Les TFR, ça commence à suffire - Le Moniteur des Pharmacies n° 3364 du 10/04/2021 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3364 du 10/04/2021
 
GÉNÉRIQUES

TEMPS FORTS

ENJEUX

Auteur(s) : François Pouzaud

Depuis le début de l’année, le Comité économique des produits de santé (CEPS) instaure des TFR injustifiés ou accède aux demandes d’alignement de prix des laboratoires de princeps. A chaque fois, c’est la marge des pharmaciens qui se réduit.

Sans concertation préalable, le couperet du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) est tombé à maintes reprises depuis le début de l’année sur des groupes génériques : en février, la diosmectite, en mars, le gliclazide, la rilménidine et l’ivabradine, avant une autre salve touchant huit autres groupes, notamment les sartans et les sartans associés, avec application du TFR au 1er juin.

Citant le gliclazide et lerilménidine (groupe Servier), Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), dénonce des mises sous TFR « injustifiées et répétées, souvent prises à la demande des laboratoires », alors que les taux de substitution de ces deux molécules sont supérieurs aux taux déclenchant la mise sous TFR (voir « Repères »).

Ces TFR ne passent pas non plus chez les génériqueurs. « Ils n’étaient pas dans les accords du Comité de suivi des génériques (CSG), ils ont donc bien été instaurés à la demande du groupe Servier », confirme Stéphane Joly, président du Gemme (Générique, même médicament : l’association des génériqueurs). Du déjà-vu un an plus tôt, toujours avec ce laboratoire et Pfizer qui avaient, en janvier 2020, aligné les prix de neuf de leurs médicaments sur ceux des génériques, alors même qu’aucun des groupes génériques concernés n’était placé sous TFR.

Tout aussi frondeuse, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) concentre sa colère sur la « TFRisation » des sartans, longtemps en rupture de stock à la suite d’un problème à la fabrication. L’enjeu est certes tout autre pour l’économie de l’officine. Gilles Bonnefond, son président, dénonce « un changement complet de comportement et de stratégie du CEPS par rapport à ce qui se passe en comité de suivi des génériques » et des pratiques « à la limite de la manipulation des chiffres pour justifier le passage au TFR de molécules, quels que soient le taux de substitution ou les intérêts des laboratoires de princeps. »

Pour les syndicats, le CEPS s’est rendu complice de pratiques qui remettent en question la politique du générique, en plaçant ces groupes génériques sous TFR alors qu’il n’y est pas obligé. Stéphane Joly y voit là la conséquence directe de l’application de l’article 66 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019 qui aligne le remboursement du princeps sur la base du prix du générique. « L’alignement permet aux princeps, quand ils sont fortement substitués, de reprendre des parts de marché sur leurs génériques », explique-t-il

Le Leem (Les Entreprises du médicament) s’est érigé au côté des pharmaciens contre l’article 66. « Les princeps sont les premières victimes de l’article 66 avec une perte de 360 millions d’euros de chiffre d’affaires », indique Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du Leem. Par ailleurs, « selon des chiffres récemment communiqués par la Direction de la Sécurité sociale, les demandes d’alignement de prix en 2020 n’ont concerné que 3 % des principes actifs inscrits au Répertoire des génériques », relativise-t-il. Selon lui, l’arrêté publié le 14 décembre 2020 permettant l’exclusion des spécialités de moins de 24 mois de commercialisation du périmètre de la base unique de remboursement devrait faire baisser mécaniquement les demandes d’alignement de prix des princeps à l’avenir.

Le Covid a bon dos

« Pendant quatre mois, il y a eu des ruptures de stocks sur les sartans, mais quand le CEPS choisit le mois qui lui va bien pour justifier l’instauration d’un TFR et prendre cette mesure de manière sournoise, la confiance est rompue », ne décolère pas le président de l’USPO qui reproche également au CEPS de ne plus entendre les arguments de la profession et de vouloir « TFRiser » un maximum de molécules. En fin d’année, il n’y avait plus de ruptures sur les sartans et les taux étaient repassés pour ces classes bien au-delà du seuil de déclenchement des TFR. « L’application des TFR relève désormais d’une mécanique purement comptable », assène-t-il.

Face aux attaques de la profession et aux dénonciations de mises sous TFR à outrance, le CEPS justifie ses décisions. « En raison de la crise sanitaire, la réunion du CSG de mai a été suspendue et reportée sans préjuger de ce que seraient les taux de substitution mais le comité s’était mis d’accord que mai serait le mois d’observation et de référence lors de la réunion qui a eu lieu en octobre », explique Jean-Patrick Sales, viceprésident du CEPS. « Les syndicats d’officinaux protestent, mais avec la temporisation des TFR qui ne seront appliqués qu’au 1er juin au lieu de l’avoir été en 2020, les pharmaciens ont gagné quasiment un an de conservation aux anciens prix et aux anciennes marges », souligne-t-il.

Sur un autre différend avec la profession, à propos des règles du TFR, « nous les appliquons en regardant les taux de substitution au dixième près, sans discussion possible, et les appréhendons au sein d’un groupe génériques de manière globale, toutes présentations confondues », précise-t-il.

L’ombre de l’article 66

« Les mises sous TFR injustifiées, souvent réalisées à la demande des laboratoires apportant les princeps sur le marché, mettent en péril l’avenir de la substitution », accuse Philippe Besset qui appelle « le CEPS à ne plus céder à l’avenir aux pressions des laboratoires. »

Au sujet des demandes d’alignement de prix des princeps, Jean-Patrick Sales rappelle « qu’elles ne relèvent pas du CSG qui ne gère que des baisses collectives de prix », mais que le CEPS doit prendre en compte les demandes individuelles de baisses de prix des laboratoires et les avancées du nouvel accord-cadre Etat-industrie. « L’article 66 a changé les comportements des acteurs industriels. En l’absence de période transitoire et sans trop savoir ce qui allait se passer, certains ont pris début 2020 des décisions de baisses de prix mais maintenant, les impacts de cet article sont stabilisés et prévisibles avec l’arrêté du 14 décembre 2020. »

Peur sur la substitution

Ce nouvel épisode des TFR est de toute façon celui de trop. Gilles Bonnefond se dit prêt à engager, au besoin, un rapport de force avec le CEPS, et au-delà avec le ministère des Solidarités et de la Santé auprès de qui les deux syndicats ont demandé audience afin que le CEPS rende des comptes. Ils espèrent désormais un sursaut des autorités.

« Si le CEPS instaure des TFR à échéances précises de deux ou cinq ans sans autre forme d’explication, les pharmaciens n’iront plus chercher la substitution », met en garde le président de l’USPO qui n’accepte pas que « l’on sacrifie le Répertoire des génériques et que l’on réalise des économies en basculant des molécules au TFR pour préserver les prix des molécules innovantes. »

La mise à exécution serait en effet lourde de conséquences pour les pharmaciens, car la place du générique dans l’équilibre de l’économie de l’officine est importante. Entre la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) génériques qui ne cesse de se réduire - celle de 2020, payée le 19 mai prochain, est de 3 100 € en moyenne par pharmacie ; la ROSP 2019 payée en 2020 avait déjà pris un bon coup dans l’aile (3 300 €) - et l’instrumentalisation des TFR, Philippe Besset propose : « Il faut mettre en place de nouvelles règles d’application des TFR plus respectueuses pour tous les acteurs, mais également un nouveau modèle économique et une nouvelle politique du générique incluant aussi médicaments biosimilaires et droit de substitution ». Dans son programme quinquennal présenté aux élections des unions régionales des professions de santé (URPS), la FSPF, non signataire de la ROSP génériques depuis 2018, propose une revalorisation de 10 % de l’honoraire de dispensation à la boîte des conditionnements mensuels et trimestriels des génériques et princeps sous TFR. « Cette mesure nous protégera des TFR qui touchent de plus en plus de molécules et s’appliquera dès l’apparition de nouveaux groupes génériques », explique-t-il.

À RETENIR

- Depuis quelques mois, des TFR sont appliqués sur des princeps pourtant bien substitués ou dont les génériques se sont retrouvés en rupture de stock.

- Les syndicats pharmaceutiques dénoncent des pratiques abusives du CEPS qui lui, de son côté, assure appliquer les règles à la lettre.

- La multiplication des TFR peut menacer l’avenir de la substitution. Et avec elle un pan de l’économie de l’officine.

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