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MONITEUR EXPERT
TRIBUNAL
Auteur(s) : Anne-Charlotte Navarro
Que se passe-t-il pour une entreprise si, après une baisse constante des commandes ou du chiffre d’affaires, les indicateurs remontent légèrement au moment où des licenciements ont été déclenchés ?
Le 6 décembre 1982, Mme V. est engagée comme ouvrière en confection par la société A. Le 16 juin 2017, elle est convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique, et reçoit sa lettre le 5 juillet. Elle saisit la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé de la rupture.
Depuis la loi dite « travail » du 8 août 2016, l’article L.1233-3 du Code du travail dispose que pour justifier un licenciement par des difficultés économiques, l’entreprise peut mettre en avant « une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires (CA), des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ». Le Code du travail ajoute que la baisse des commandes ou du CA doit être significative, c’est-à-dire s’étendre sur plusieurs trimestres. Le nombre de trimestres dépend de l’effectif de l’entreprise. En l’espèce, la société A employait plus de 300 salariés, l’employeur devait justifier un recul des commandes ou du CA sur au moins quatre trimestres consécutifs.
Dans la lettre de licenciement qu’a rédigée la société A, celle-ci mentionne une baisse du CA observée sur les quatre trimestres de l’année 2016 par rapport à 2015. Sur cette période, le CA a baissé de 23 millions d’euros. L’entreprise estime que cette comparaison sur quatre trimestres lui permet de justifier un licenciement pour motif économique. Or Mme V. fait valoir qu’au premier trimestre 2017 le CA était remonté de 0,5 % par rapport au premier trimestre 2016. Une période que l’employeur devait prendre en compte, puisque le licenciement est intervenu en 2017.
Le 25 juin 2020, la cour d’appel de Poitiers (Vienne) estime que l’appréciation du caractère significatif de la baisse de CA ou des commandes doit se faire à partir d’exercice clos donc, en l’espèce, des années 2015 et 2016. Les magistrats ajoutent que cette légère augmentation restait très « en deçà du CA du premier trimestre 2015. La timide amélioration ne suffisait pas à signifier une amélioration tangible des indicateurs ». Mme V. forme un pourvoi en cassation.
Le 1er juin 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats rappellent qu’en matière de licenciement le caractère réel et sérieux du motif de la rupture s’évalue à la date de cette dernière. En matière de licenciement économique, la Cour de cassation juge que « la durée d’une baisse significative des commandes ou du CA s’apprécie en comparant le niveau des commandes ou du CA au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période ». La société A aurait dû comparer la période allant du deuxième trimestre 2016 au premier trimestre 2017 qui correspond au dernier CA connu au jour de la rupture du contrat de travail à une période allant du deuxième trimestre 2015 au premier trimestre 2016. Il ne faut donc pas raisonner en année pleine ou en exercice clos, mais trimestre par trimestre. En l’espèce, le CA du premier trimestre 2017 étant en hausse, la société A ne peut pas justifier de quatre trimestres consécutifs de baisse de CA. Les difficultés économiques de la société A n’étant pas significatives, elles ne permettaient pas le licenciement de Mme V. qui est donc sans cause réelle et sérieuse.
Source : Cass. Soc., 1er juin 2022, n° 20-19957.
Une entreprise peut évoquer une baisse significative des commandes ou de son chiffre d’affaires pour licencier pour motif économique un ou plusieurs salariés.
Une baisse est significative lorsqu’elle s’étire sur un ou plusieurs trimestres.
Celle-ci est appréciée non pas au regard d’un exercice clos mais trimestre par trimestre à partir de la notification de la rupture.
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