandeau de droite sur « Interventions/Nouvelle IP ».

• Remplir les informations concernant l’IP :

- partie « Identification générale » : sélectionner le nom du pharmacien qui réalise l’intervention et la date du jour ;

- partie « Identification du patient » : le menu déroulant permet de choisir l’unité de temps (jours/mois/années) pour indiquer l’âge, particulièrement utile chez les très jeunes enfants ;

- partie « Identification du problème » : le menu déroulant « nombre » permet d’indiquer le nombre de médicaments concernés par le problème.

• Cliquer sur « Sauvegarder » ou sur « Sauvegarder et dupliquer » pour ajouter une autre intervention sur la même prescription.

• Le codage est réalisé à partir des fiches d’aide (voir p. 5 à 7).

Fiches de codage

Voici la fiche d’intervention pharmaceutique officinale implantée dans Act-IP officine. Elle est accompagnée d’une notice explicative de deux pages qui permet de préciser les codifications des problèmes et des interventions. Elle constitue une aide précieuse lorsqu’on débute dans la codification des interventions.

Organisation à l’officine

Afin d’inclure efficacement l’intervention pharmaceutique (IP) dans la pratique quotidienne de l’officine, il convient de définir une stratégie pour déterminer le moment du recueil, le membre de l’équipe responsable, la méthodologie jusqu’à l’analyse des IP et l’intégration informatique (immédiatement après le recueil ou à un autre moment prévu) à l’officine. Cette implémentation doit être adaptée à chaque typologie de pharmacie et à la composition des équipes.

PLAN STRATÉGIQUE DE LA QUALITÉ

• La mise en œuvre de la traçabilité des interventions pharmaceutiques (IP) doit faire partie intégrante du plan stratégique de la qualité de l’entreprise avec une définition des responsabilités et de l’autorité.

• Une formation de l’équipe à l’outil Act-IP officine est impérative et doit comporter une initiation de celle-ci à la pharmacie clinique ainsi qu’aux bonnes pratiques, un apprentissage des codifications à partir de cas pratiques d’IP et une formation à l’analyse des IP pour améliorer sa pratique professionnelle.

• L’accès aux différents documents et référentiels au sein de l’officine doit être facilité (abonnements aux supports d’information professionnelle, accès aux sites de référence, etc.).

CHRONOLOGIE

La mise en œuvre de cette activité de documentation des IP se place dans le continuum des activités de pharmacie clinique et des activités quotidiennes de l’officine. Elle doit être prédéfinie et peut se structurer de manière progressive en choisissant de documenter étape par étape les IP les plus courantes, les plus pertinentes ou des IP issues d’un retour d’analyse de pratique (exemple : rupture de stock, prescription récurrente). Il est recommandé de commencer par les activités les plus facilement réalisables.

COMMUNICATION INTERNE

La réalisation des IP nécessite une communication au sein de l’équipe officinale renforcée. Des temps d’échanges spécifiques sont nécessaires (formation, sources à utiliser, choix des IP à privilégier, retour d’expérience).

COMMUNICATION EXTERNE

Auprès du prescripteur

• Communiquer avec les prescripteurs chaque fois que cela est possible.

• Préparer les alternatives, les propositions d’IP et les sources sur lesquelles s’appuient les propositions.

• Choisir le support de communication le plus adapté en tenant compte de l’importance et de l’urgence de l’IP (messagerie sécurisée, messagerie instantanée), de la disponibilité et de l’accessibilité anticipée du prescripteur.

• En cas de validation orale (communication téléphonique), proposer de transmettre le résultat de l’intervention pharmaceutique par écrit.

• Communiquer de manière structurée et argumentée (en précisant les sources d’information utilisées).

Auprès du patient

• Informer le patient de la démarche de sécurisation/optimisation à travers l’intervention pharmaceutique.

• Communiquer l’avis du prescripteur aux patients par écrit.

• Accompagner le patient si l’intervention pharmaceutique est réalisée sans contacter le prescripteur.

ÇA SE PASSE COMMENT À L’OFFICINE ?

Cas pratique

Dans leur exercice quotidien, le pharmacien d’officine et son équipe sont fréquemment amenés à réaliser des interventions pharmaceutiques (IP). Toutes les étapes de la dispensation peuvent faire l’objet d’IP, comme l’illustre cet exemple d’analyse d’ordonnance. Les questions à se poser, les problèmes relevés mais aussi ceux qui pourraient survenir sont renseignés dans les encadrés rouges, avec le codage IP associé (en se référant aux fiches IP en pages 5 à 7).

Le cas : Eric R., 59 ans, agriculteur, atteint d’un diabète de type 2 depuis une quinzaine d’années. Son père, diabétique lui aussi, est décédé d’un infarctus du myocarde à l’âge de 65 ans. Son métier manuel provoque régulièrement des crises d’arthrose des doigts. Aujourd’hui, il a consulté son médecin traitant pour renouveler son traitement chronique et, n’ayant pas pu obtenir un rendez-vous rapide chez le dentiste, en a profité pour évoquer un abcès dentaire.

Point de vigilance : la prescription est-elle recevable ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 9 « prescription non conforme » (support ou prescripteur, manque d’informations ou de clarté, voie d’administration inappropriée).

LA PRESCRIPTION EST-ELLE COHÉRENTE ?

Que comporte la prescription ?

• La sitagliptine et la metformine sont deux principes actifs antihyperglycémiants.

• En prévention des complications cardiovasculaires chez les patients à risque, une association de molécules est prescrite : de l’acétylsalicylate de lysine (aspirine), un antiagrégant plaquettaire ; du ramipril, un inhibiteur de l’enzyme de conversion à effet vasodilatateur ; de l’atorvastatine, un hypocholestérolémiant.

• L’amoxicilline est un antibiotique de la famille des β-lactamines.

Points de vigilance : la prescription recense-t-elle tous les médicaments attendus ? N’y a-t-il pas de doublon ? Les médicaments prescrits sont-ils adaptés à la pathologie ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 5 « oubli de prescription » ; 7 « prescription d’un médicament non justifié » ; 8 « redondance ».

Est-elle conforme aux stratégies thérapeutiques de référence ?

• Oui, le traitement chronique suit les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) de 2021 sur la prévention du risque cardiovasculaire.

• Selon les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de 2011, la prise en charge d’un abcès dentaire repose sur la prescription d’amoxicilline en première intention.

Point de vigilance : la thérapeutique mise en place est-elle conforme aux recommandations en vigueur ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 1 « contre-indication/non-conformité aux référentiels ».

Y a-t-il des interactions ?

• Aucun des médicaments n’augmente le risque hémorragique lié à la prise d’aspirine ni ne présente une activité d’inhibiteurs du cytochrome P450 3A4, qui majorerait les effets indésirables de type rhabdomyolyse à l’atorvastatine.

• L’association de ramipril et de sitagliptine majore le risque de survenue d’un angioœdème. Cette interaction a déjà été discutée antérieurement avec le prescripteur qui a maintenu sa prescription.

Point de vigilance : y a-t-il des interactions entre les différentes molécules prescrites ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 3 « interaction médicamenteuse » (à prendre en compte, précaution d’emploi, association déconseillée, association contre-indiquée, publiée).

Les posologies sont-elles cohérentes ?

• Oui, pour le traitement chronique. En prévention primaire du risque cardiovasculaire, la dose journalière d’acétylsalicylate de lysine est 75 mg et celle d’atorvastatine, 10 mg. Chez les patients atteints d’un diabète de type 2 insuffisamment contrôlé par la metformine seule, l’association avec de la sitagliptine à 100 mg par jour (répartie en 2 prises) permet d’améliorer l’équilibre glycémique. La dose à 10 mg de ramipril correspond à la dose journalière maximale.

• En revanche, pour la prise en charge de l’abcès dentaire, la posologie recommandée de l’amoxicilline est de 2 g par jour répartis en 2 prises pendant 7 jours.

Point de vigilance : les posologies sont-elles conformes aux monographies et/ou aux recommandations en vigueur ?

Identification d’un problème : oui. La durée du traitement antibiotique de 10 jours est inadaptée.

Codages : 2 « problème de posologie » et 7 « prescription d’un médicament non justifié » (un médicament est prescrit sur une durée trop longue sans risque de surdosage). L’amoxicilline est recommandée en cas d’abcès dentaire, ce n’est donc pas une non-conformité aux référentiels. L’intervention est codée 1 « adaptation posologique ».

Résolution du problème : contacter le médecin prescripteur pour valider la proposition de raccourcir à 7 jours la durée de traitement et terminer de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention. »

Le traitement nécessite-t-il une surveillance biologique ?

• Oui. Le traitement par ramipril requiert un suivi régulier de la kaliémie, dont la fréquence dépend de la fonction rénale.

• L’évaluation de la fonction rénale (débit de filtration glomérulaire, ou DFG) est indiquée au minimum 1 fois par an avec la prise de ramipril et de metformine. Ces contrôles sont renforcés en cas de situation d’aggravation (diabète, déshydratation, décompensation cardiaque, entre autres). Le patient précise que son médecin généraliste lui a déjà prescrit des analyses biologiques.

Point de vigilance : le patient est-il informé du suivi clinique et biologique à respecter au cours de son traitement ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 10 « monitorage à suivre ».

LA DISPENSATION EST-ELLE POSSIBLE ?

Approvisionnement

• Kardégic 75 mg est en rupture d’approvisionnement au moment de la délivrance. Les informations trouvées dans le service DP-Ruptures (accessibles depuis le logiciel de gestion de la pharmacie) indiquent une indisponibilité durant plusieurs semaines. Le patient précise qu’il n’a plus de Kardégic 75 mg en stock chez lui.

Point de vigilance : les médicaments prescrits sont-ils disponibles ?

Identification d’un problème : Kardégic 75 mg est manquant pour une durée indéterminée.

Analyse du problème : élaborer une solution de remplacement. Il existe 2 spécialités (Resitune et Aspirine Protect) ayant la même indication que Kardégic. Resitune, commercialisé sous forme d’un flacon, peut être difficile à ouvrir pour Eric, qui souffre d’arthrose digitale. Aspirine protect 100 mg en blister présente la même efficacité que Kardégic 75 mg en sachet (recommandations ESC, 2019).

Codages : le problème est codé 6.1 « médicament ou dispositif non reçu par le patient - indisponibilité ». L’intervention est codée 6 « changement de médicament ».

Résolution du problème : contacter le médecin prescripteur pour qu’il valide la proposition et termine de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention ».

QUELS CONSEILS DONNER ?

En cas d’oubli

• Eric présente une bonne adhésion globale à son traitement. Rappeler que les doses oubliées doivent être prises dès que possible mais ne doivent pas être doublées le lendemain.

Points de vigilance : le patient adhère-t-il à son traitement ? Connaît-il la conduite à tenir en cas d’oubli ?

Identification d’un problème : Non.

Codage IP à envisager si problème : 6.2 « médicament ou dispositif non reçu par le patient - inobservance ».

Sensibiliser aux principaux effets indésirables

• Des saignements abondants et persistants ou des signes d’hémorragie interne, liés à la prise d’aspirine, requièrent une consultation médicale.

• Le ramipril provoque parfois une toux sèche qui peut nécessiter le recours à un autre antihypertenseur (le plus souvent un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II). L’apparition d’un angioœdème impose l’arrêt du ramipril.

• L’atorvastatine peut être responsable de troubles digestifs, de céphalées et de sensations vertigineuses. Si des atteintes musculaires apparaissent, le dosage de la créatine phosphokinase est nécessaire.

• L’association sitagliptine/metformine (Velmetia) provoque principalement des troubles digestifs peu graves, qui peuvent être atténués par une prise du comprimé en fin de repas. Des douleurs abdominales aiguës et intenses (rares cas de pancréatites) exigent l’arrêt de Velmetia. Une dyspnée associée à des douleurs abdominales, des crampes musculaires et de la fatigue impose une prise en charge rapide et l’arrêt de la metformine.

Point de vigilance : les traitements sont-ils à l’origine d’effets indésirables ?

Identification d’un problème : non.

Codage IP à envisager si problème : 4 « effet indésirable ».

PLUS TARD…

Deux mois plus tard

Eric revient à la pharmacie. Il présente des difficultés à la marche à cause d’une lombosciatique. Le rhumatologue préconise un scanner. Le rendez-vous est prévu cet après-midi.

Eric présente l’ordonnance reçue par courrier.

Y a-t-il des interactions ?

• L’association de la metformine que prend le patient avec Iopamiron (produits de contraste iodé) constitue une interaction en raison du risque d’insuffisance rénale fonctionnelle liée à l’examen.

• En induisant une insuffisance rénale, le produit de contraste iodé favorise l’accumulation d’acide lactique généré par la metformine et la survenue d’une acidose lactique. Les recommandations de l’European Society of Urogenital Radiology de 2021 préconisent des interventions différentes en fonction du DFG, mais aussi de la voie d’administration du produit de contraste.

• Interrogé sur l’état de sa fonction rénale, Eric ne peut pas fournir de compte rendu d’analyses biologiques et ne sait plus de quand date son dernier bilan.

Point de vigilance : le patient peut-il fournir des résultats d’évaluation de sa fonction rénale ?

Identification d’un problème : la valeur du DFG du patient n’est pas connue et n’a peut-être pas été évaluée.

Analyse du problème : le scanner ayant lieu l’après-midi même, le délai pour effectuer un prélèvement et évaluer la fonction rénale est insuffisant. Comme les médecins du patient ne sont pas joignables, le pharmacien s’appuie sur les recommandations officielles pour décider de la conduite à tenir.

Codages : le problème est codé 1 « contre-indication » ou 10 « monitorage à suivre ». L’intervention est codée 7 « arrêt ou refus de délivrer ».

Résolution du problème : indiquer au patient que, par précaution, il convient d’arrêter la prise de metformine le jour de l’examen (ne pas prendre la dose du soir) et de reprendre seulement 48 heures après. L’inviter à préciser au radiologue la prise de metformine pour confirmer la conduite à tenir. Terminer de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention ».

Trois mois plus tard

Le cardiologue d’Eric a décidé d’augmenter le dosage de l’atorvastatine à 20 mg. Il rédige une ordonnance pour 2 mois. Lorsque l’ordonnance arrive à échéance, le patient se rend chez son médecin généraliste, qui renouvelle le traitement chronique. L’ordonnance indique : atorvastatine 10 mg.

Point de vigilance : la posologie tient-elle compte de l’augmentation récente du dosage d’atorvastatine ?

Identification d’un problème : le médecin généraliste a prescrit l’ancien dosage d’hypocholestérolémiant.

Analyse du problème : le médecin traitant n’a probablement pas été alerté du changement de dosage.

Codage : le problème est codé 2 « problème de posologie » (la prescription ne correspond pas aux données du dossier pharmaceutique). L’intervention est codée 6 « changement de médicament ».

Résolution du problème : contacter le médecin prescripteur pour valider le remplacement de l’atorvastatine 10 mg par l’atorvastatine 20 mg et terminer de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention ».

Entraînez-vous !

Pour que le codage de vos IP devienne simple et rapide, une seule solution : s’entraîner ! Voici quelques cas de comptoir pour vous faire la main.

ENTRETIEN

Stéphane Honoré, professeur des universités-praticien hospitalier de pharmacie clinique au sein de la faculté de pharmacie d’Aix-Marseille université (Bouches-du-Rhône), président de la Société française de pharmacie clinique et responsable de l’Observatoire des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse.

En quoi l’intervention pharmaceutique (IP) est une composante de la pharmacie clinique ?

La pharmacie clinique a pour but d’améliorer l’efficacité, la sécurité, l’économie et la précision selon lesquelles les médicaments sont utilisés dans le traitement des patients. L’IP, qui permet d’optimiser une thérapeutique en agissant auprès du patient ou du prescripteur, en est l’une des composantes. Elle constitue la plus-value intellectuelle du pharmacien. Pour que cette IP soit valorisée, il faut la tracer et la codifier. C’est l’objet de la plateforme Act-IP officine.

Combien de personnes utilisent déjà Act-IP officine ?

Cette plateforme, disponible depuis moins d’un an, est la duplication de celle initialement créée pour l’hôpital il y a près de vingt ans, qui a recueilli 800 000 IP. Actuellement, 362 pharmaciens d’officine ont créé leur compte et près de 4 500 IP sont notifiées. Si la plateforme est accessible à toutes les officines, elle est actuellement promue dans le cadre de projets régionaux dans le Grand-Est et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Enseigne-t-on l’IP au cours des études de pharmacie ?

L’IP a toujours été enseignée aux étudiants en pharmacie. Elle fait partie de la pratique pharmaceutique et a encore récemment été valorisée dans le cadre des entretiens pharmaceutiques et du bilan partagé de médication. Mais, depuis quelques années, les pharmaciens apprennent au cours de leurs études à tracer les IP, à les analyser et à enrichir leur propre pratique à partir de ces données. Si les jeunes générations y sont formées dans quasiment toutes les facultés, la mise en œuvre dans la vie professionnelle n’est pas toujours systématique et dépend de l’engagement du titulaire.

L’expérience hospitalière du recueil des IP peut-elle servir à l’officine ?

L’analyse des IP hospitalières, majoritairement acceptées par les prescripteurs, a démontré aux organismes de tutelle la capacité du pharmacien à intervenir efficacement sur les prescriptions. Des protocoles de coopération entre médecins et pharmaciens ont ainsi pu être élaborés afin que les pharmacies à usage intérieur puissent renouveler et adapter les prescriptions. Cette compétence des pharmaciens hospitaliers est désormais inscrite dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite Asap), entrée en vigueur en 2020. L’arrêté fixant la liste des pathologies concernées devrait paraître prochainement. Il est tout à fait imaginable que cette compétence, qui se limite probablement à une adaptation de posologie, soit à l’avenir transposable à la pratique de ville. L’analyse des IP en ville pourra convaincre et rassurer les autorités compétentes. Les interventions ne seraient plus une proposition du pharmacien, mais une action directe définie dans un cadre réglementaire.

Est-ce que l’IP s’intègre dans la démarche de certification périodique prévue à partir de 2023 ?

Effectivement, le Conseil national professionnel de la pharmacie d’officine et de la pharmacie hospitalière a inclus le recueil des IP comme l’un des éléments qu’il est possible de valoriser dans le cadre de la certification périodique.

INTERVENTION PHARMACEUTIQUE VERSUS DISPENSATION ADAPTÉE

L’intervention pharmaceutique ne doit pas être confondue avec la dispensation adaptée, terme introduit dans l’avenant 20 à la convention nationale pharmaceutique signée en 2017 (Journal officiel du 29 mai 2020). Alors que l’IP propose une modification de la prescription, la dispensation adaptée par le pharmacien s’effectue « dans le respect de la prescription médicale ». Elle consiste en l’évaluation des besoins du patient par le pharmacien d’officine selon les symptômes perçus. Elle mène à une adaptation des quantités dispensés de certains médicaments prescrits « à la demande » ou « si besoin » selon une liste définie.

UN LEVIER POUR LA PRESCRIPTION PHARMACEUTIQUE ?

Outre les ruptures d’approvisionnement ou les erreurs réglementaires, les études déjà menées sur les IP en officine ont notamment révélé que les problèmes récurrents gérés par le pharmacien d’officine sont des adaptations de posologie (par rapport aux recommandations de traitement ou à l’historique du patient) ou encore des ajouts ou des arrêts de médicaments oubliés en cas de changements de traitements chroniques. Ces IP sont acceptées dans 9 cas sur 10 par les prescripteurs. Face aux difficultés croissantes de recours aux prescripteurs, ces IP récurrentes pourront servir de base pour proposer la prescription pharmaceutique dans un cadre réglementaire national, facilitant ainsi la pratique quotidienne des pharmaciens d’officine et leur prise de responsabilité.

LES PRÉPARATEURS ET LES IP

Les préparateurs peuvent contribuer à la réalisation des IP et s’impliquer dans cette activité de pharmacie clinique :

- en détectant les problèmes liés à la thérapeutique lors des dispensations ;

- en participant à la codification de l’IP ;

- en assurant la saisie des données pour la traçabilité.

Le pharmacien, par son expertise, détermine l’action visant à résoudre le problème identifié et la propose au patient et au prescripteur pour acceptation.

Pour que toute l’équipe soit sensibilisée uniformément à la démarche, une formation commune et une stratégie de communication propre à chaque structure est nécessaire.

TÉMOIGNAGES

Romain, pharmacien titulaire, Nancy (Meurthe-et-Moselle)

« En regardant les IP qui n’étaient pas acceptées par le prescripteur avec justification, nous avons constaté que, parfois, nous trouvions des problèmes là où il n’y avait pas lieu d’en trouver. Ainsi, nous avons sollicité plusieurs fois un pédiatre pour une coprescription de solution de bétaméthasone 0,05 % et de vaccin Priorix. Cette association ressort comme une contre-indication dans nos logiciels métier, mais elle n’est pertinente que pour des doses fortes de corticoïdes et pour des durées de traitement longues, à condition que l’injection du vaccin vivant soit proche du traitement anti-inflammatoire. Or, dans ces cas, les doses de corticoïdes étaient faibles, de courte durée et à distance de l’injection du vaccin qui était prescrit en prévision d’une consultation ultérieure. Nous avons refait le point avec l’équipe et désormais nous ne sollicitons plus le prescripteur aussi souvent. »

Agnès, pharmacienne adjointe, Blénod-lès-Toul (Meurthe-et-Moselle)

« Les quelques minutes que nous passons à saisir la première partie de la codification d’une IP nous offrent une vision synthétique de la situation. Nous avons identifié un ou plusieurs problèmes et nous pouvons proposer une ou plusieurs interventions. Ainsi, lorsque nous contactons le prescripteur, nous sommes en mesure de lui présenter très rapidement le condiv avant de lui apporter une solution. L’échange est ainsi plus rapide, sans déranger trop longtemps le soignant dans son activité. »

Julien, pharmacien titulaire, Leyr (Meurthe-et-Moselle)

« Après avoir analysé nos IP, nous nous sommes rendu compte que nous en faisions beaucoup pour les héparines de bas poids moléculaire (HBPM). C’était souvent pour des problèmes liés à la posologie. Dans la très grande majorité des cas, nos propositions étaient acceptées. Cela a renforcé notre envie de ne rien laisser passer. Nous avons mis en place une formation d’équipe pour faire quelques rappels sur cette classe thérapeutique et nous avons accroché à côté du rayon injectable un tableau récapitulatif des HBPM et des héparines non fractionnées (HNF) pour faciliter l’analyse rapide des prescriptions. Cette démarche permet aussi d’uniformiser les actions proposées par l’équipe pour un même problème. »

LA PSYCHIATRIE POURVOYEUSE DE NOMBREUSES IP*

Les médicaments psychotropes sont fréquemment impliqués dans l’apparition d’effets indésirables et font aussi parfois l’objet de prescriptions inappropriées, de redondance de traitement ou de mésusage. Leur dispensation peut être à l’origine de nombreuses interventions pharmaceutiques, par exemple :

les benzodiazépines : posologie non adaptée, redondance, profil de demi-vie non adapté au patient âgé, dépendance, effets indésirables, durée de traitement inadaptée ;

les hypnotiques : non-respect de la législation (prescription non renouvelable, ordonnance sécurisée pour le zolpidem, etc.), redondance, dépendance ;

les antipsychotiques : prescription non adaptée à l’âge (effet anticholinergique à craindre chez les personnes âgées), non-respect de la législation (absence de vérification de la formule leucocytaire avec la clozapine), effets indésirables et interactions médicamenteuses (exposant à un risque d’allongement de l’intervalle QT, notamment) ;

les thymorégulateurs : non-respect de la législation (non-présentation du formulaire d’accord de soins signé pour le valproate et ses dérivés), non-contrôle de la fonction rénale (avec le lithium), effets indésirables (lamotrigine et troubles cutanés, lithium et risque de déshydratation), interactions médicamenteuses (induction enzymatique de la carbamazépine, interaction lithium/anti-inflammatoire non stéroïdien, etc.)

les antidépresseurs : effets indésirables anticholinergiques et cardiovasculaires, interaction médicamenteuse.

Un manque d’adhésion au traitement est récurrent dans le cadre des traitements chroniques (neuroleptiques, antidépresseurs, thymorégulateurs).

* D’après les travaux du groupe de travail Psychiatrie issu de la collaboration entre la SFPC et le réseau Psychiatrie Information Communication (PIC), reseau-pic.info.

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