Médicaments pédiatriques : une croissance espérée - Le Moniteur des Pharmacies n° 3400 du 15/01/2022 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3400 du 15/01/2022
 
THÉRAPEUTIQUE

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Caroline Guignot

Si le règlement européen de 2007 a redéfini les règles du jeu de l’innovation thérapeutique pédiatrique, force est de constater que le résultat n’est pas encore à la hauteur des objectifs. Sa révision est attendue avec impatience…

L’absence de solutions thérapeutiques ou de formulations adaptées aux enfants et aux adolescents n’est pas nouvelle. On sait combien elle pose de difficultés de prise en charge ou de sécurité. Mais d’autres, plus contemporaines, s’y ajoutent. C’est ce qu’explique Catherine Vergely, secrétaire générale de l’Union nationale des associations de parents d’enfants atteints de cancer ou leucémie (Unapecle) : « La prise en charge des patients en ambulatoire se développe, celle des enfants aussi. Les adaptations galéniques ou posologiques, qui étaient jusque-là faites par les équipes hospitalières, passent donc de plus en plus souvent entre les mains des parents, qui sont désarçonnés. Même si les données sur le sujet sont rares, il est évident que cela a une incidence sur la pharmacovigilance. Un second problème est celui des pénuries. Alors que l’on peut trouver des alternatives chez l’adulte en optant pour une molécule comparable ou une autre galénique, l’équation peut être insoluble si le défaut d’approvisionnement concerne la seule formulation utilisable chez l’enfant. » La pandémie de Covid-19 a clairement mis en lumière le risque. Effet positif, elle a incité l’Europe à adopter fin 2020 une nouvelle stratégie pharmaceutique, pour promouvoir la recherche, répondre aux besoins thérapeutiques existants, et remédier aux défaillances actuelles. Ce qui englobe justement le sujet des médicaments pédiatriques.

Plan d’investigation

Le règlement pédiatrique européen date de 2007, où l’on estimait qu’un médicament sur deux utilisé en pédiatrie était prescrit hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Afin de redynamiser l’intérêt de l’industrie pharmaceutique, l’Agence européenne des médicaments (EMA) dispose de deux armes : la première est le plan d’investigation pédiatrique (PIP), obligatoire pour tous les médicaments nouveaux ou sous brevet dès lors qu’ils font l’objet d’une nouvelle demande d’AMM ou de modification d’AMM pour adulte. Ce PIP, soumis pour approbation au comité pédiatrique (PDCO) de l’agence, décrit un calendrier et des études à conduire dans toutes les tranches d’âge pédiatrique qui pourraient être concernées, que ce soit en termes cliniques ou galéniques. Seuls les médicaments pour lesquels il est probable que la molécule soit dangereuse, inefficace ou dont l’indication adulte visée ne peut concerner les enfants peuvent demander une dérogation. La seconde est la paediatric use marketing authorisation (Puma), destinée au développement à usage pédiatrique exclusif de médicaments qui ne sont plus protégés par un brevet.

L’EMA a tiré un bilan à 10 ans de ce règlement : 238 nouveaux médicaments et indications, ainsi que 39 nouvelles formulations appropriées à destination des enfants ont été autorisés. Tous ne découlaient pas d’un PIP, leur développement ayant été lancé avant le règlement. D’ailleurs, seuls 100 des 756 PIP approuvés par l’EMA avaient été réalisés en 2015. Parallèlement, le taux d’essais cliniques consacrés à la pédiatrie était alors de 11,2 %, contre 9,3 % en 2006. Mais dans le même temps, le nombre total d’essais menés en Europe a diminué… In fine, comme le résume le Pr Régis Hankard, coordinateur du réseau français de recherche clinique pédiatrique Pedstart Inserm F-CRIN*, « les avancées apportées par le règlement sont évidentes, mais les progrès n’ont pas été à la hdiv de ce que l’on aurait pu attendre ».

Le PIP doit être soumis à l’EMA relativement tôt pour approbation ou discussion, idéalement après acquisition des données pharmacocinétiques et toxicologiques chez l’adulte. Mais il ne doit être ni trop vague ni trop précis, au risque de devoir faire l’objet de révision en cours de développement, à mesure que les données s’accumulent. « La mise en œuvre d’études cliniques en pédiatrie est d’une vraie complexité, que ce soit pour le recrutement des patients, l’information et l’acceptation des familles ou encore la sélection des centres en charge de l’étude. Il faut garder à l’esprit que toutes les études cliniques définies dans le PIP n’auront pas toujours lieu ou que l’indication n’aboutira pas systématiquement », explique Régis Hankard. Pedstart vise justement à huiler tous les rouages – information, coordination, concertation… – entre les différents protagonistes (investigateurs, institutionnels, cliniciens). Mais d’autres contraintes existent en matière d’essais cliniques pédiatriques. Le métabolisme d’un nouveau-né n’ayant rien de comparable avec celui d’un adolescent, conduire des études chez l’enfant impose le recrutement des différentes tranches d’âge concernées. Ce qui est coûteux, long, et parfois impossible : « La population cible peut être trop étroite pour pouvoir identifier des effectifs suffisants dans un centre ou même un pays. Dans d’autres cas, un essai peut déjà avoir lieu pour la maladie concernée et rendre impossible l’évaluation d’une seconde molécule simultanément. » Des coopérations européennes, voire internationales, sont indispensables et se développent justement pour faciliter ces processus.

Craintes économiques

Du fait de leur caractère innovant, les PIP font l’objet d’une véritable attention. Mais il ne faudrait pas oublier les Puma, qui revêtent aussi une grande importance pour la communauté pédiatrique. Leur bilan, lui, est plus tranché et décevant : en 10 ans, seuls 22 ont été évalués par l’EMA et deux médicaments ont été commercialisés. Les problèmes liés sont plus circonscrits. L’exclusivité de marché offerte aux industriels en contrepartie du développement leur semble insuffisante pour compenser les risques économiques engagés. La recherche sur des médicaments depuis longtemps accessibles, notamment en hors AMM, leur fait craindre que les prescriptions de la nouvelle spécialité, plus onéreuse, ne soient pas au rendez-vous. Une révision des modalités d’incitation est en réflexion.

Quelles évolutions espérer ? En rattachant la recherche clinique pédiatrique à celle chez l’adulte, le règlement européen ne permet pas de prendre en compte les véritables besoins thérapeutiques des enfants : en effet, une maladie fréquente chez eux peut être rare chez les adultes, et donc ne pas faire l’objet de recherche. C’est ainsi que les innovations dans le mélanome de l’enfant sont nombreuses, à l’inverse de celles consacrées au neuroblastome. Et l’Europe manque de mécanismes contraignants permettant d’orienter les investissements des firmes vers des domaines jugés d’intérêt pédiatrique sur le plan de la santé publique.

Au cours de la période 2007-2013, la moitié des 28 anticancéreux autorisés en Europe a obtenu une dérogation parce que le cancer adulte n’existait pas chez l’enfant… alors que 26 d’entre eux ciblaient un mécanisme d’action potentiellement intéressant en oncologie pédiatrique. « Beaucoup d’experts, de sociétés savantes ou d’associations de parents plaident pour que les PIP et leurs éventuelles dérogations soient désormais fondées sur la cible thérapeutique et non plus sur la maladie », insiste Catherine Vergely. Autre attente : la pharmacovigilance. Quelle est la toxicité de nouvelles molécules ou de nouveaux mécanismes d’action lorsqu’ils interagissent avec des voies biologiques propres au développement de l’enfant ? « Nous sommes nombreux à plaider pour que ces PIP soient assortis de programmes de suivi à long terme. »

En soulignant que le règlement n’a « pas réussi à soutenir de manière satisfaisante le développement dans des domaines où les besoins de médicaments sont les plus importants », les services de la Commission européenne estiment « qu’il faudra trouver un équilibre entre la nécessité d’encourager l’innovation et celle de garantir la disponibilité et l’accessibilité […] des médicaments pédiatriques » pour remédier à ces insuffisances. Rendez-vous est donné fin 2022 pour évaluer comment la nouvelle stratégie pharmaceutique prendra en compte ces desiderata.

* Institut national de la santé et de la recherche médicale, French Clinical Research Infrastructure Network.

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