L’ARN ou la manière de révolutionner la vaccinologie - Le Moniteur des Pharmacies n° 3371 du 29/05/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3371 du 29/05/2021
 
IMMUNOLOGIE

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Yolande Gauthier

Le Sars-CoV-2 a placé les vaccins à ARN sous les feux de la rampe, suscitant quelques craintes et surtout des espoirs immenses. Si la technologie est étudiée depuis plusieurs années, son utilisation à l’échelle mondiale chez l’homme est une grande première.

L’histoire des vaccins à acide ribonucléique (ARN) débute à l’orée des années 1990, lorsque des chercheurs américains montrent qu’il est possible de faire exprimer un ARN messager in vivo chez la souris après une injection de celui-ci dans le muscle. Quelques années plus tard, d’autres chercheurs parviennent à immuniser des souris en utilisant un ARN de virus de la forêt de Semliki (SFV).

Mais les essais se heurtent notamment à des problèmes de stabilité de l’ARN et à des réactions inflammatoires importantes. Dans la première décennie des années 2000, l’équipe de Katalin Karikó (Philadelphie, Etats-Unis) parvient, en modifiant des nucléotides de l’ARN, à prévenir les réponses immunitaires excessives, ouvrant la voie à une utilisation comme vaccin. C’est surtout dans le domaine de la lutte contre le cancer que de nombreux essais ont été menés, tant chez l’animal que chez l’homme, dans un but non pas prophylactique mais curatif. L’objectif recherché en injectant l’ARN est de faire produire par le patient un antigène tumoral spécifique afin de stimuler le système immunitaire, et d’aider l’organisme à éliminer les cellules malignes exprimant ledit antigène ou à ralentir la croissance de la tumeur. Le concept est séduisant, et plusieurs essais cliniques ont permis d’obtenir des résultats encourageants dans le cancer de la prostate métastatique ou le mélanome. Le champ des possibilités est vaste compte tenu de l’essor de la caractérisation génétique des tumeurs, et de nombreux autres cancers pourraient bénéficier de cette technologie.

Facile à produire

Les atouts des vaccins ARN sont en effet importants. Le principal est sans conteste la facilité de production par rapport à un vaccin classique. « On s’affranchit de la culture de cellules et du risque de contamination. La production tend à se rapprocher de la chimie avec une synthèse in vitro, sans procédé biologique, détaille le Dr Benoit Soubeyrand, consultant en vaccinologie chez Blossom Vaccinology et ancien directeur médical de Sanofi Pasteur MSD. Le procédé est plus rapide, les contrôles sont moins longs et le rendement est beaucoup plus élevé ». L’expérience du Covid-19 montre que, lorsque la composition en acides aminés de la protéine contre laquelle on souhaite immuniser est connue, il est facile d’en déduire la séquence d’ADN qui lui correspond puis, à partir de là, de synthétiser rapidement, et à un coût raisonnable, l’ARN vaccinal. Autre avantage pointé par le spécialiste : « La personne vaccinée fabrique elle-même l’antigène, sans aucun risque de retour à des formes virulentes. La conformation de la protéine produite est parfaitement identique à la protéine virale. Ce qui n’est pas le cas avec d’autres types de vaccins utilisant des cellules d’insectes ou d’Escherichia coli pour fabriquer l’antigène ». La technologie ARN permet aussi une plus grande flexibilité. La séquence initiale peut facilement être remplacée sans que cela ne change fondamentalement la composition du vaccin, pour faire face, par exemple, à l’arrivée de variants de la protéine de départ. Ou pour améliorer le pouvoir immunogène de la protéine antigénique produite. L’ARN est traduit au niveau du cytoplasme des cellules et ne pénètre pas dans le noyau. Il disparaît de l’organisme en quelques jours.

La fragilité de l’ARN est sa plus grande faiblesse. Pour éviter qu’il ne soit dégradé rapidement par les enzymes et pour qu’il puisse franchir les membranes cellulaires, l’une des astuces utilisées consiste à l’encapsuler dans des nanoparticules lipidiques. Celles-ci vont fusionner avec la membrane des cellules et permettre ainsi la pénétration de l’ARNm dans le cytoplasme. Signalons au passage que le fondateur de cette approche est un chercheur français, Frédéric Martinon, qui l’avait publiée en… 1993. La stabilisation de l’ARN implique des conditions de conservation particulières pour garantir sa préservation, à des températures inférieures à - 25 °C. Mais nul doute que de futurs vaccins pourront être stockés à des températures classiques de réfrigération. Les données de pharmacovigilance sur l’utilisation des vaccins anti-Covid-19 à ARNm sont pour l’instant plutôt rassurantes. « Tout cela est très prometteur et donne des résultats encourageants, mais je pense qu’il faut surveiller l’efficacité et la toxicité à long terme », estime toutefois Palma Rocchi, directrice de recherche Inserm au Centre de recherche en cancérologie à Marseille (Bouches-du-Rhône). Le principal risque évoqué est celui d’un déclenchement d’une réponse immunitaire excessive par activation du système immunitaire inné, avec une augmentation des réactions inflammatoires au fil des injections.

Les programmes se multiplient

Les sociétés de biotechnologie rivalisent d’inventivité pour améliorer l’efficacité pharmacologique et immunologique de leurs produits, et optimiser leur délivrance au site d’action prévu. Outre l’ARN conventionnel, elles expérimentent aussi des ARNm autoréplicatifs, capables de démultiplier le nombre de molécules d’ARNm qui seront traduites en protéines dans le cytoplasme de la cellule et d’avoir ainsi une durée d’action prolongée. « On augmente le nombre de protéines présentées au système immunitaire et ainsi la réponse immunitaire elle-même, explique Benoit Soubeyrand. Cela permet de diminuer le nombre de copies ARN injectées, et d’accroître le rendement ».

De nombreux programmes de développement de vaccin ARN à visée anti-infectieuse sont en cours. Moderna travaille notamment sur le cytomégalovirus (essai de phase III prévu cette année), le virus Zika, la grippe, le virus respiratoire syncitial ou encore, à un stade moins avancé, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). CureVac dispose d’un large portefeuille incluant la rage, la fièvre de Lassa, le paludisme, les cancers cutanés ou du poumon. BioNTech mise de son côté sur l’oncologie avec des candidats contre le mélanome, le cancer de la prostate, du sein triple négatif, de l’ovaire, le papillomavirus humain HPV 16… « L’utilisation de l’ARN en cancérologie est appelée à prendre de l’essor, prévoit Palma Rocchi. Il pourra être utilisé à visée curative et empêcher les récidives une fois la maladie déclarée, pour éviter les rechutes après un traitement. Il est possible de le combiner avec la chimiothérapie ou la radiothérapie. La difficulté va être de trouver la meilleure stratégie d’utilisation. » La chercheuse travaille pour sa part sur les oligonucléotides antisens, des brins d’ADN complémentaires synthétisés qui se lient à l’ARNm d’intérêt pour moduler son expression. Cela permet d’inactiver la protéine cible ou de moduler son épissage alternatif (élimination de certaines séquences non codantes). Ces molécules antisens sont encore peu étudiées en France, mais elles suscitent un intérêt croissant. « Du fait de leur spécificité les antisens sont plus sûrs car on maîtrise vraiment leur mécanisme d’action. C’est l’outil idéal dans le cadre de la médecine personnalisée », s’enthousiasme-t-elle. Elle a d’ailleurs développé une molécule qui est allée jusqu’en phase clinique II dans le cancer de la prostate, du sein, des ovaires, de la vessie et du poumon. Et de se réjouir : « La Ligue contre le cancer vient d’annoncer qu’elle allait financer des projets innovants sur les technologies de l’ARN à visée thérapeutique. C’est une excellente nouvelle pour faire avancer les choses ». L’ARN semble bien promis à un bel avenir.

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