Perturbateurs endocriniens : un pacte avec le diabète ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3369 du 15/05/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3369 du 15/05/2021
 
PRÉVENTION

EXPERTISE

AUTOUR DU MÉDICAMENT

Auteur(s) : Caroline Guignot

Depuis une trentaine d’années, les chiffres du diabète s’affolent. De quoi rechercher des facteurs de risque complémentaires. Les perturbateurs endocriniens figurent parmi les suspects.

Si on comptait 170 millions de diabétiques de type 2 dans le monde au début des années 2010, ils étaient plus du double en 2019 et pourraient atteindre 486,1 millions en 20451. La rapidité de cette évolution a conduit les chercheurs à s’interroger, car les seuls facteurs de risque traditionnels (sédentarité, surpoids, alimentation, etc.) ne permettent pas d’expliquer parfaitement cette dynamique. Si des facteurs émergents comme l’augmentation de l’âge de la grossesse ou la dette de sommeil sont évoqués, les perturbateurs endocriniens environnementaux (PEE) semblent bien impliqués.

Dioxines issues des processus industriels de dégradation, bisphénols ou phtalates utilisés par l’industrie plastique, pesticides, retardateurs de flammes ou chlordécone, regroupés sous le nom de polluants organiques persistants (POP), Téflon et autres perfluorés, métaux lourds, microparticules atmosphériques, médicaments, etc. Largement présents dans notre environnement et notre alimentation, les PEE ont une diversité chimique importante et un point commun : ils interfèrent avec le fonctionnement du système endocrinien et peuvent induire des effets délétères sur l’individu et sa descendance, comme des troubles du développement, de la reproduction, des cancers ou des maladies métaboliques.

Le Dr Fanny Rancière, chercheuse en santé publique et environnement (université de Paris, Inserm2), raconte : « Les premiers doutes sont nés d’observations faites chez des personnes fortement exposées, comme les habitants de Seveso qui, en 1976, ont été exposés à un important nuage de dioxine échappé d’une usine chimique, et chez les vétérans américains exposés à l’agent orange (défoliant contaminé en dioxine) durant la guerre du Vietnam. » Chez ces personnes, le taux de diabète augmentait plus vite que dans le reste de la population. « De même, des études conduites auprès des salariés de certaines industries chimiques ou de populations consommant des aliments contaminés ont montré qu’une exposition chronique pouvait aussi accroître le risque. Les arguments étaient suffisamment nombreux pour que la recherche se penche sur le sujet dès le début des années 1980. »

Aujourd’hui, on sait que les mécanismes d’action des PEE sont multiples : « Ils peuvent interférer avec tous les systèmes endocriniens, qu’il s’agisse des hormones sexuelles, thyroïdiennes ou surrénales, explique Xavier Coumoul, professeur de l’université de Paris et toxicologue (équipe Inserm Metatox). Ils n’interagissent pas seulement avec les récepteurs hormonaux, mais aussi avec d’autres récepteurs et voies enzymatiques ou de régulation cellulaire qui vont notamment conduire à des troubles du métabolisme glucidique et lipidique. »

Un travail nommé Desir

Exemple avec la dioxine et le bisphénol A (BPA) : tous deux ont une affinité pour les récepteurs œstrogéniques. Or, les œstrogènes interagissent avec le métabolisme énergétique en favorisant la sensibilité périphérique à l’insuline et en limitant l’apoptose des cellules β-pancréatiques. Les deux PEE ont clairement montré leur influence sur l’équilibre glycémique chez l’animal. Chez l’être humain, le risque est probable : « Dans la cohorte française Desir3, qui a suivi des centaines de participants près de 10 ans, le risque de développer un diabète de type 2 est entre deux et trois fois plus élevé pour ceux qui présentaient les plus fortes concentrations urinaires en BPA par rapport à ceux ayant les plus faibles doses », explique Fanny Rancière. Le bisphénol S, alternative développée pour remplacer le BPA, exposerait à des risques comparables.

Récemment, deux autres éléments ont émergé dans la littérature scientifique. Le premier concerne les relations entre polluants atmosphériques et risque de diabète de type 2, le second l’impact des POP sur le microbiote intestinal, dont on connaît l’importance pour l’équilibre métabolique.

Les POP sont lipophiles et ont une longue demi-vie. Ils s’accumulent durablement dans le tissu adipeux où ils contribueraient à l’inflammation locale, constituant ainsi un facteur favorisant l’insulinorésistance. Par ailleurs, ils moduleraient l’expression de gènes impliqués dans la régulation de la glycémie et des lipides au niveau du foie et des adipocytes. D’ailleurs, plusieurs études épidémiologiques ont décrit des liens entre diabète de type 2 et taux sanguin élevé de composés comme l’hexachlorobenzène, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT, insecticide) ou les polychlorobiphényles (PCB, isolant).

Mais association n’est pas causalité. « L’une des principales difficultés est que les POP sont présents dans le tissu adipeux qui, lui-même, constitue un risque de troubles métaboliques, explique la chercheuse. Il est complexe de démêler l’influence individuelle des deux paramètres. » Par ailleurs, beaucoup de PEE sont apportés par l’alimentation, qui elle-même joue un rôle dans le risque de diabète. En termes toxicologiques, le challenge est aussi de taille : « La toxicité d’un PEE est sous l’influence de mécanismes de détoxification qui peuvent être inopérants face à une dose infinitésimale, ou dépassés en cas de dose élevée, précise Xavier Coumoul. Par ailleurs, nous sommes exposés chroniquement à de multiples contaminants, ce qui peut engendrer un effet cocktail, dont la résultante est supérieure à la simple addition des toxicités individuelles, par effet synergique ou par saturation de la détoxification. » Sans omettre qu’en matière d’endocrinologie des disparités existent entre les hommes et les femmes, ces dernières apparaissant épidémiologiquement plus vulnérables aux PEE.

Exposition précoce

La complexité de la question est telle que la recherche doit refonder ses approches méthodologiques et intégrer la notion d’exposome : « Cette notion recouvre l’ensemble des expositions extérieures auxquelles nous sommes soumis au cours de notre vie, y compris durant la période prénatale », poursuit le chercheur. De plus en plus de données suggèrent en effet qu’une fenêtre d’exposition prénatale ou précoce aux PEE peut être délétère pour les enfants dont les organes sont en développement et les mécanismes de détoxification longtemps immatures. D’autre part, l’exposition in utero à des composés chimiques peut engendrer des modifications épigénétiques qui ont un impact sur l’expression des gènes après la naissance. Chez l’animal, l’impact de certains PEE sur le métabolisme glucidique ou lipidique a d’ailleurs été décrit.

In fine, les facteurs favorisants et les mécanismes sous-jacents seraient innombrables. « On peut considérer comme probable le fait que les PEE présents dans notre environnement jouent un rôle dans la survenue du diabète, même si le niveau de preuve est différent selon les composés considérés », conclut Xavier Coumoul. On en recenserait déjà plus d’un millier, mais ce chiffre est probablement sous-estimé, à défaut d’une recherche exhaustive. Des moyens supplémentaires seraient nécessaires pour accélérer la connaissance sur ces produits. L’investissement en vaudrait la chandelle : en Europe, l’augmentation de l’incidence de l’obésité et du diabète liée à cette exposition coûterait chaque année entre 18 et 29 milliards d’euros4.

1 Fédération internationale du diabète, atlas du diabète, édition 2019.

2 Institut national de la santé et de la recherche médicale.

3 Devenir des spondylarthropathies indifférenciées récentes.

4 Legler J et coll. J. Clin. Endocrinol. Metab., 2015;100(4):1278-88.

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