Le pouvoir attractif des psychédéliques - Le Moniteur des Pharmacies n° 3372 du 05/06/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3372 du 05/06/2021
 
RECHERCHE CLINIQUE

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Caroline Guignot

Dans l’imaginaire collectif, les psychédéliques sont associés au mouvement hippie des années 1970. Cette catégorie de psychotropes pourrait pourtant offrir de nouveaux traitements de la dépression, de l’addiction ou de la détresse existentielle liée à la fin de vie.

En 1971, les Nations unies catégorisaient les différentes substances psychotropes et classaient celles aux propriétés psychédéliques dans la catégorie I - la plus restrictive - regroupant les substances à risque d’abus et sans utilité thérapeutique. Cette classification, associée aux mesures relatives au trafic de stupéfiants, mettait un coup d’arrêt au financement de la recherche sur ces molécules. Pourtant, plusieurs milliers de publications scientifiques décrivaient déjà leur potentiel thérapeutique dans l’anxiété, la dépression, les addictions et la détresse liée à la fin de vie. Certains pays, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont pu maintenir à bas bruit une recherche clinique, tandis que la Suisse conservait un usage compassionnel. Grâce à cet intérêt entretenu et aux progrès de la neurobiologie réalisés depuis, un nouveau mouvement de recherche a émergé dans les années 1990. La base de données américaine ClinicalTrials.gov recense actuellement une centaine d’essais cliniques. Il n’est donc pas impensable que les psychédéliques - étymologiquement « révélateurs d’âme » - se retrouvent un jour en pharmacie.

Psychothérapie augmentée

Les psychédéliques sont des psychotropes qui interagissent avec les récepteurs sérotoninergiques 5HT-2A : ils regroupent la psilocybine, extraite de champignons, la mescaline, issue de cactus, la diméthyltryptamine ou DMT, provenant de l’ayahuasca (plante amazonienne), et le diéthyllysergamide ou LSD (produit de synthèse). Cette catégorie est parfois étendue à d’autres substances ayant une activité complémentaire sur d’autres récepteurs comme le MDMA ou ectasy (adrénergiques et dopaminergiques).

Sur le plan clinique, l’effet psychédélique correspond à une modification de la perception et du ressenti subjectif de l’environnement. Il a aussi un effet dit égolytique : les personnes sont moins centrées sur elles-mêmes et peuvent même ne plus se percevoir, ce qui leur permet d’avoir l’impression de faire partie d’une immensité. Lucie Berkovitch, cheffe de clinique en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), explique : « Selon les données les plus récentes, le cerveau combine les nouvelles informations avec les connaissances acquises au gré de l’expérience. Les psychédéliques diminueraient l’utilisation de ces dernières, permettant la sensation de découverte et de surprise permanente et des modifications perceptives ». Ils procurent aussi un bien-être lié à l’activité sérotoninergique.

Les hallucinations, typiquement évoquées quand on pense au LSD, sont fonction de la dose et sont très patient-dépendant. Elles peuvent être à l’origine d’angoisse pour le sujet, mais participent aussi à l’effet thérapeutique. L’accompagnement des patients lors de la prise est donc indispensable. D’ailleurs, ce n’est pas cette dernière qui est thérapeutique en tant que tel, mais l’ensemble de la prise en charge qui lui est associée. En effet, le psychédélique est toujours couplé à une psychothérapie dont la nature (entretien motivationnel, thérapie cognitivocomportementale, etc.) est adaptée à la pathologie. On parle de psychothérapie augmentée ou assistée. Elle se déroule en trois temps : une phase visant à préparer le patient à ce qu’il ressentira pendant la séance ; la séance de prise proprement dite au cours de laquelle il est encouragé à l’introspection, à avoir confiance en ce qui vient, un ou deux thérapeutes étant présents pour diminuer l’éventuelle charge anxieuse liée à l’épisode ; puis une série de séances de psychothérapie au cours desquelles le sujet travaille sur la base de ce qui a émergé sous traitement. Les protocoles utilisés habituellement se fondent sur une ou deux prises de psychédéliques espacées de quelques semaines au cours desquelles les séances ont lieu. Ils permettent d’obtenir un bénéfice clinique durable de plusieurs mois, voire plusieurs années. « Les données dans l’alcoolisme montrent que ces substances aident les sujets à atteindre une consommation contrôlée, et elles favorisent l’abstinence vis-à-vis du tabac, parfois même de l’héroïne », rapporte Bertrand Lebeau-Leibovici, addictologue à l’hôpital Paul-Brousse (Paris).

Entre visions et nouvelle approche

Cette expérience est particulièrement intéressante en soins palliatifs, car elle peut se rapprocher des expériences mystiques décrites dans les principales religions ou démarches spirituelles. Cet usage a été évoqué dès les années 1960 pour aider les personnes à trouver des ressources face à la détresse existentielle voire à la douleur physique associées à la fin de vie. Aujourd’hui, les données des essais cliniques suggèrent que plus l’expérience est intense et éloignée de leur quotidien et plus le résultat serait favorable, avec une anxiété diminuée et une nouvelle vision de l’approche de la mort. « Contrairement à ceux menés au milieu du XXe siècle, les essais conduits aujourd’hui sont encadrés par les standards de l’evidence-based medicine », explique Bertrand Lebeau-Leibovici. Leur qualité progresse mais, sur le plan méthodologique, les investigateurs sont toujours confrontés au choix du comparateur : « L’expérience sous psychédéliques est spécifique, les patients identifient facilement le groupe auquel ils ont été alloués. On confronte donc parfois la dose jugée thérapeutique à une dose très faible. Mais de premières études commencent à les comparer à des traitements psychotropes classiques, comme des antidépresseurs, avec des résultats satisfaisants. » Si le niveau de preuve de l’efficacité des psychédéliques reste aujourd’hui modéré en psychiatrie (dépression, anxiété, stress post-traumatique), addictions (tabac, alcool, cocaïne, héroïne) ou anxiété liée à la fin de vie, il progresse.

Certains freins persistent cependant : le condiv réglementaire ou l’accès aux molécules, en premier lieu, mais aussi les freins politiques et culturels. Car si l’intérêt thérapeutique des psychédéliques a explosé dès les années 1940 autour du LSD, c’est avec leur usage récréatif non contrôlé que la recherche a été pénalisée. Les psychédéliques gardent depuis une mauvaise image, alors qu’ils pourraient constituer de nouveaux outils thérapeutiques, sous couvert d’un encadrement approprié. Le cannabidiol, aujourd’hui évalué dans un cadre thérapeutique, a subi un parcours identique. Le mouvement sera-t-il le même pour les psychédéliques ? C’est ce qu’espère Lucie Berkovitch : « Certains patients présentent des tableaux dépressifs sévères et résistants, pour lesquels nous n’avons parfois aucune solution thérapeutique. Les psychédéliques pourraient ajouter une corde à notre arc. » Ils seraient également une ressource dans l’addiction à la cocaïne contre laquelle aucun traitement n’est véritablement efficace.

Le débat devra avoir lieu sur le terrain politique, mais la société civile aura un rôle important à jouer, car souvent plus réceptive aux récits relatifs à ces substances, en particulier dans des situations d’impasses thérapeutiques. D’ailleurs, l’Etat de l’Oregon a récemment dépénalisé la psilocybine et le Portugal la plupart des psychotropes. L’environnement pourrait donc être globalement favorable, même s’il n’est pas certain que tous les pays soient aujourd’hui mûrs pour conduire le débat…

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