Dépistages sauvages, le grand barnum - Le Moniteur des Pharmacies n° 3386 du 09/10/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3386 du 09/10/2021
 
COVID-19

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Yves Rivoal

L’instauration du pass sanitaire a eu pour corolaire une explosion du nombre de tests antigéniques Covid-19, alimentée en partie par l’apparition d’une génération spontanée de prestataires. Attirés par l’appât du gain, certains proposent aux pharmaciens, mais aussi aux patrons de bars, aux restaurants ou aux discothèques, de sous-traiter la réalisation des tests. Avec des méthodes pas toujours réglementaires.

L’annonce, le 12 juillet dernier, de l’extention du pass sanitaire pour pouvoir accéder aux lieux de loisirs et de culture avait déjà entraîné une augmentation de 50 % du nombre de tests du Covid-19 RT-PCR et antigéniques. Ces derniers représentant à eux seuls entre 70 et 80 % des volumes. L’extension de cette mesure le 9 août aux bars, aux restaurants et aux discothèques a fait exploser tous les compteurs. Pour atteindre le chiffre record de 5,7 millions de tests la semaine du 9 août.

C’est aussi à ce moment-là que des barnums ont commencé à fleurir devant l’entrée des bars, des restaurants et des discothèques. « Au début, tout se passait plutôt bien car, derrière, il y avait des pharmaciens d’officine. Mais très vite, des prestataires, qui pour certains n’avaient rien à voir avec le monde de la santé, ont flairé la bonne affaire et se sont lancés sur ce marché en proposant des barnums qui, visiblement, ne respectaient pas la réglementation. Nous avons en effet commencé à recevoir des signalements à l’agence en provenance des Ordres, mais aussi de pharmaciens qui ne comprenaient pas pourquoi un barnum s’installait devant leur officine ou de patients qui nous avertissaient de problèmes d’hygiène », confie Laurent Peillard, responsable du département pharmacie et biologie à l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).

Des prestataires très discrets

Cette génération spontanée de prestataires semble avoir un point commun : la discrétion. La plupart ne possèdent en effet ni site internet ni page Facebook. Pour retrouver leurs traces, il faut fouiller dans le Registre du commerce et des sociétés. Et là, surprise, on s’aperçoit qu’une partie d’entre eux travaillent dans la vente de cigarettes électroniques, d’autres dans le prêt-à-porter… Toutes nos tentatives pour essayer de les joindre et obtenir une interview ont par ailleurs été vaines.

Président du Conseil de l’Ordre des pharmaciens des régions Paca et Corse, Stéphane Pichon a été l’un des premiers à tirer le signal d’alarme à Marseille (Bouches-du-Rhône). « Un jour, mon fils m’a annoncé qu’il avait reçu un résultat négatif, alors qu’il n’avait pas été testé avant d’entrer dans un bar. J’ai donc fait le tour de la ville pour voir comment ces barnums fonctionnaient, raconte-t-il. La plupart du temps, des étudiants en 2e année de médecine, de kiné ou de pharmacie, recrutés par des prestataires, étaient livrés à eux-mêmes. Ils devaient effectuer les prélèvements, mais aussi interpréter les résultats et les saisir sur SI-DEP, en utilisant le numéro de carte de professionnel de santé (CPS) qu’un professionnel de santé avait confié au prestataire. Professionnel qui n’était donc physiquement pas présent sur le barnum, et qui ne voyait ni le patient ni le prélèvement. Considérant qu’il s’agissait là d’un exercice illégal de la biologie médicale et d’une utilisation frauduleuse de la CPS d’un professionnel de santé, j’ai alerté l’ARS Paca et envoyé un courrier à tous les pharmaciens de la région pour leur rappeler le cadre réglementaire et leurs responsabilités. »

Du côté de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), les adhérents ont eux aussi fait remonter des anomalies et des fraudes. « Des étudiants nous ont indiqué que, sur plusieurs barnums, les prélèvements étaient effectués par des personnes non habilitées, et qui avaient reçu simplement une formation théorique à distance en vidéo avant de pratiquer les prélèvements nasopharyngés », confie Numan Bahroun, président de l’Anepf, qui a aussi vu se multiplier les griefs contre les prestataires. « Des étudiants nous ont alertés sur le fait que leur employeur ne leur avait pas fait signer de contrat de travail ou leur avait demandé un statut d’autoentrepreneur. Une société avait même organisé un jeu concours sur un groupe de discussions WhatsApp afin d’inciter ses préleveurs à pratiquer le plus de tests possible. » Certains se sont plaints d’avoir été escroqués par un prestataire qui ne les a jamais payés.

Face à la multiplication des réclamations, et à la demande du ministère des Solidarités et de la Santé, les ARS décident de lancer les premières inspections. A Marseille, l’ARS Paca organise ainsi fin août, en binôme avec la mairie, une première campagne sur huit barnums. « Pour cette première opération, nous nous sommes concentrés sur des installations qui nous avaient été signalées et qui n’avaient pas été télédéclarées, précise Laurent Peillard. La répartition des rôles était claire : les policiers municipaux se chargeaient de vérifier l’autorisation d’occupation du domaine public, nos inspecteurs se concentrant, eux, sur le champ des articles 28 et 29 de l’arrêté du 1er juin 2021 portant sur l’installation des barnums et les procédures de réalisation des tests antigéniques. »

Entorses à répétition

Une deuxième vague d’inspections a été organisée mi-septembre, cette fois dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, du Var et des Alpes-Maritimes sur une cinquantaine de barnums ayant, là encore, fait l’objet de signalements. « Nous avons à nouveau rencontré les mêmes problèmes : barnums non télédéclarés, pas d’autorisation d’occupation du domaine public, des professionnels de santé, le plus souvent des pharmaciens, qui avaient confié le dépistage à un prestataire ayant pris des libertés par rapport au cahier des charges… », note Laurent Peillard. « Nous avons également constaté que certains prélèvements nasopharyngés étaient mal faits, ajoute Stéphane Pichon, qui a pu assister à des contrôles aux côtés des inspecteurs de l’ARS. Devant plusieurs bars, les préleveurs se contentaient d’introduire l’écouvillon au bord de la narine alors qu’il doit normalement remonter au moins dans le cavum. Nous nous sommes également aperçus que des barnums affichaient clairement un résultat en moins de 5 minutes, alors qu’il faut normalement attendre un quart d’heure. » Des entorses au règlement en matière d’hygiène ont par ailleurs été relevées : préleveurs sans masque ni surblouse, absence de soluté hydroalcoolique, de désinfectant ou de boîte à déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri)…

A l’issue de la première campagne d’inspections, les huit barnums ont été fermés pour cause d’absence d’autorisation d’occupation du domaine public. « De notre côté, nous avons observé un certain nombre de dysfonctionnements qui relevaient de l’exercice illégal de la biologie, ajoute Laurent Peillard. Soit parce que les préleveurs n’étaient pas habilités à effectuer les tests, soit parce que des étudiants en pharmacie ou en médecine étaient seuls sur le barnum et enregistraient les résultats sur SI-DEP avec la CPS d’un pharmacien qui n’était pas présent physiquement. »

Signalements et plaintes

Les rapports rédigés à l’issue de la deuxième campagne d’inspection étant en cours de validation, il est trop tôt pour présager de leurs répercussions. « Mais il est fort probable que nous serons à nouveau amenés, comme pour la première campagne, à effectuer des signalements au parquet dans le cadre de l’article 40 en cas d’infraction pénale pour exercice illégal de la biologie médicale ou usurpation de titres lors d’utilisation frauduleuse de la CPS. En sachant que c’est le parquet de Marseille qui décidera des suites à donner. » Le 29 septembre dernier, le journal de France 2 annonçait que ce dernier avait ouvert une enquête pour « faux » et « pratiques commerciales trompeuses » à la suite des dysfonctionnements constatés par l’ARS Paca. Et lorsqu’on lui demande si des titulaires sont visés par cette enquête, Laurent Peillard répond par l’affirmative. La deuxième campagne d’inspections devrait aussi, comme la première, donner lieu à des signalements voire à des plaintes auprès des ordres professionnels concernés. « Il s’agit d’un processus habituel, puisque toutes nos inspections visent les professionnels de santé ayant télédéclaré le barnum, et qui en sont donc responsables », rappelle Laurent Peillard. Du côté du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, on assure « ne pas avoir connaissance de plainte du chef d’exercice illégal de la biologie médicale en lien avec la réalisation de tests ». Mais l’Ordre précise toutefois qu’en cas d’irrégularités il se réservait « le droit de donner toute suite disciplinaire et pénale, en conformité avec ses missions légales… ». Autrement dit, les chambres disciplinaires sont susceptibles d’engager des procédures avec des sanctions pouvant aller du simple blâme jusqu’à l’interdiction d’exercer.

Les étudiants risquent, eux aussi, potentiellement gros, comme le rappelle Stéphane Pichon. « Imaginons que, lors d’un prélèvement, l’écouvillon se casse dans le nez du patient. Si le prestataire qui a recruté le préleveur ne possède pas d’assurance responsabilité civile professionnelle, c’est ce dernier qui devra répondre de ses actes. Et cela peut lui coûter jusqu’à 1 million d’euros… » « Pour toutes ces raisons, nous conseillons à nos adhérents d’éviter les sociétés qui viennent de se créer, de s’assurer que le prestataire est bien agréé auprès de l’ARS, et qu’un contrat de travail sera signé, note Numan Bahroun. Nous les invitons également à refuser d’interpréter les résultats et à les saisir sur SI-DEP. »

Ne pas relâcher la pression

Le déremboursement des tests antigéniques Covid-19 programmé le 15 octobre devrait accentuer la baisse de la demande observée depuis plusieurs semaines, le ministère des Solidarités et de la Santé n’entend pourtant pas relâcher la pression. Il a d’ores et déjà annoncé que les inspections allaient se poursuivre. « Les pharmaciens sont donc prévenus, souligne Stéphane Pichon, qui refuse toutefois que l’on jette l’opprobre sur la profession. La quasi-totalité des titulaires ont répondu à l’appel du gouvernement pour assurer le maillage territorial de la campagne de dépistage, et le font en respectant scrupuleusement le cahier des charges imposé. »

À RETENIR

- La mise en place du pass sanitaire a eu pour conséquence la multiplication des barnums de dépistage du Covid-19, dont les prestataires n’étaient pas toujours scrupuleux des règles sanitaires : professionnels de santé habilités à la lecture des résultats et à l’enregistrement dans SI-DEP absents, mauvaise technique de prélèvement… Ces manquements relèvent de l’exercice illégal de la biologie.

- Les pharmaciens ayant fait appel à ces prestataires peu scrupuleux peuvent être inquiétés (poursuites disciplinaires et pénales).

- Malgré une baisse attendue du nombre de tests réalisés après leur déremboursement, les autorités de santé poursuivront les contrôles.

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