L’obligation vaccinale, tu veux ou tu veux pas ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3373 du 12/06/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3373 du 12/06/2021
 
IMMUNITÉ

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Yves Rivoal

En annonçant qu’elle recommandait une mise en application progressive de l’obligation vaccinale pour atteindre le fameux seuil d’immunité collective permettant d’éradiquer la pandémie de Sars-CoV-2, l’Académie de médecine a ouvert un débat qui s’annonce explosif. Et qui divise même au sein de la communauté scientifique.

Obligation n’est pas un gros mot quand il s’agit de vacciner contre le Covid-19. » L’Académie nationale de médecine a retenu une formule choc pour lancer le débat sur la question de l’obligation vaccinale dans un communiqué publié fin mai. « Si nous avons pris cette position, c’est parce que nous avons la sensation que la campagne vaccinale va se heurter en France aux mêmes difficultés qu’aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Israël, ces trois pays en pointe ayant toutes les peines du monde pour atteindre leur objectif de couverture vaccinale », explique le Pr Yves Buisson, épidémiologiste et président du groupe Covid-19 de l’Académie nationale de médecine.

Considérant qu’il vaut mieux prévenir que guérir, les académiciens ont décidé de prendre les devants. « Au rythme où vont les choses, nous n’atteindrons pas, à la fin de l’été, le fameux taux de couverture vaccinale de 90 % de la population adulte jugé nécessaire dans les modélisations de l’Institut Pasteur pour éradiquer la pandémie, note Yves Buisson. Or, si l’on se retrouve en octobre ou en novembre avec seulement 50 ou 60 % de la population vaccinée, on n’empêchera pas la reprise de l’épidémie. Nous avons donc trois mois devant nous pour vacciner toutes les personnes volontaires et aller chercher celles qui refusent le vaccin. » Et pour y parvenir, il n’y a pas d’autres moyens, selon l’épidemiologiste, que d’instaurer cette obligation vaccinale. « D’autant plus que l’élément qui rendait impossible sa mise en œuvre, le manque de vaccins, n’est aujourd’hui plus d’actualité, ajoute-t-il. Nous disposons désormais de suffisamment de doses pour protéger tout le monde. »

Pour l’Académie nationale de médecine, cette mesure s’inscrit, en plus, dans la longue histoire de la vaccination en France. « Je rappelle qu’elle a déjà été appliquée pour la variole, la diphtérie, le tétanos, la tuberculose et la poliomyélite… », insiste Yves Buisson. Si l’on considère que l’obligation s’impose dès lors qu’une vaccination efficace permet d’éradiquer une maladie répandue, sévère et souvent mortelle, les vaccins homologués contre le Covid-19 cochent toutes les cases avec un taux d’efficacité de 90 à 95 % contre les formes graves d’une maladie qui a tué 110 000 personnes en France et 3,5 millions dans le monde. Des vaccins ont déjà été rendus obligatoires pour beaucoup moins que cela. »

Pas le bon timing

La recommandation de l’Académie nationale de médecine ne fait pas vraiment l’unanimité au sein de la communauté scientifique. Professeure de maladies infectieuses à l’université de Paris, et directrice d’un centre d’investigation clinique en vaccinologie à l’hôpital Cochin (Paris), Odile Launay ne partage pas la position des académiciens. « D’abord parce que les réticences liées à la vaccination sont en train de diminuer grâce au recul que nous avons désormais sur des vaccins qui ont été injectés à 2 milliards de personnes à travers le monde, dont 500 millions pour les seuls vaccins à ARN, souligne l’infectiologue. Ensuite, parce que les Français sont en train de prendre conscience que la vaccination est le seul moyen de limiter le nombre de formes graves et de décès, et de permettre un retour à la vie normale. » Pour Benoît Elleboode, directeur de l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine, imposer l’obligation maintenant n’aurait en outre aucun impact sur la campagne de vaccination. « Nous n’avons pas encore suffisamment de doses pour répondre à la demande, et des publics prioritaires ont encore du mal à obtenir des rendez-vous, rappelle-t-il. Nous ne savons pas non plus quelle sera la situation épidémique dans les mois à venir. L’hypothèse d’une quatrième vague à l’automne n’est effectivement pas à exclure, tout comme le fait que le virus puisse disparaître progressivement sans que l’on sache pourquoi. » Les arguments de l’Académie nationale de médecine ne seraient donc, selon lui, pas infondés, mais seraient inadaptés au condiv actuel. « Ce que les académiciens ne disent pas non plus, ajoute-t-il, c’est : que fait-on des personnes qui refusent de se faire vacciner ? Est-ce qu’on leur inflige une amende ? Cela voudrait dire que les riches pourront se permettre d’échapper à la vaccination et pas les plus pauvres ? » Pour Odile Launay, cette mesure à la faisabilité incertaine pourrait même se révéler contre-productive. « En France, l’obligation de vaccination instaurée pour l’hépatite B n’a fait qu’augmenter de manière significative l’hésitation vaccinale », rappelle-t-elle. Le philosophe spécialiste des questions de santé Guillaume von der Weid est sur la même longueur d’onde. « Le simple fait de laisser le choix de ne pas se faire vacciner est psychologiquement libérateur, assure-t-il. La sensibilisation, la mise en place d’un passeport vaccinal me semblent constituer une voie plus efficace que d’imposer brutalement une obligation qui risque d’être rejetée en masse. Alors qu’en instaurant des nudges, des contraintes indirectes que les gens ont l’impression de choisir eux-mêmes, vous avez toutes les chances d’obtenir une meilleure adhésion. »

Les experts opposés à l’obligation vaccinale ne ferment toutefois pas la porte à une mesure qui ne devra être activée, selon eux, qu’en dernier recours. « Si, demain, la campagne de vaccination doit ralentir parce que les gens ne veulent plus se faire vacciner, alors que nous avons 120 millions de doses pour vacciner toutes les tranches d’âge, et que ce ralentissement fasse peser un risque sur la santé publique et l’économie, alors là oui, il faudra la rendre obligatoire », estime Benoît Elleboode, qui reconnaît toutefois que l’Académie de médecine a eu raison d’ouvrir le débat. « Je suis d’accord avec les académiciens quand ils disent qu’il faut commencer à se poser toutes ces questions dès maintenant. Car le jour où il faudra prendre la décision, si les débats ont eu lieu avant, ce sera du temps de gagné. »

AUX PROFESSIONNELS DE SANTÉ DE MONTRER L’EXEMPLE

Pour le Dr François Chast, président du comité qualité et sécurité des soins à l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris), l’obligation vaccinale devrait s’appliquer en priorité aux professionnels de santé. « Si les médecins ont globalement adhéré à la vaccination, ce n’est pas encore le cas de la majorité des personnels soignants à l’hôpital et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), regrette-t-il. Or, lorsque l’on dévoue son activité professionnelle à la santé, ne pas vouloir se protéger ni pour soi-même ni pour ses patients me semble une hérésie. D’autant plus que l’obligation vaccinale n’est pas une innovation. Cela fait des décennies qu’elle est en place pour la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et l’hépatite B. » Pour cet ancien chef du service de pharmacie clinique à l’hôpital Necker-Enfants malades, cette mesure aurait plusieurs vertus. « Elle permettrait d’abord de mettre un terme au Covid nosocomial qui constitue pour moi un véritable scandale de santé publique. Elle contribuerait aussi à lutter efficacement contre l’absentéisme des personnels soignants et à mettre fin à la pression qui pèse sur leurs épaules depuis maintenant un an et demi. L’obligation vaccinale ne doit donc pas être considérée par les professionnels de santé comme une punition, mais comme une véritable bénédiction », conclut-il.

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