Patients « non Covid », les oubliés de la crise sanitaire - Le Moniteur des Pharmacies n° 3369 du 15/05/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3369 du 15/05/2021
 
PANDÉMIE

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : Magali Clausener

Depuis l’automne, médecins et associations s’inquiètent des conséquences de la pandémie de Sars-CoV-2 sur la prise en charge des patients atteints d’autres maladies. Les retards de dépistage et déprogrammations de soins vont, en effet, accroître les pertes de chance et la surmortalité. Mais, pour l’heure, les pouvoirs publics ne se sont pas emparés du sujet.

Le 6 avril 2021, 27 associations de patients lancent un cri d’alerte dans Le Monde. « Mais où sont les patients vulnérables, ceux qui meurent par centaines chaque jour, dans une indifférence croissante ? […] Nous sommes quelques lignes parmi les tonnes de chiffres et les masses de commentaires qui bourdonnent sans arrêt. Nous sommes clairement absents des préoccupations politico-sanitaires des dirigeants. Nous sommes à peine des statistiques », écrivent ces associations.

Elles représentent les patients « non Covid » : personnes atteintes de cancers, de maladies rénales, de diabète, de maladies cardiovasculaires, d’obésité… A risque de faire une forme grave de Covid-19. En résumé, tous ces patients qui sont subitement devenus invisibles depuis mars 2020.

Des déprogrammations massives

Cependant, en septembre 2020, alors que la deuxième vague de l’épidémie se profile, de nombreux médecins s’alarment de la situation de ces patients. Le premier confinement du 17 mars au 11 mai 2020 a, en effet, conduit à une déprogrammation massive des interventions quelles que soient les pathologies. Près de 70 % des déprogrammations et diminutions d’activité ont ainsi eu lieu lors de la première vague, selon la Fédération hospitalière de France (FHF). « Dans certains pays, des opérations déprogrammées dans le secteur public ont été transférées vers des régions épargnées. Dans d’autres, des chirurgies électives ont été réservées au secteur privé. Cela n’a pas été le choix de la France où l’on a demandé aux cliniques, notamment lors de la première vague de l’épidémie, d’avoir le même taux de déprogrammation que les hôpitaux », souligne d’ailleurs Jean-Pierre Thierry, conseiller médical à France Assos Santé. Magali Leo, responsable du plaidoyer de l’association des patients atteints de maladies rénales Renaloo, confirme : « Lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19, il y a eu un arrêt des prélèvements d’organes pendant plusieurs semaines. Les délais d’attente pour les patients qui avaient besoin d’une greffe rénale ont donc augmenté. » De fait, selon la FHF, l’activité de transplantation rénale a diminué de - 30 % sur un an.

Or, malgré une reprise de l’activité des établissements de santé durant l’été, la situation n’est pas revenue à la normale en raison des rebonds de l’épidémie à l’automne et en mars 2021. « Le problème, c’est le rattrapage des interventions déprogrammées depuis la première vague de l’épidémie de Covid-19 avec l’addition des déprogrammations de la troisième vague, plus longue, conjuguée avec une décroissance assez lente des hospitalisations », remarque Jean-Pierre Thierry. Et ce malgré une gestion différente par rapport au printemps 2020. « Nous nous sommes mobilisés pour qu’il n’y ait pas d’arrêt des greffes rénales, explique Magali Leo. Les recommandations de l’Agence de la biomédecine, en septembre 2020, pour maintenir la continuité de cette activité nous ont beaucoup aidés. Concrètement, l’agence préconise que l’hôpital qui ne peut pas pratiquer l’intervention oriente le patient vers un autre établissement. » En cancérologie, les hôpitaux ont essayé de préserver au maximum l’accès des patients aux soins et aux traitements. En Ile-de-France par exemple, région particulièrement touchée par les différentes vagues épidémiques, l’agence régionale de santé recommande, en novembre 2020, « une poursuite d’activité en cancérologie sanctuarisée afin d’éviter les retards de prise en charge ». Mais, sur le terrain, la réalité est plus nuancée. « La filière chirurgicale est déstabilisée, observe Roland Sicard, président de l’Institut Sainte-Catherine, spécialisé en cancérologie, à Avignon (Vaucluse). Nous avons environ 20 patients qui souhaitent se faire hospitaliser, alors que nous ne disposons que de 10 lits et que les autres établissements sont saturés. » C’est aussi vrai pour les transplantations rénales : « Nous nous attendions à ce que les équipes hospitalières s’organisent en conséquence. Or, il n’y a jamais eu de feuille de route », note Magali Leo. De fait, la FHF constate que l’activité de transplantation « a continué de baisser tout au long de l’année par rapport à 2019, sans rattrapage notable ». Magali Leo soulève aussi le problème des greffes à partir de donneurs vivants. L’association Renaloo a ainsi constaté que trois équipes pratiquant ces greffes (deux en Ile-de-France et une en Rhône-Alpes) ont arrêté leur activité. « Nous estimons qu’il y a un dysfonctionnement, car cette situation ne devrait pas exister, relève Magali Leo. Une dissonance apparaît entre les informations fournies par l’Agence de la biomédecine et les retours des patients sur le terrain. Cela nous inquiète. Ainsi, beaucoup d’équipes en province refusent de pratiquer des greffes et nous constatons des retards à Paris. Nous estimons qu’il y a un problème d’équité et d’éthique. »

Une surmortalité difficile à évaluer

A ce tableau plutôt sombre s’ajoutent les retards de dépistage. « Le nombre de diagnostics de cancer a chuté de 23,3 % en 2020 en raison des deux premiers confinements », écrivent les divs de la tribune parue dans Le Monde. Selon Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, pratiquement 100 000 cancers n’ont pas été détectés au total. « Lors de la première vague, on a commis de très grosses erreurs, confie Roland Sicard. On s’est très mal organisé en arrêtant précipitamment toute la filière diagnostique comme les laboratoires de biologie médicale. » « Sur le premier semestre 2020, nous avons constaté 7 % de nouveaux patients en moins dans les centres de lutte contre les cancers », déclarait Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, en novembre 2020. Les retards de dépistage ont de lourdes conséquences, notamment pour les cancers évolutifs et agressifs tels que les cancers digestifs et colorectaux. « Le cancer colorectal est le deuxième cancer le plus meurtrier pour les femmes et le troisième pour les hommes, explique Cyril Tavier, directeur général de Norgine Pharma France. Or, en France, le dépistage de ce cancer était déjà problématique avant le Covid-19 : le taux de dépistage des 50 ans et plus s’élevait à 30 %, contre plus de 60 % aux Pays-Bas. Lors du premier confinement, nous avons connu une baisse de 87 % des coloscopies et, sur 2020, 20 à 25 % des coloscopies n’ont pas eu lieu. » Or un taux de dépistage de 30 % permet d’éviter 2 600 décès par an.

Tous les médecins s’accordent : la crise sanitaire va entraîner de très nombreux décès hors Covid-19. En septembre 2020, l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne) estimait la surmortalité par cancer lors de la première vague de Covid-19 entre 2 et 5 % à cinq ans. Il est néanmoins difficile pour l’instant de l’évaluer pour l’ensemble des pathologies. Par exemple, le report de pose de prothèses de hanche chez des personnes âgées peut générer, outre des souffrances, une perte de mobilité, des risques de chute et, par conséquent, des décès. Mais comment chiffrer cette surmortalité ?

Faire face à de nouveaux défis

Après la crise sanitaire, le système de soins va devoir relever de nouveaux défis, en particulier en matière de chirurgie. « Aucun plan de rattrapage des interventions déprogrammées ne semble avoir été encore prévu à ce jour. Une étude américaine montre pourtant qu’il faudra deux ans pour rattraper le retard pris dans les interventions orthopédiques. Mais qu’en est-il en France ? Il n’y a pas d’études quantitatives et qualitatives assez précises. C’est, pour l’instant, un angle mort », avertit Jean-Pierre Thierry. Les relations entre usagers et acteurs du système de santé ont également été altérées, malgré les efforts des soignants et le déploiement de nouvelles organisations comme les téléconsultations, le suivi en ville ou l’hospitalisation à domicile. « Les droits des patients sont mis à mal depuis l’été 2020. Cette crise sanitaire interroge beaucoup sur nos fondements éthiques et démocratiques. Le système est illisible. Un immense chantier nous attend pour mieux reconnaître le droit des patients et des associations à participer aux décisions qui les concernent », estime Magali Leo. Après la crise, il va falloir reconstruire la confiance.

Des parcours de soins plus difficiles

Malgré les efforts des soignants, la crise sanitaire a eu des conséquences sur le suivi des patients. Ainsi, selon une enquête réalisée par l’association Patients Ensemble auprès de 665 malades du cancer, 53 % des soins de support ont été annulés en mai 2020 et 25 % le mois de décembre qui a suivi.

Néanmoins, 64 % des répondants affirment que le deuxième confinement n’a pas eu d’impact sur leur parcours de soins. Pour les patients dialysés, la situation a pu aussi se dégrader. Par exemple, les collations lors de la dialyse ont le plus souvent été supprimées. Les établissements de soins ont cependant déployé les solutions de téléconsultation. « Nous avons aussi appris à travailler avec la ville pour le suivi de nos patients, avec les médecins traitants et les infirmières libérales, relate Roland Sicard, président de l’Institut Sainte-Catherine, spécialisé en cancérologie, à Avignon (Vaucluse). Nous nous appuyons également sur les compétences et l’expertise des pharmaciens d’officine pour nos patients sous thérapie orale. »

Les pharmaciens ont aussi un rôle en matière de prévention afin d’inciter les patients à se faire dépister malgré le condiv sanitaire pour éviter des retards de prise en charge.

Les déprogrammations en chiffres

- Première vague de l’épidémie : - 72 % en chirurgie, - 49 % en médecine générale, - 84 % en chirurgie ambulatoire. Le privé a déprogrammé autant voire plus (proportion plus forte de chirurgie légère plus facilement reportable), mais a repris plus vite que le public.

- Deuxième vague de l’épidémie : - 15 % en chirurgie, - 14 % en médecine générale et - 12 % en chirurgie ambulatoire. Le secteur public a déprogrammé au global - 23 % de ses interventions, contre - 11 % dans le privé. En chirurgie ambulatoire, le secteur public a largement plus déprogrammé (- 27 %) que le secteur privé lucratif (- 7 %) et non lucratif (- 4 %).

- Au total, baisse de l’ordre de 2 300 000 séjours par rapport à l’activité attendue dont :

- 1 400 000 séjours de médecine (- 12 % versus 2019) ;

- 900 000 séjours de chirurgie (- 15 % par rapport à 2019).

Sources : données non consolidées du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), FHF Data/atelier FHF du 30 mars 2021.

À RETENIR

- Les vagues successives de Covid-19 ont poussé les centres de soins, publics et privés, à annuler les interventions médicales. Résultats : déprogrammation massive, jusqu’à - 70 % d’activité lors du premier confinement, arrêt des prélèvements d’organes pendant plusieurs semaines et retard de diagnostic.

- La crise sanitaire va ainsi entraîner une vague de complications et de décès hors Covid-19. Mais impossible aujourd’hui de l’évaluer.

- Il est urgent de prendre en charge ces patients maintenant distingués comme « non Covid ». Aucun plan de rattrapage ne semble prévu pour l’instant.

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